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Pays : Liban

Le Liban otage des Palestiniens

Le Liban otage des Palestiniens

D’annie Laurent dans La Petite feuille verte :

Depuis son accession à la tête de l’État libanais, début janvier 2025, le président Joseph Aoun a inscrit à son programme la restauration de la souveraineté sur l’ensemble du territoire. Il s’agit de réserver l’exclusivité de la sécurité à l’armée et à la police, d’où l’insistance du gouvernement à opérer le désarmement du Hezbollah, parti-milice chiite parrainé par l’Iran au nom du soutien aux droits des Palestiniens (cf. PFV n° 103).

Le désarmement concerne aussi les camps dans lesquels vivent des descendants de Palestiniens contraints de quitter leur terre d’origine depuis la Nakba (Catastrophe en arabe), conflit qui a suivi le vote par l’ONU du plan de partage de la Palestine en deux États, l’un arabe, l’autre juif (29 novembre 1947), et qui s’est prolongé par une guerre opposant Israël à plusieurs pays arabes (Égypte, Liban, Syrie, Jordanie).

Le Liban a montré une grande générosité dans l’accueil des réfugiés (142 000 en 1948), et ceci malgré l’étroitesse de son territoire et la fragilité de son système multiconfessionnel. Sur la base de leurs valeurs, les chrétiens (politiques, religieux, intellectuels) s’y sont profondément investis. Les Églises locales ont contribué à l’installation des Palestiniens en mettant à leur disposition des terrains dont elles étaient propriétaires et sur lesquels ont été aménagés des camps de tentes qui furent peu à peu remplacés par des zones construites (habitations, écoles, hôpitaux, magasins, lieux de culte, rues, etc.). La plupart de ces camps sont situés aux abords des grandes villes.

Plusieurs autres vagues de Palestiniens se sont ensuite installées au Liban au gré des événements régionaux.

  • La guerre des Six jours (5-10 juin 1967) ayant opposé Israël à quatre pays arabes (Égypte, Syrie, Irak et Jordanie) ;
  • Septembre noir (1970) : expulsion de Jordanie où l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), fédération de partis militant pour la défense des droits palestiniens, créée à Jérusalem-Est à l’initiative de la Ligue arabe, tentait d’imposer par les armes ses choix au roi Hussein.
  • A partir de 1968, la Syrie qui accueillait aussi des Palestiniens, craignit d’être confrontée à une situation semblable à celle de la Jordanie. Opposé à leur armement, le régime d’Hafez El-Assad les aida à s’implanter solidement au Liban où ils créèrent des bases de départ pour des opérations militaires dirigées contre Israël.

Au fil des ans, les Palestiniens au Liban ont donc pu s’organiser politiquement et militairement en toute impunité, au risque de déstabiliser le pays d’accueil en refusant de se soumettre à l’autorité de l’État et en suscitant l’émergence de soutiens armés au sein des communautés libanaises dont ils se sentaient idéologiquement ou confessionnellement proches, notamment sunnites, chiites et druzes. Ces militants exigeaient pour les fedaïs (combattants palestiniens) une liberté absolue de mouvement, au nom de « la cause sacrée », ce qui entraîna des divisions et des affrontements avec l’armée et la gendarmerie. En 1969, l’attitude des Palestiniens provoqua une crise entraînant la démission du Premier ministre, Rachid Karamé, qui s’opposait à la fermeté du président de la République, Charles Hélou, lequel se réclamait des impératifs de la souveraineté et de la sécurité.

C’est dans ce contexte que la Ligue arabe se saisit de l’affaire allant jusqu’à imposer au Liban, qui en est membre fondateur, un règlement d’autorité. Réunis au Caire les 25 et 26 août 1969, les ministres arabes des Affaires étrangères décidèrent d’appuyer l’action de l’OLP au pays du Cèdre en insistant sur « la nécessité d’offrir toute l’aide matérielle possible et l’armement nécessaire à la révolution palestinienne et sur la nécessité de donner aux fedaïs la liberté totale d’action » ; ils rejetèrent aussi la suggestion du représentant libanais de confier à chaque gouvernement arabe sa liberté d’appréciation et d’action dans ce domaine.

