Sur Boulevard Voltaire, Laurent Dandrieu répond au père Stalla-Bourdillon
"Une Église qui prône la « culture de la rencontre » se doit, plus que toute autre institution, d’être ouverte au débat. Une Église disposée à aller vers les périphéries ne peut pas manquer de s’intéresser à cette périphérie particulière que sont ses propres fidèles, que certains aspects de son discours actuel met mal à l’aise. Aussi ne pouvait-on que se réjouir de voir le blog du père Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pastoral d’études politiques et aumônier des parlementaires, se pencher sur cette question éminemment politique de la position de l’Église sur l’immigration, et répondre aux nombreuses objections qui ont été soulevées ici ou là à l’encontre du récent message publié par le pape François à l’occasion de la prochaine Journée mondiale du migrant et du réfugié. Et c’est pourquoi, aussi, on ne pouvait qu’être déçu que ce billet, au lieu de répondre à des objections réelles, concentre ses attaques sur des objections fantasmées, ou peut-être glanées sur les réseaux sociaux, dont on sait qu’ils ne sont pas précisément le lieu idéal pour un débat intellectuel serein et approfondi.
Contrairement à ce qu’affirme le père Stalla-Bourdillon, personne – en tout cas, personne de sérieux – ne réclame du pape qu’il se fasse le « défenseur de la supériorité culturelle de l’Europe chrétienne » ; personne de sérieux ne désire que l’Église s’engage dans « une logique de domination territoriale », personne ne souhaite que le pape abdique la dimension universelle de sa mission pour se replier sur le pré carré de l’Europe chrétienne, personne de sérieux n’entend réduire « le christianisme à une identité culturelle ». Le débat n’est évidemment pas celui-là.
En revanche, ce qui peut à bon droit inquiéter dans le message du pape, c’est de sembler dénier aux Européens le droit, ou la possibilité concrète, de défendre leur identité nationale – un combat auquel l’Église ne saurait s’identifier au détriment de sa mission universelle, mais dont elle ne saurait non plus nier la légitimité. Jean-Paul II ne déclarait-il pas que « la défense de l’identité nationale a aussi une valeur religieuse » ?
Le débat véritable, c’est de savoir si opposer sécurité nationale et sécurité personnelle, comme le fait le pape François, a un sens – car il n’existe à l’évidence aucune sécurité personnelle possible sans un cadre politique, juridique et légal qui le protège et, en Europe au XXIe siècle, ce cadre s’appelle la nation.
Le véritable débat est de savoir si, en plaidant que la sécurité personnelle des migrants doit toujours avoir la priorité sur la sécurité nationale, François ne nie pas la possibilité même d’un bien commun pour les peuples d’Europe. Le véritable débat est de savoir si « le principe de la centralité de la personne humaine » qu’il met en avant pour justifier cette priorité peut ne s’appliquer qu’aux migrants, et être dénié aux populations des pays d’accueil en leur refusant cette sécurité nationale qui est la condition concrète de leur sécurité personnelle.
Le véritable débat est de savoir si, en plaidant pour des droits identiques pour les clandestins et pour les immigrants légaux, le pape ne porte pas un autre coup fatal à la possibilité du bien commun en sapant le principe même de la légalité.
Le véritable débat est de savoir si, en prônant différentes mesures – regroupement familial très élargi, condamnation des politiques d’assimilation, consentement à l’arrivée massive de populations musulmanes, etc. – qui ne peuvent qu’aboutir à une Europe multiculturelle, le pape ne contribue pas à créer les conditions d’un chaos généralisé, sans profit pour personne.
Le véritable débat, enfin, est de savoir s’il ne serait pas temps, pour l’Église, de sortir de l’idéologie du tout-migratoire et si, plutôt que l’accueil inconditionnel, ce qu’il faudrait plaider à temps à contretemps ne serait pas plutôt des politiques permettant aux candidats à l’émigration de vivre sereinement et « prospèrement » dans leur pays d’origine – un souci qui n’est aujourd’hui exprimé par l’Église que très marginalement.
Oui, c’est à ces objections-là, qui sont sérieuses et qui taraudent beaucoup de consciences catholiques, que l’on aurait souhaité que le père Stalla-Bourdillon répondît. Mais il faudrait, pour cela, une réflexion qui consente à reconnaître, à la suite de saint Thomas d’Aquin, que la doctrine sociale de l’Église ne peut se contenter de considérer le bien des personnes prises individuellement, sans se soucier le moins du monde du bien commun des communautés naturelles, parce que ces communautés naturelles sont le cadre ordinaire et naturel du bien des personnes ; que « l’accueil inconditionnel des personnes » connaît forcément des limites, qu’il ne peut s’exercer que dans la mesure où il ne ruine pas le bien commun ; bref, qu’il existe quelque chose qui s’appelle la politique, qui n’est ni obscène ni vulgaire, mais l’art très noble de préserver les conditions de « l’état tranquille de la cité » dont parlait saint Thomas d’Aquin, cet état tranquille de la cité qui est la condition sine qua non pour que l’homme puisse accomplir son destin ultime, surnaturel.
Il faudrait surtout que « la culture de la rencontre » ne se limite pas à être un slogan, mais qu’elle oblige à s’astreindre à la culture du débat, à entendre ce que celui qui ne pense pas comme vous a – réellement – à dire, sans supposer a priori qu’il ne puisse être mû que par des arrière-pensées inavouables, illégitimes et méprisables. Force est de constater que cette culture du débat, dans l’Église d’aujourd’hui, n’est pas forcément la chose la mieux partagée."