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Pays : Liban

Le Lavement des pieds au Collège des Frères Mont La Salle : pour le bien de la jeunesse du Liban

Le Lavement des pieds au Collège des Frères Mont La Salle : pour le bien de la jeunesse du Liban

Par Antoine Bordier, auteur de la trilogie Arthur, le petit prince

Ah, cette colline qui se situe entre 300 et 350 mètres d’altitude et qui surplombe tout Beyrouth. Il faut y vivre quelques jours pour bien assimiler, comprendre et tenter de rejoindre le doigt de Dieu qui a marqué de sa croix et de ses grâces cette Terre Sainte. Ces 8 et 9 avril au matin, alors que la veille le bruit d’un drone israélien se faisait entendre, le Collège des Frères ouvre grandes les portes de la chapelle pour commémorer la scène du Lavement des pieds du Christ, avant sa Passion. Une foule de jeunes se tient debout dans un silence quasi religieux… Reportage lumineux au cœur de l’Education, de la Foi, de la Francophonie, de la Jeunesse et de l’Espérance !

Les ignorants sont nombreux sur le sujet, moi le premier. La Terre Sainte n’est pas seulement à Bethléem, à Jérusalem ou encore à Nazareth. Elle est, également, en Egypte, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Oui, le Christ, avec ses parents, puis, avec ses premiers disciples et ses apôtres, a foulé de ses pieds ces terres devenues saintes. Il y a vécu ; et, il a enseigné à des milliers de juifs. Un grand nombre se sont convertis. Jésus aimait tout particulièrement se rendre au sud de Beyrouth, dans les cités de Sidon et de Tyr. Il y a fait des miracles et de nombreuses conversions.

Longtemps après, comme si son enseignement ne devait jamais s’éteindre, mais plutôt s’étendre, et parce que la France a une vocation particulière sur le sujet, des centaines d’écoles françaises y ont fleuri au fil des siècles. Les premières écoles ? Elles furent ouvertes pendant les croisades, lorsque les chrétiens d’Occident décidèrent de défendre les chrétiens d’Orient et de sauver les lieux saints en péril, menacés par le sabre des conquêtes musulmanes. Puis, c’est à partir du 16è siècle, que l’école française s’enracina jusqu’à aujourd’hui, en Terra Sancta. Pensez : plusieurs centaines de milliers d’élèves se sont assis sur les bancs de ses établissements !

La première pierre vivante de l’enseignement qui perdure encore ? Elle fut posée par des franciscains en 1550, à Bethléem.

Et, au Liban ?

Il y a 490 ans…

Nous sommes en 1536. Le roi François Ier et Soliman le Magnifique, le sultan ottoman, se rapprochent presque fraternellement. Le second accorde au premier le privilège de commercer librement dans tous les ports ottomans. Cet accord est une première entre un empire chrétien et un empire musulman. En plus, le roi de France devient, après saint Louis, le protecteur officiel et exclusif des chrétiens d’Orient.

Dans cette haute-dynamique qui s’enracine pendant plusieurs siècles, des congrégations catholiques (comme les capucins, les carmes, les dominicains, les jésuites, les lazaristes, les sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, les Filles de la Charité, etc.) sont envoyées au Levant pour construire des églises, fonder des monastères, des écoles et des hôpitaux. C’est, également, dans ce contexte favorable que le pape Grégoire XIII fonde le Collège maronite de Rome en 1585. Des jeunes gens du Mont-Liban s’y rendent l’âme en fête pour acquérir une formation religieuse et intellectuelle. Ils retournent ensuite au pays pour assurer des fonctions au sein du patriarcat et pour fonder des écoles… Oui, la jeunesse est au cœur de leur vocation !

Grâce à cet échange politique, commercial, religieux et culturel, une fenêtre éducative francophone s’ouvre sur le Levant.

Le 29 octobre 1886 et le 10 octobre 1972

Ce jour-là, ce 29 octobre, trois frères des Ecoles lassaliennes (des Ecoles chrétiennes) embarquent à bord d’un bateau à vapeur qui rallie Alexandrie à Tripoli (dans le nord du Liban) en quelques jours. Ils y posent la première pierre des 7 futurs établissements (à ce jour) lassaliens. Le nom du premier collège s’appelle Collège Français de la Sainte Famille.

Plus de 85 ans plus tard, le Collège des Frères Mont La Salle ouvre ses portes, le 10 octobre 1972. Il accueille pour sa première rentrée près de 2000 élèves disséminés entre la 4è et la Terminale.

