Censurée à la Sorbonne, Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, chargée de recherche CNRS, est interrogée dans La Nef sur le réseau des Frères Musulmans. Extrait :
Vous évoquez des méthodes utilisées par les fréristes, telles que la ruse, la dissimulation ou le mensonge : pourriez-vous nous l’expliquer et donner des exemples ?
La ruse, la dissimulation ou le mensonge, c’est par exemple s’allier provisoirement avec des groupes qui ne partagent pas la même idéologie, pas les mêmes buts, et s’en servir pour parvenir à ses fins sachant qu’il faudra tôt ou tard s’en débarrasser. On parle de woke islamisme, mais en réalité on a affaire à un usage purement instrumental par le frérisme du wokisme, lequel est un sous-produit autodestructeur, faussement critique, des sociétés européennes et américaines. Le wokisme agit comme un bulldozer, il prend le prétexte de déconstruire les sexes, les races, les religions pour en saper l’assise. Il n’y a aucune chance qu’il y parvienne mais, en attendant, il déstructure le tissu social, généralise la méfiance, organise la guérilla et distille en permanence un sentiment de culpabilité et de mauvaise conscience chez les descendants des « Blancs » auxquels on reproche ce que leurs ancêtres ont fait.
Les Frères utilisent sciemment cette force d’auto-destruction européenne. La stratégie de Qaradawi pour se développer dans un environnement hostile (dar el kufr) s’appuie sur la jurisprudence de l’équilibre, notion absolument centrale dans l’islam wassat (islam du juste milieu). Ce fiqh de l’équilibre consiste à rechercher les priorités par rapport au plan défini, à choisir le moindre mal, à mettre en balance les avantages et les inconvénients, à agir au bon moment. Il n’est pas illicite de détruire et tuer, pour autant que la balance bénéfice-risque soit favorable :
« Pendant la phase mecquoise du Message, le Prophète n’a pas permis aux musulmans de prendre leurs haches et de détruire les idoles qu’ils voyaient tous les jours autour de la Kaaba, ni de brandir leurs épées pour se défendre ou combattre leurs ennemis et ceux d’Allah qui leur infligeaient des tortures. […] Il y a un moment approprié pour tout. Si une chose est recherchée avant que le moment ne soit venu, elle sera très probablement nuisible, et non utile. »
En clair, la conquête doit être progressive, la violence n’est pas rejetée mais doit intervenir au bon moment. Autre exemple emprunté à la campagne du FEMYSO malheureusement relayée par le Conseil de l’Europe, parler de « liberté dans le hijab » alors que les Frères prétendent par ailleurs que c’est une obligation religieuse est un raccourci rusé qui hélas fonctionne…
Quels sont les alliés politiques des fréristes ? Et qu’ont en commun gauchisme et islamisme ?
On trouve les alliés politiques à gauche, ce qui n’empêche pas des élus de droite de se compromettre avec l’islamisme par clientélisme. Les alliés utiles servent la cause frériste avec tant d’élan parfois qu’on peut se demander s’ils ne le soutiennent pas, s’il n’y a pas une envie, exotique ou réelle, d’ordre islamique. […]