La solidarité confessionnelle arabo-sunnite, sortie victorieuse de ces débats, déclencha dans chaque pays membre de la Ligue des manifestations hostiles aux «traîtres libanais », visant surtout le président Hélou, qui demandait formellement l’interdiction d’armes de guerre à l’intérieur des camps. Les pressions et manipulations des dirigeants arabes, jointes à la faiblesse des soutiens occidentaux, débouchèrent sur le choix du commandant en chef de l’armée, Emile Boustany, comme partenaire de Yasser Arafat pour négocier une solution. L’affaire s’acheva le 3 novembre 1969 par la signature du document appelé « Accord du Caire » qui mettait Hélou devant le fait accompli et fut ensuite approuvé par le Parlement libanais. Sur cet épisode, cf. Annie Laurent et Anntoine Basbous, Guerres secrètes au Liban, Gallimard, 1987, p. 26 à 31 ; Joe Khoury-Hélou, Charles Hélou, Hamlet de l’accord du Caire, Presses de l’Université Saint-Joseph, Beyrouth, 2014, p. 193-219.

Par ce texte, les Palestiniens résidant au Liban se voyaient reconnaître le droit de participer à la lutte armée contre Israël ; ils bénéficiaient d’un statut d’extraterritorialité dans l’Arkoub, région du sud-est favorisant un accès à la Syrie par où des armes pouvaient lui parvenir, et dans les camps où l’OLP fut autorisée à installer sa propre police et où l’armée libanaise n’avait pas le droit de pénétrer.

L’année suivante (1970), c’est Beyrouth que Yasser Arafat, chef du Fatah (« Conquête » en arabe), mouvement politico-militaire fondé par lui en 1959, a choisi pour y annoncer la naissance de « la révolution armée (qui) est la voie de la victoire et du retour en Palestine ». (Cf. A. Laurent et A. Basbous, id., p. 18). En Orient arabe, le Liban devenait le seul pays à permettre ce genre d’audace, de surcroît facilitée par la faiblesse d’une armée de métier mal équipée et par la proximité géographique d’une partie de son territoire avec Israël.

Chaque clause de l’Accord du Caire était assortie de l’engagement des Palestiniens à agir en coordination avec les autorités civiles et militaires libanaises. Mais dans la pratique, par le biais de concessions obtenues du deuxième bureau de l’armée et du ministère de l’Intérieur, en principe chargés de mettre en œuvre l’application du document, celui-ci servit de prétexte à la militarisation des camps, peu à peu transformés en fortins retranchés, ainsi qu’au recrutement et à l’entraînement de commandos qui s’étendirent à l’ensemble du pays. La police et l’armée furent dépouillées de facto de leurs prérogatives partout où l’OLP prenait position. Peu à peu, les Palestiniens en vinrent à tout régenter dans les zones qu’ils contrôlaient et à s’ingérer dans les affaires intérieures libanaises, encouragés par plusieurs régimes et partis arabes et musulmans qui voyaient dans cette emprise l’occasion d’en finir avec un système politique garantissant l’égalité citoyenne à tous les ressortissants.

La priorité fut alors donnée à la consolidation de l’implantation palestinienne au détriment de la lutte armée contre Israël. À partir de 1971, le nombre d’opérations contre l’État hébreu décrut dans de notables proportions tandis que les symboles de l’État libanais constituaient désormais la première cible des attaques de l’OLP, ce qui a conduit des partis chrétiens à s’armer pour résister à cette emprise (id., p. 32 à 38).

Seule une connaissance précise du contexte de l’époque permet de comprendre les causes de la guerre au Liban, déclenchée le 13 avril 1975 par l’agression de chrétiens à Aïn-Remmaneh (banlieue de Beyrouth), et suivie par une riposte de miliciens chrétiens contre un autobus transportant des Palestiniens armés. Plusieurs pays de la région s’engagèrent alors dans la déstabilisation du pays du Cèdre. Comme l’a montré le responsable politique chrétien orthodoxe, Ghassan Tuéni, avant d’être une « guerre civile », le conflit fut une « guerre pour les autres » (Une guerre pour les autres, JCLattès, 1985).

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