Ce collège est une véritable institution officielle, selon le décret ministériel libanais n° 4004 du 25 septembre 1972. « C’est un “établissement ouvert” car, tout en s’affichant comme établissement catholique, fidèle à ses origines, il accueille les jeunes de tous les milieux sociaux et de toutes les confessions. La formation qu’il donne veut ouvrir l’esprit des jeunes au respect des grands courants culturels et spirituels. Tout en étant trilingue, son enseignement s’enracine particulièrement dans les cultures arabe et française. L’enseignement du français y est approfondi ; le grand nombre d’élèves qui sont régulièrement admis à continuer leurs études dans les universités francophones en est une preuve éclatante. »

Cet esprit, ces valeurs, cette vocation, s’expliquent par la volonté d’un seul homme : Jean-Baptiste de La Salle.

« Un inventeur génial… »

Difficile de « résumer » la vie d’un tel saint. Surtout lorsque l’on sait que sa sainteté ne s’est pas arrêtée à la porte de sa mort. Elle est encore, aujourd’hui, diffusée. Elle suinte, telle une statue miraculeuse, sur les murs de ses établissements. De ses pierres vivantes, elle exhale, en plus, un parfum qui se répand dans tout le Liban.

Orphelin très tôt, né à Reims le 30 avril 1651, et décédé le 7 avril 1719, alors qu’il est, déjà, chanoine depuis l’âge de 16 ans, Jean-Baptiste de La Salle compte mettre entre parenthèse sa vocation sacerdotale pour s’occuper de ses 6 frères et sœurs.

Oui, c’est bien dans son terreau familial et dans cette épreuve terrible de la perte de ses parents que va naître sa magnifique vocation de saint prêtre-éducateur. Il devient prêtre en 1678 et se passionne pour la jeunesse. D’autant plus que la poussée démographique de ces années-là, en France, entraîne une croissance importante de la pauvreté. C’est pour cela qu’il fonde des écoles gratuites ; puis, sa propre congrégation : les Frères des Ecoles chrétiennes, qui portent, aussi, le nom de « lassaliennes ».

Il est canonisé en 1900. Le pape François dit de lui : « Saint Jean Baptiste de la Salle, est un inventeur génial et créatif dans sa vision pour l’école, dans sa conception de l’enseignement et de la pédagogie ».

Tel un pionnier, il invente une spiritualité et une pédagogie nouvelles. C’est ainsi que l’apprentissage de la lecture se fait dans ses écoles, non sur le latin, mais sur le français ! C’est, d’ailleurs, pour cela qu’il est devenu le saint patron des enseignants et des éducateurs.

Un lavement des pieds à Mont La Salle

Chaque matin, au Collège des Frères Mont La Salle, ils sont plus de 3000, de la petite section à la terminale à gravir la colline francophone pour y recevoir une instruction digne de ce nom. Du centre de Beyrouth, il faut compter 20 mn en temps normal pour rejoindre le site. Une forêt de pins, de cyprès et de chênes, annonce l’arrivée.

A l’entrée, la photo d’un ancien élève attire le regard : celle de Joseph Aoun. Le 9 janvier 2025, il est devenu le 14è Président de la République libanaise (depuis 1943) ! Le président est un ancien élève.

La barrière se lève. Nous entrons dans le haut-lieu – l’un des premiers par son nombre – de l’éducation au Liban francophone. Là, dans la verdure des pins, la dizaine de bâtiments se faufilent. Il y a le bâtiment de la Communauté des Frères, les salles de classe, le gymnase, la grande chapelle, le bâtiment de l’administration et les terrains de sport, le centre équestre, la piscine, etc. Mont La Salle est un observatoire qui domine Beyrouth.

Dans une des allées menant aux classes, 450 élèves de terminale sont en place. Ils sont vêtus d’un uniforme impeccable, bleu azur. Le lendemain, ce seront les collégiens qui se rendront à la grande chapelle.

« Aujourd’hui, nous fêtons le Lavement des pieds du Christ à ses apôtres », indique le nouveau directeur, Gilbert Hallal, qui a succédé il y a un an à Edouard Spanioli.

Dans l’église, au pied du grand autel, la scène est reconstituée : le prêtre maronite représentant le Christ s’est drapé d’un linge et s’agenouille devant chacun des 12 élèves (12 comme les 12 apôtres). « Nous signifions, ainsi, commente le directeur, que nous sommes au service de tous les élèves sans exception. » Sans exception ? Oui, car même Juda est représenté !

Le frère Emile : au service de la Jeunesse 

Il est là, avec son expérience et son amour, sa vocation dédiée à la jeunesse. Son talent de pédagogue, sa passion de la musique et des textes, celle des chansons et des poésies.

