Des heurts avaient éclaté à Beyrouth où des dizaines d’assaillants ont détruit les tentes érigées par les manifestants, prenant des chaises pour projectiles et attaquant avec des bâtons les manifestants qui n’avaient pas fui à leur approche. La police avait déjà dû intervenir brièvement dans la matinée sur un pont autoroutier pour stopper des échauffourées impliquant des partisans du Hezbollah pro-iranien.
L’intervention du Premier ministre a été accueillie par les vivats de la foule qui l’écoutait en direct sur plusieurs lieux de rassemblement, avant que ne retentisse l’hymne national repris à pleins poumons par les manifestants. Des feux d’artifice ont été aussitôt tirés dans Beyrouth tandis que des voitures sillonnaient la ville tous klaxons hurlants en signe de victoire.
Dans Présent, Sophie Akl Chedid, explique :
[…] Au Liban, après 40 ans de domination de la scène politique et sociale par les seigneurs de la guerre recyclés depuis 1990 en tyrans mafieux, 14 ans après le sursaut national qui a chassé l’oppresseur syrien mais s’est brisé sur les compromissions politiciennes, le peuple libanais joue le tout pour le tout et rejette tout à la fois le modèle confessionnel qui l’asservit en le divisant et ses leaders traditionnels considérés dans leur grande majorité comme des champions du népotisme et du clientélisme les plus éhontés, ayant transformé la Suisse du Moyen-Orient en un des pays les plus corrompus au monde.
Pour se défendre, le régime souffle le chaud et le froid. A les entendre, tous sont aux côtés des protestataires à qui ils font le coup du « je vous ai compris », avant d’envoyer le secrétaire général du Hezbollah en première ligne pour mettre en garde contre le risque de vide institutionnel, de chaos et même de guerre civile. En réponse, les Libanais ont formé dimanche une chaîne humaine de 170 kilomètres du nord au sud du pays avec pour unique slogan l’hymne national.
Accusés d’être manipulés et financés depuis l’étranger, les Libanais soulignent le quasi-silence des médias occidentaux. Accusés d’être des agitateurs, ils refusent toute forme de violence et proposent des solutions conformes à la Constitution telles que l’organisation d’élections législatives anticipées et la nomination d’un cabinet restreint de spécialistes capables de faire face à l’urgence économique. Les universitaires, les avocats, les médecins, les ingénieurs, les artistes prennent la parole tour à tour, mais aussi les mères de famille, les ouvriers, les commerçants, les paysans et les chômeurs. Tous les jours, le silence se fait à l’heure de la prière devant les églises et les mosquées. Ils sont deux millions, sans leader et donc insaisissables, un cauchemar pour les autorités cramponnées à leurs privilèges.
Quoi qu’il arrive dans les jours et les semaines qui viennent, une lame de fond multiconfessionnelle et profondément patriote est en train de consacrer l’union nationale. C’était le rêve assassiné d’un certain Bachir Gemayel.