Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d’économie politique à l’Université catholique de l’Ouest (Angers) et à l’Institut Albert le Grand (Lyon), rédacteur en chef de Conflits, Jean-Baptiste Noé vient de publier un ouvrage passionnant sur Le Déclin d’un monde. Géopolitique des affrontements et des rivalités en 2023.
A l’heure de la guerre en Ukraine, la plupart des ouvrages se focalisent soit sur les conflits inter-étatiques soit sur les conflits asymétriques, or il existe beaucoup d´autres conflits : guerre économique (rivalités pour l’approvisionnement en minerais rares, cobalt, nickel, lithium ), terrorisme, guerre du droit, guerre du soft power (entre pôles de l’islam sunnite et chiite), disputes autour des grandes routes maritimes de la mondialisation, guerre de l’espace et des armes de rupture (missiles hypersoniques), câblages sous-marins, etc..
Il s’agit ici de comprendre les rivalités actuelles mais aussi de tenter une prospective sur les cinq années à venir : quels sont les conflits qui vont s’aggraver et quels sont ceux qui risquent de se déclencher ? L’une des clés de cette prospective, c’est la démographie :
La géopolitique est au service d’une vision de la puissance. Pour bâtir la puissance, il y a l’espace, mais aussi la démographie et la ressource. Le mot est presque banni, voire tabou. La puissance a mauvaise presse car elle est confondue avec l’expansionnisme et l’impérialisme. Pourtant, elle est une condition de la liberté des peuples et des Etats. Plus que jamais, la puissance demeure l’épée du monde. La puissance est à la fois potestas, c’est-à-dire le pouvoir imposé et l’auctoritas, c’est-à-dire l’autorité, la puissance qui émane de la compétence. La puissance, c’est aussi la grandeur et la volonté de jouer un rôle sur la scène mondiale : rôle qui nous serait donné par l’histoire, la géographie, le destin. Non pas seulement une puissance pour soi, mais aussi pour les autres.
La puissance n’est pourtant pas automatique et l’Europe ferait bien de s’en souvenir :
L’Europe se croyait en paix, protégée par le cordon de l’universalisme. Puisqu’elle voulait la paix, les autres devaient la vouloir aussi. Parce qu’elle n’était pas une puissance belligérante, les autres ne devaient pas l’attaquer. L’universalisme croyait en la paix perpétuelle. Bien sûr il fallait de temps en temps intervenir, comme en Libye ou en Syrie, mais c’était pour protéger les populations civiles : c’était, parfois, avec l’aval de l’ONU, donc ce n’était pas vraiment une guerre. Ainsi est né le mythe de l’Europe en paix depuis 1945. Un mythe profondément enraciné qui est surtout un aveuglement. La guerre est effacée de l’ordre mental, à tel point que les Européens sont frappés d’une amnésie collective qui leur fait refuser de voir la réalité de la guerre, même quand elle est là. Certes, depuis 1945, l’Allemagne n’a pas envahi la France, ce qui est un progrès notable. Mais depuis cette date, les pays d’Europe ont connu un nombre majeur de guerres. Guerres coloniales […] Guerre froide […] Guerre civile au Royaume-Uni et en Espagne avec les séparatistes irlandais et basques. Guerres idéologiques aboutissant à l’usage massif du terrorisme […] Guerre des Balkans […] Guerre d’Ukraine, débutant en 2014 […] Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a cessé d’être en guerre […]