De Thibaud Collin dans L’Appel de Chartres :
En cette année électorale, les citoyens français que sont les catholiques sont invités à participer au choix de leurs représentants politiques. Cela engendre des questions à différents niveaux. La philosophie politique et la doctrine sociale de l’Eglise offrent de nombreux principes de réflexion en vue d’un discernement pratique dans des circonstances historiques singulières.
Tout d’abord voter ne signifie pas valider le principe de la souveraineté populaire issue de la Révolution française et de Rousseau. Le peuple n’est en aucune manière souverain si l’on signifie par là qu’il serait mesure ultime du juste et de l’injuste. C’est en s’appuyant sur un tel présupposé erroné que de nombreuses lois iniques ont été votées et apparaissent, à tort, à l’esprit de notre époque comme légitimes. L’homme est doué de raison, faculté de connaissance et de jugement par laquelle il peut reconnaître ce qui est dû universellement à l’être humain en tant que tel ou singulièrement à tel individu dans une situation déterminée. Le vote n’est donc pas l’expression de la souveraineté populaire mais le choix de ceux qui vont assumer l’exercice de l’autorité politique. Celle-ci n’est pas fondée sur un principe quantitatif, la majorité, mais sur un principe qualitatif, le service du bien commun.
Régulièrement se pose à la conscience catholique la question de la juste articulation de la foi et de l’engagement politique[1]. Certains considérant que la politique est impure en concluent qu’il faut s’en détourner. D’autres investissent le champ politique en espérant qu’il sera le moyen de faire advenir le Royaume de Dieu sur terre. D’autres encore pratiquent une sorte de séparation étanche entre leur foi et leur vote. Le baptême ne nous fait pas sortir de la condition humaine qui est fondamentalement une condition historique et politique. Ainsi le catholique ne peut légitimement nier l’épaisseur des médiations naturelles et historiques à travers lesquelles il cherche à faire la volonté de Dieu. Se désintéresser de la politique, c’est peu ou prou s’amputer d’une dimension essentielle de notre nature. Si Dieu nous a créés « animaux politiques », c’est que la recherche du bien commun à tous les membres de la société dont on fait soi-même partie est au cœur de notre vie. Restent à en déterminer les modalités concrètes, ce qui relève de la vertu de prudence. Celle-ci n’est en rien compromission mais discernement du vrai bien à pratiquer dans des circonstances personnelles, familiales et sociales singulières.
L’état de notre société postchrétienne, et par-là souvent inhumaine, nous invite à promouvoir et à vivre une réforme morale, intellectuelle et spirituelle, terreau d’une restauration du bien commun politique. Ce qui ne veut certes pas dire que cette réforme se subordonne à la politique comme à sa fin. Mais qui ne voit que travailler à une telle réforme dans notre vie, dans notre famille, dans nos associations, dans notre travail et dans notre paroisse exige aussi la prise en compte du champ politique ? Par exemple, il est bon de s’investir dans la création d’écoles dignes de ce nom, mais il est également nécessaire de travailler à avoir un gouvernement qui promeuve une politique éducative respectueuse du bien dû à tous les enfants. On voit par là que la vie chrétienne qui a pour source et finalité Dieu lui-même nous renvoie aux différentes dimensions de notre humanité.
Ainsi le discernement politique ne fait pas abstraction de la foi et de la morale chrétiennes mais il exige de prendre au sérieux les défis que notre société a à relever ici et maintenant. Il y a donc une double primauté à articuler. Notre finalité est surnaturelle et exige une coopération entre la grâce divine et notre liberté. Mais cette finalité se poursuit par des actes à poser qui ont leur consistance propre. Un parent chrétien se doit d’abord d’être un bon parent. Un menuisier chrétien se doit d’abord d’être un bon menuisier. Un citoyen chrétien se doit d’abord d’être un bon citoyen.