Grégor Puppinck, directeur du Centre Européen pour les droits de l'homme et la justice, a assisté aux deux interventions du vicaire du Christ à Strasbourg. Extraits de son analyse :
"[…] Je pense qu’aujourd’hui cette visite a un sens particulier parce que l’Europe a fait un virage, elle est sur le point critique de son histoire avec une concomitance de plusieurs crises actuelles : une crise de confiance dans le mécanisme européen, dans le processus institutionnel et de développement de l’Union européenne. C’est une crise importante parce que nous avons vu les résultats des élections qui ont montré que maintenant, il y a beaucoup de scepticisme à l’égard des institutions européennes. Vient ensuite une crise économique très forte, même financière également, il y a beaucoup de chômage, surtout parmi les jeunes. S’y ajoute une crise culturelle : l’Europe ne sait plus très bien quelles sont ses valeurs. Et puis, une crise géopolitique avec le conflit ukrainien qui traverse actuellement l’Europe. Toutes ces crises sont importantes, elles mettent en cause l’avenir du continent européen, de notre civilisation. Lorsque l’Europe est en crise, c’est le moment extrêmement important où l’Eglise catholique peut venir parler pour resituer l’Europe, notre projet politique, notre société dans une perspective beaucoup plus longue afin d’essayer de sortir de cette crise, de voir au-delà des événements à court terme. C’est le moment où l’Eglise peut venir repositionner l’Europe, nous resituer dans le temps long, dans le temps de l’Eglise qui atteint bimillénaires. Dès le départ, l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe ont toujours accompagné l’histoire du continent européen. Donc, lorsque le continent est en crise, il est important que les chrétiens s’adressent et remontrent aux peuples européens quelles sont les vraies valeurs et les priorités. Plus précisément, le sens du message du Pape François était d’essayer de dépasser la crise pour remontrer aux peuples européens quelles sont les vraies valeurs qu’il faut rechercher, qu’il faut poursuivre au-delà des valeurs purement mercantiles et individualistes qui, trop souvent, déterminent notre politique.
[…] Il a invité les institutions de l’Europe occidentale à refonder notre projet politique non plus sur l’économie, sur les finances ou sur la technologie, mais sur la personne, sur la dignité transcendante de la personne humaine. C’est une question de hiérarchie de valeurs. Trop souvent, la politique européenne est déterminée uniquement par les intérêts économiques et technologiques. Et le Pape a dit : cette approche-là, individualiste, rend stérile notre culture. Il faut réussir à dépasser ces valeurs économiques, financières et techniques en plaçant au-dessus un point de référence bien plus élevé et important qui est issu de la personne humaine et de sa transcendance, c’est-à-dire de la capacité, de la spécificité de la personne humaine qui la distingue de tout le reste qui est à la fois son enracinement dans la réalité et son ouverture au spirituel. Alors, tout le propos du Pape a été de dire : au-dessus de l’économie, au-dessus de la finance, il doit y avoir d’abord la recherche de la protection et de l’affirmation de la dignité transcendante de la personne humaine. C’est uniquement si on refonde notre politique, notre projet politique sur cette dignité qu’elle peut retrouver un sens et être réhumanisée. Finalement, ce que le Pape a dit, c’est que l’Europe souffre aujourd’hui d’être déshumanisée, d’avoir perdu le sens de l’humain. […]
Par contre, le deuxième discours qu’il a fait devant le Conseil de l’Europe, institution qui regroupe 47 Etats dont, notamment, toute l’Europe centrale, l’Europe orientale, la Russie, l’Ukraine, la Turquie, etc. Le deuxième discours du Pape a été également très important. Il s’est concentré essentiellement sur la paix. Il a rappelé que la finalité du Conseil de l’Europe a toujours été d’être au service de la paix en Europe et qu’aujourd’hui encore cette institution doit maintenir cette œuvre, cette recherche d’instauration de la paix en Europe. Cette paix, il l’a dit, il l’a défendait d’abord, doit être fondée sur une juste compréhension de l’homme et de la société. Mais il a ajouté deux éléments qui me paraissent très importants et nouveaux dans le discours de l’Eglise catholique. L’Europe doit renoncer à une approche purement monolithique, elle ne doit pas chercher à constituer un ensemble politique monolithique mais doit se considérer elle-même comme un ensemble multipolaire. La multipolarité c’est la reconnaissance qu’il peut y avoir légitimement plusieurs centres de pouvoir politique en Europe. Le but n’est pas de construire une Europe uniforme mais de reconnaître que l’Europe est un organisme vivant, est une culture, une société, une civilisation qui a une diversité. […]"