Dans une très intéressante analyse du discours de Ratisbonne (ici en pdf), le philosophe Raphaël Lellouche estime que, quand Benoît XVI affirme que "le christianisme a fini par trouver en Europe le lieu d’une empreinte historique décisive", cela signifie que c’est le christianisme, nécessairement lié à la raison grecque, qui a créé l’Europe. C’est pourquoi, l’Europe est chrétienne dans son essence, avec toutes les conséquences politiques qu’on peut en tirer. Mais aussi, cela signifie que le christianisme est européen. Ce qui ne s’oppose pas l’universalité du catholicisme (excusez le pléonasme).
Dans son ouvrage, L’Europe, ses fondements, aujourd’hui et demain, le cardinal Ratzinger affirmait que l’évangélisation du monde devait commencer par la réévangélisation de l’Europe. L’idée du pape, selon le philosophe, est de rechercher comment évangéliser les autres cultures (on sait que le dialogue interreligieux est passé sous la coupe du Conseil pontifical pour la culture). A la question de savoir si l’on peut "inculturer" le christianisme dans les autres cultures, en le vidant de son aspect européen (qui ne serait donc pas nécessaire à l’évangélisation), le pape répond par la négative.
En résumé, ce fameux discours s’oppose à 3 choses : au tiers-mondisme postcolonial et relativiste, à la modernité rationaliste d’une raison scientiste et à la guerre de religion, par conséquent au jihad et à toute violence religieuse.
Michel Janva (merci à P.G.)
claire
LUMINEUX!!!
Merci de cette info très précieuse et très cohérente.
je signale ce soir à Lille, couvent des Dominicains avenue salomon, une conférence du Pr René Rémond sur les racines chrétiennes de l’Europe, dans le cadre d’une série “mémoire et identité”.
AUBERT Claude
Sur cette question capitale, je vous suggère la lecture d’une analyse très fouillée de la symbolique européenne, à travers les billets de la banque centrale européenne. Le diagnostic est clair : l’Europe est chrétienne, mais l’UE est iconoclaste.
Lisible sur :
http://antimoderne.hautetfort.com
Claude A.
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Mieux vaut paraitre stupide cinq minutes qu’ignorant toute sa vie : quelqu’un peut-il developper pour moi l’idée du “christianisme nécessairement lié à la raison grecque” ? D’autre part, ma fille a choisi l’option IEP en classe d’hypokhâgne cette année ; elle est tous les jours surprise d’entendre les profs insister sur ce que l’on doit à la civilisation grecque et ne jamais faire référence aux racines chrétiennes de l’Europe
l'Omnivore Sobriquet
Tout ceci est bel et beau, et j’y concours. Nécessaire très certainement, logique. Mais une vague inquiétude m’apparait, impatience probablement : le Vatican n’est-il pas en train ‘d’oublier’ l’Afrique Noire ?, l’Amérique Centrale, l’Amérique du Sud ??
Certes, Benoît Seize n’est pas Jean-Paul Deux, moins ‘pélerin’ et moins, hm, ‘sportif’ ou ‘spectaculaire’, (plus ‘helvétique’ ? dirais-je avec légèreté :-), mais il y a un besoin énorme d’aide visible et ‘directe’, en Afrique surtout. Tout comme l’Amérique Sud/Centrale doit être et ‘est’ le bastion évident de la catholicité ‘du nouveau monde’… Si j’osais, je dirais ‘qu’il ne faut pas désespérer Billancourt’…; l’Afrique Noire en particulier, a besoin d’un geste fort, d’un signe éclatant et d’une aide solide… une différence entre la piètre ‘repentance’ néo-médiatique (mises en esclavage, compromissions etc.) et… la pleine pitié catholique, permanente, qui inclue l’intelligence profonde… Être catholique en Afrique en 2006 n’est certainement pas facile. Je suis persuadé que le catholicisme triomphera à la face du monde dans les décennies à venir, par son unique et singuliaire ‘ambition africaine’, qui est universaliste, ‘européenne’ en quelque sorte !!…
Mais peut-être qu’après tout une certaine ‘pénitence’, un effort de ‘privation’ est en ce temps-ci bénéfique, pour des temps futurs, (et présents ?), dans ces contrées donc le monde.
