Suite à la lecture de son ouvrage sur l'Eglise et l'immigration, le grand malaise, nous avons interrogé Laurent Dandrieu. Nous le remercions pour ses réponses, publiées en deux parties. Voici la première :
Vous évoquez cet épisode de la fuite de la Sainte Famille en Egypte, comme l'un des arguments récurrents de la hiérarchie catholique actuelle pour justifier l'accueil des immigrés. Mais cet argument ne se retourne-t-il pas contre cette idée d'un droit illimité à l'immigration puisque la Sainte Famille, qui fuyait la sanglante persécution d'Hérode, est retournée ensuite vivre à Nazareth ?
C’est en effet une référence récurrente dans le discours ecclésial sur l’immigration. Le premier texte magistériel sur la question, la Constitution apostolique Exsul Familia que publie Pie XII en 1952, s’ouvre d’ailleurs par cette phrase : « La famille de Nazareth, Jésus, Marie, Joseph en exil, émigrant en Égypte et s’y réfugiant, pour échapper à la fureur d’un roi impie, telle est l’image, le modèle et le soutien de tous les émigrants et pèlerins de tous les temps et tous les lieux, de tous les exilés de quelque condition qu’ils soient, qui, chassés par la crainte des persécutions ou par la misère, se voient contraints d’abandonner leur patrie, de quitter leurs chers parents, leurs proches, leurs amis, et de gagner une terre étrangère. » Dans son message pour la Journée mondiale des migrants, en 1988, Jean-Paul II écrit pour sa part : « La Sainte Vierge, en vérité, par la façon dont elle vécut son histoire humaine, se pose comme point de référence pour les migrants et les réfugiés. Sa vie terrestre fut marquée d’une continuelle pérégrination d’un lieu à l’autre […] Marie, en outre, connut par expérience directe la souffrance de l’exil et de l’émigration en terre étrangère. » Mais là où Pie XII ne tirait d’autre conclusion à cette analogie qu’une consolation spirituelle pour le migrant dans ses tribulations, et le devoir pour les chrétiens de faire en sorte que ces migrants soient traités avec dignité et de leur apporter un secours spirituel, Jean-Paul II, lui, en tire une sorte de sanctification de la migration en elle-même : « Parmi toutes les expériences humaines, Dieu a voulu choisir celle de la migration pour signifier son plan de rédemption de l’homme », écrit-il dans le même message. Dans celui de l’année précédente, il écrivait que « par les migrations, la société est devenue un creuset de races, de religions et de cultures, duquel on espère un nouveau monde à hauteur d’homme, fondé sur la vérité et sur la justice ». En 1991, il note que les migrations « contribuent de manière incisive à l’unité de la famille humaine et au bien-être universel ». Et, en 2004, « le phénomène des migrations contribue à cultiver le “rêve” d’un avenir de paix pour l’humanité tout entière. »
On a donc le sentiment d’un glissement progressif du discours vers une vision prophétique des migrations, qui « sont bien l’expression d’un travail d’enfantement d’une humanité nouvelle », comme l’écrit l’instruction Erga migrantes caritas Christi du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants, approuvé par Benoît XVI en 2005, où l’on peut lire ces lignes : « Les migrations, en touchant les multiples composantes de la famille humaine, tendent en effet à l’édification d’un corps social toujours plus vaste et varié, presque dans le prolongement de la rencontre de peuples et de races qui, à la Pentecôte, par le don de l’esprit, est devenue la fraternité ecclésiale. »
L’Église semble presque en oublier que les différentes tribulations relatées par la Bible, érigées en modèles des migrations actuelles, ne ressortent pas de la volonté dont parle Jean-Paul II, dans l’encyclique Laborem exercens (1981), « de chercher de meilleures conditions de vie dans un autre pays », mais qu’elles résultent de déportations, de fuites devant la guerre ou la persécution, comme à l’évidence la fuite en Égypte de la Sainte-Famille, qui n’avait d’autre objet que de sauver l’Enfant-Jésus du massacre des innocents, comme le soulignait Pie XII. Elle omet effectivement de préciser que ces exils vont toujours de pair avec un ardent espoir de retrouver un jour – le plus proche possible – la terre d’Israël. D’où il résulte que le thème du retour du migrant dans son pays d’origine est très rarement évoqué dans le discours de l’Église. Ce qui est inéluctable à partir du moment où l’on compte « au nombre des droits humains fondamentaux, la faculté pour chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun », comme l’écrit Benoît XVI dans son message pour le Journée mondiale des migrants 2013. Le pape François est symptomatique de cette dérive car, en même temps qu’il présente, très abusivement, tous les migrants comme des réfugiés « fuyant la guerre et la faim », il prône des politiques d’intégration intensive, comme si ces réfugiés avaient vocation à rester chez nous éternellement et à y faire souche…
A suivre