Véronique Bourgninaud, mère d’un enfant porteur de trisomie 21 et directrice de la communication de la Fondation Jérôme Lejeune, réagit dans Valeurs Actuelles à une récente décision de de la Cour de cassation condamnant un médecin qui n’avait pas détecté la trisomie d’un enfant à naître :
La Cour de cassation a tranché : un médecin doit indemniser des parents pour ne pas avoir détecté la trisomie 21 de leur enfant pendant la grossesse. Leur préjudice inclut la perte de revenus liée à la prise en charge du handicap. Le handicap du fils, en somme, cause un préjudice patrimonial à ses parents. Le coupable est tout trouvé : celui qui n’a pas su voir le handicap de ce pauvre enfant.
Ce triste fait-divers me laisse profondément mal à l’aise. Je ne peux m’empêcher de penser à mon propre fils trisomique. Puis-je décemment le regarder dans les yeux, lui dire que je l’aime et que je veux le meilleur pour lui, tout en évaluant le manque à gagner qu’il aurait engendré par sa naissance ?
En réalité, je suis révoltée : peut-on mettre dans la balance deux valeurs si différentes, sans rapport entre elles, que sont d’un côté une vie humaine, celle de l’enfant trisomique 21, et de l’autre l’impact qu’il aura sur les revenus de ses parents ? Il y a dans cette décision de justice quelque chose d’indécent que je vis comme une gifle, moi la mère qui ploie sous le poids formidable de la vie de mon fils handicapé dont un beau jour, de tout mon cœur, je me suis faite responsable.
Notre société, dans sa propre dénégation, ne sait plus que le bonheur réside avant tout dans la participation au bien de ses semblables, et qu’il implique de considérer sa propre vie et celle d’autrui comme le bien le plus précieux, qui engage la communauté toute entière. La famille est aussi une petite société où ces lois immémoriales s’appliquent. Elle doit parfois adapter les velléités individuelles de ses membres pour aider, soigner ou dépenser davantage là où la nécessité est la plus urgente. Est-ce un mal ? Certainement pas ! C’est l’honneur de notre condition humaine. Serait-ce une erreur de privilégier donner la vie à la maximisation des revenus ? Evidemment non ! Le bonheur familial sera-t-il conditionné par la « qualité » de l’enfant nouveau-né ? Quelle triste perspective !
Le diagnostic prénatal et l’avortement médical ont développé une mentalité de crainte et de refus de tout risque d’anomalie vis-à-vis de l’enfant à venir. Mais, dès lors que l’on décide de sélectionner les bons individus ou les bons gènes, un contraste inéluctable fait apparaître de mauvais individus et de mauvais gènes dont il faut limiter la reproduction. L’acceptation de l’un entraîne la nécessité de l’autre. Et si, par audace, l’enfant imparfait passe à travers les mailles de la sélection, alors il faut indemniser ses parents. S’excuser du dérangement. Chercher un coupable et le faire payer. Ce n’est plus une mauvaise dystopie, mais une jurisprudence.
Même les parents qui préfèrent encore l’intimité de leur couette à la paillasse de la PMA, sont pris dans cette spirale infernale et anxiogène de la sélection. L’ensemble est pervers : on en vient à faire une obligation morale pour les parents d’avoir le meilleur enfant, et à celui-ci un impératif de ne pas troubler le monde – et depuis le mois d’octobre, les revenus – de ses parents tout-puissants. Et chacun peut faire prévaloir sa propre exigence, puisqu’il n’existe plus aucune référence à la vérité, à la réalité de l’homme.
Las ! la loi naturelle se rappelle invariablement à nous. Si l’homme fait des biens secondaires la raison principale de son action, il se vide de son humanité. Dieu merci, l’existence de différences entre les êtres humains est exactement ce que la reconnaissance de leur égalité suppose et protège. Je veux donc croire que ce besoin viscéral d’égalité entre les hommes saura rétablir la nécessité de notre diversité.
