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Tribune libre

L’avocat du diable contre le roi Baudouin

L’avocat du diable contre le roi Baudouin

En décembre dernier, lors de sa visite apostolique en Belgique, le pape François a annoncé l’ouverture du processus de béatification du bien-aimé roi des Belges, Baudouin, décédé en 1993. Il a félicité le défunt roi pour avoir refusé de signer « une loi meurtrière », la loi autorisant l’avortement, que le monarque était censé ratifier en 1990. Au lieu de cela, le parlement l’a déclaré incapable de gouverner – en raison de sa crise de conscience – laissant le trône vacant. Le Parlement a ensuite adopté la loi sans l’approbation du roi, le rétablissant dans ses fonctions le jour même.

Il est certain que le roi Baudouin, connu pour son bon caractère et sa foi solide, a eu raison de refuser de donner son approbation à l’avortement légal en Belgique. Il s’est trouvé dans une situation difficile pour des raisons habilement décrites par le père John J. Conley, SJ (Life and Learning XIV Proceedings, 2004), qui dépeint la gestion de la situation par le roi comme entièrement louable.

Cependant, même Conley décrit la manœuvre comme « un compromis qui a permis à chacun de sauver la face et de suivre des consciences diamétralement opposées ». Et, plus important encore, il affirme que le stratagème juridique a été effectué « avec l’acquiescement tacite du roi ».

Maintenant, nous devons nous demander : est-ce que se retirer, permettre à un tel projet de loi d’être adopté, est vraiment un choix louable ? Par la Divine Providence, le roi Baudouin s’est retrouvé être un obstacle à l’adoption d’une loi inique. Tant qu’il refusait de bouger, elle ne pouvait pas aller de l’avant. Ce fait a créé la pression sur lui : pour obtenir son but, le parlement aurait pu le destituer ou même abolir la monarchie. Mais le fait demeure : s’il acceptait de se retirer, il permettrait sciemment que le crime ait lieu. Cela signifie coopérer avec le mal non obstans (cf. saint Thomas d’Aquin, ST II-II q. 62, a. 7) en ne l’empêchant pas, alors qu’on le pouvait.

Puisque le roi n’a pas fait d’objection publique à sa déclaration d’incapacité, nous devons conclure qu’il a effectivement coopéré avec ce grand mal. La question demeure : sa coopération était-elle justifiée ? La réponse serait certainement négative, si sa coopération était considérée comme formelle, non pas, bien sûr, parce qu’il souhaitait que la loi soit votée – ce n’était clairement pas le cas – mais en raison de la nature intrinsèque de l’action qu’il a accomplie. Dans ces circonstances, son choix – se laisser déclarer incapable – a été ordonné à permettre le vote ; ce n’était pas quelque chose qu’il allait faire de toute façon, pour une autre raison, malgré la prévision d’une conséquence indésirable. (Pour plus d’informations sur cette question, voir mon livre, The Servant and the Ladder: Cooperation with Evil in the 21st Century, Gracewing, 2014).

Même si sa coopération est jugée matérielle, elle ne serait toujours pas justifiable. La perte de la monarchie, ou même des mois d’émeutes sanglantes, ne seraient pas à la hauteur des dégâts causés par l’adoption de la loi. D’ailleurs, une attitude plus ferme aurait pu avoir beaucoup de bien. Elle aurait même pu mener la monarchie belge à une fin glorieuse, en inscrivant à jamais dans les livres d’histoire de la nation un témoignage de la sainteté de la vie.

Il ne semble donc pas que le roi Baudouin, malgré ses nombreux mérites, possède la vertu héroïque requise des personnes canonisées. Les dons de l’Esprit Saint, notamment ceux de conseil et de courage, ont fait défaut dans ce grand moment d’épreuve. Ce serait une erreur de la part du Saint-Siège de béatifier l’homme, car sa décision en cette matière serait par conséquent présentée comme un exemple de résistance héroïque, alors qu’elle ne l’était pas.

C’est plutôt l’occasion pour les dirigeants de l’Église catholique, en Belgique et ailleurs, d’admettre, humblement et candidement, que notre résistance à la culture de mort a fait défaut. Nous avons trouvé des moyens de faire le minimum, ou ce que nous considérons comme le minimum, par une compréhension trop indulgente de la doctrine de la coopération avec le mal. Combien de fois entend-on parler de catholiques qui paient des prix élevés plutôt que de coopérer ? Rares sont les occasions de faire écho aux louanges des premiers chrétiens que l’on trouve dans la lettre aux Hébreux : « Vous avez même participé aux souffrances des prisonniers et vous avez accepté avec joie la confiscation de vos biens, sachant que vous possédiez des biens meilleurs et qui durent » (Hébreux 10, 34). Et ce, malgré les milliers de personnes croyantes qui sont censées distribuer des contraceptifs, aider à l’euthanasie, approuver les mariages homosexuels, etc. chaque jour.

De nombreux catholiques sont mis au défi d’abandonner leur travail plutôt que de coopérer avec la culture de la mort. Le roi Baudouin était l’un d’eux. Bien que sa coopération ait été plus cachée – non obstans – nous avons eu trente-cinq ans pour la reconnaître pour ce qu’elle était et pour nous réveiller pour faire mieux.

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Mgr Andrew McLean Cummings, de l’archidiocèse de Baltimore, a exercé son ministère à Baltimore et dans l’archidiocèse de Marie Mère de Dieu à Moscou, ainsi qu’à la Congrégation pour les Églises orientales du Vatican. Il est actuellement coordinateur de la formation spirituelle au séminaire Mount Saint Mary à Emmitsburg, dans le Maryland. Sa thèse de doctorat a été publiée en 2014 sous le titre The Servant and the Ladder: Cooperation with Evil in the 21st Century (Gracewing, Ltd.).

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1 commentaire

  1. En effet, et à l’inverse si Louis XVI n’a pas été un bon roi (jugeons en par les fruits de la période, résultat de son laxisme face aux événements de la révolution) en revanche il a racheté son salut en refusant la constitution civil du clergé.
    Pour Baudoin c’est l’inverse : il a fait le bien, mais a fini par vouloir sauver sa peau. Pas l’exemple qu’il faut.

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