Dans France Catholique, Gérard Leclerc évoque le nouvel ouvrage de Philippe Pichot-Bravard sur Le Droit naturel :
Non, l’essai que Philippe Pichot-Bravard vient de publier sur le droit naturel n’est pas dévolu au seul public spécialisé dans les études de philosophie du droit. Car le sujet de son travail est au cœur même de nos problèmes civilisationnels. Ainsi qu’il l’écrit dans sa conclusion : « Le respect effectif du droit naturel est la première condition de l’existence et de la consistance d’un État de droit digne de ce nom. » Tout ce qui ressort de ce qu’on appelle « les réformes sociétales » relève d’un choix anthropologique fondamental, dont les données s’enracinent dans l’histoire de la pensée et ne se comprennent qu’en relation avec les ruptures philosophiques qui ont suivi la période scholastique, dominée par la synthèse accomplie par saint Thomas d’Aquin.
Deux conceptions du droit
Nul ne s’est montré plus persuadé de la nécessité de revenir aux fondamentaux du droit que Benoît XVI. Pape théologien, il n’a cessé d’intervenir pour rappeler à quel point l’Église se montrait attachée à une certaine tradition intellectuelle. Ce fut le cas, notamment, lors d’un discours prononcé au Bundestag, le 22 septembre 2011 :
« Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, un règlement juridique découlant d’une Révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit. »
Et de rappeler que saint Paul, le premier, dans sa lettre aux Romains, avait affirmé que les païens, méconnaissant la Loi – la Thora d’Israël – se rapportaient à une loi inscrite dans leur cœur, celle qui s’exprimait à leur conscience.
Déjà, le cardinal Ratzinger avait collaboré à la grande encyclique de Jean-Paul II, Fides et ratio. Il y était montré l’importance de l’accord décisif entre la foi chrétienne et l’héritage de la Grèce. Cet héritage, Philippe Pichot-Bravard le définit dès le début de sa réflexion. Deux conceptions du droit se sont toujours opposées : celle qui le considère comme « l’expression de la volonté de ceux qui exercent le pouvoir » et celle qui insiste sur sa finalité.
« Cette école estime que […] les lois promulguées ne sont légitimes qu’à condition d’être équitables, à la condition de respecter les principes de droit qui échappent à la volonté des hommes et qui sont le reflet d’un ordre naturel objectif, à la condition de respecter la nature de l’homme, de respecter ce qu’Aristote appelle “la justice naturelle”. »
Déconstruction
Or, la modernité s’est largement démarquée de cette conception, notamment à partir du XVIIe siècle. Pour Grotius (1583-1645), universitaire hollandais protestant, « le droit n’est pas l’art d’attribuer à chacun la part juste ; il est le pouvoir d’un individu sur une chose. » Le droit fut dès lors centré sur le sujet au lieu d’être centré sur le juste. De là son caractère individualiste, qui ne résulte pas de l’observation du réel dans la ligne aristotélicienne.
On pourrait parler de déconstruction de la nature humaine souvent complétée d’une volonté de « régénération », l’homme n’étant plus « qu’une petite machine réagissant aux sensations perçues de façon utilitariste » et « un animal qu’il est permis et même souhaitable de rééduquer pour son bonheur et le bonheur de la société ».
Qu’en est-il alors du prestige de ce qu’on appelle avec respect « les droits de l’homme » ? Encore faudrait-il s’entendre sur ce qu’est cet homme. Tant vaut une anthropologie, tant valent les droits. La fameuse déclaration des Nations unies, élaborée dans le climat de la défaite nazie, se distingue par une double inspiration libérale et chrétienne, dont l’ambiguïté sera à l’origine des dérapages dont nous sommes les témoins aujourd’hui.
En un mot, cet essai relativement bref de Philippe Pichot-Bravard est en fait le fruit d’une impressionnante érudition et se signale par la pertinence de ses références et surtout l’actualité de sa pensée.