Le frère Emile Akiki est une pierre vivante qui synthétise l’esprit et les valeurs lassaliennes. Imaginez : à 15 ans, il frappe à la porte du Juvénat, du petit noviciat de Beit-Méry. Sa vocation ? C’est, d’abord, l’histoire d’une rencontre dans son village familial de Kfardebian avec le frère Bernard Rock, Lassalien. La rencontre a lieu à 1700 m d’altitude. Elle va le mener pendant plus de 70 ans du Liban à Bethléem (le noviciat), en passant par Jérusalem (où il est professeur de français et responsable de la petite section au Collège de La Salle, il a alors 25 ans). Puis, il revient au Liban à Tripoli où il est nommé responsable d’une école gratuite. Il y reste 3 ans (entre 1969 et 1972). Les guerres du Liban ne font pas encore rage. Mais les Palestiniens sont, déjà, là… Pendant un an, il fait une parenthèse pour parfaire sa formation en France (entre 1972 et 1973). Puis, il dirige le Collège Sainte-Marie à Beit-Méry. Le frère Emile est un francophone-francophile, qui aime jouer du Mozart à… l’harmonica.

Une sur-vie !

Son parcours est semé d’embûches à partir des Guerres du Liban, où il a failli perdre la vie à 5 reprises. Blessé, il continue son ascension. Premier de cordée, il n’est pas seul. Derrière-lui, toute une jeunesse, tout un peuple… Le serviteur ne veut pas se reposer. Son repos, c’est d’être au service de la jeunesse. Kidnappé deux fois, il en réchappe… grâce à Dieu et grâce à son flegme de montagnard aguerri.

Ensuite, il est nommé pour une mission très délicate dans le village de Zgharta qui a subi de plein fouet les atrocités des guerres. Il y restera 18 ans. Très délicate mission ? Oui, car beaucoup de familles avaient perdu leurs maisons, et des élèves étaient devenus orphelins. Nous sommes, alors, en 1981.

De guerres lasses, les tragédies du Liban se terminent en 1990. 35 ans après, le frère est là, toujours debout, malgré toutes ces épreuves. Il est resté ancré dans la confiance et le service. Il se rappelle de ses anciens élèves tombés sur le champ d’honneur. « C’était très dur. Et, je me souviens même que pendant les funérailles de 6 élèves, ils nous ont tiré dessus… » Ils ? Les Syriens et leurs alliés.

Direction le… désert

Entre 1996 et 2007, il parcourt… la Jordanie. Là, il respire la paix au milieu du désert, et dirige le Collège de La Salle à Amman. Il y rencontre même le roi Hussein et la reine Nour. « Le roi aimait la France. Je me souviens quand il a reçu Jacques Chirac, il m’avait également invité. Une sorte de complicité sur la langue française avait été nouée lors de ces rencontres. » Parmi ses autres souvenirs : celui d’un ambassadeur qui venait à la messe régulièrement. Ses souvenirs remontent à la surface…

Il oublie de raconter que, comme saint Jean-Baptiste de La Salle, il a innové. Notamment, en créant un jardin dans le… désert. « Nous n’avions pas le droit de creuser des puits », explique-t-il en souriant. Comment a-t-il fait ? Mystère. Le frère ressemble à un rocher, celui de la Bible d’où jaillit l’eau.

« A jamais ! »

Le frère Emile a refusé dans les années 2000 de recevoir l’Ordre du Mérite. Finalement, sur l’insistance de l’ambassadeur de France, il l’accepte au nom de l’Institut des Frères des Ecoles.

Aujourd’hui, le frère Emile approchant des 90 ans reste très actif, il est le coordinateur des Frères au Liban. Mélomane et musicien, il est aussi un compositeur. Comme si son âme, éternelle jeunesse, aimait virevolter au-dessus de Mont La Salle où il vit depuis 2007. Il aime fredonner des chants dédiés à la maman, au papa, à la jeunesse, à la famille et aux enfants. Et, c’est pour cela qu’il est rempli d’espérance pour le Liban. Il croit beaucoup en sa jeunesse, qu’il confie tous les jours à la Vierge Marie… en chantant ! Comme le Christ, il est un serviteur infatigable.

Terminons avec la belle apostrophe de saint Jean-Baptiste de La Salle qui résume bien cette vie donnée à la jeunesse du Liban, de la France et du monde entier (les 3116 frères sont présents, aujourd’hui, dans plus de 80 pays, et scolarisent plus de 1 million d’élèves).

« Vive Jésus dans nos cœurs. A jamais ! »

De notre envoyé spécial Antoine Bordier, consultant et journaliste indépendant. Auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte).

Contact : [email protected]

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