Enfin.. je phrase peut-être un peu facilement, et ne doute pas que tout ceci est déjà bien connu de notre église, l’actuelle comme l’éternelle, mais il me semble opportun de le réactiver… S’il y a probablement un aspect européen dans l’universalisme catholique, à ressourcer (d’urgence ?) (?!), en priorité, une résonnance magnifique et des troupes bien nombreuses sont en péril hors de l’Europe… et je ne vois rien actuellement provenant du Vatican qui s’y… déplace.
Je suis sans nul doute ‘un attardé’, la tête dans le pontificat de JPII encore… et comme je vois les merveilles se déclancher à un rythme accéléré en provenance du Vatican ces derniers temps, suis serein, suis patient.
Denis Merlin
Cher Monsieur “/” (ou Madame),
Le mieux serait d’aller puiser dans le discours de Ratisbonne, lui-même la vraie culture se puise aux textes originaux.
Je vais tenter de vous dire ce que j’ai retenu du discours de Ratisbonne. C’est du Jean-François qui répète ce qu’il a lu.
Historiquement, il semble que les juifs pieux et savants ont été en relation avec la pensée grecque dès une Antiquité reculée. Si l’on fait abstraction de Moïse à l’époque duquel il semble qu’il y ait déjà une ébauche de relations, cette relations se concrétise lors de la rédaction de la traduction des Septantes (soixante-dix savants Juifs Egyptiens qui ont traduit la Bible de l’hébreu en grec au IIIème siècle avant Jésus-Christ, cette traduction faisant autorité encore aujourd’hui) qui est plus qu’une simple traduction.
Donc la foi juive dès cette époque de façon embryonnaire, et sans solution de continuité (mais non unanimité) depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui, la foi est devenue la synthèse entre foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et la raison appliquée aux questions théologiques et morales, la raison des philosophes Grecs, puis plus tard des juristes et des poètes Romains. Ces trois traditions sont indissociables dans la foi. Dieu nous parle directement dans la foi juive, il nous parle indirectement dans la raison mais on ne peut dissocier ces sources et dire “moi je suis pour la foi seule”, “moi je suis pour la raison seule”. Qui veut être chrétien trouve dans la foi la raison de l’homme expliquant la foi, et la foi ne dédaignant pas s’appuyer sur la raison. Donc la théologie, la foi catholique, est indissociablement judéo-hellène, selon une tradition qui remonte au temps de la synagogue, au bas mot au troisième siècle avant Jésus-Christ.
Voilà, Monsieur, ce que j’ai compris du fameux discours de Ratisbonne de septembre 2006.
Si je peux ajouter une remarque personnelle : dans l’Evangile Jésus s’oppose à la fois aux pharisiens qui sont les “intégristes” de l’époque (la foi seule) et aux saduccéens les rationalistes de l’époque (de cultivés représentant de la classe riche nourrie de culture grecque). Il fait remarquer aux pharisiens qu’ils ne sont pas raisonnables, que leurs conclusions sont absurdes et aux sadducéens qu’ils ont perdu la foi. Bon, ce dernier paragraphe, c’est une thèse personnelle, un spécialiste trouverait à y redire (car il n’est pas certain que les pharisiens aient récusé la sagesse rationnelle grecque)… De même Saint Paul, un homme très cultivé et un ancien pharisien, dit dans la foi “il n’y plus ni Juif, ni Grec.”
David
Sed contra : le lien que vous indiquez, de mars 2006, ne parle que d’union des présidences des conseils. Le cardinal Poupard a fait une mise au point récemment (Zenit, 5 octobre). Amicalement.
“Benoît XVI ne veut pas supprimer le conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, déclare le cardinal Poupard, qui confirme en outre que voyage du pape Benoît XVI en Turquie se fera […]
A propos de la rumeur qui attribue au pape l’intention du supprimer le conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, le cardinal fait cette mise au point : « C’est un mensonge total. Et il est très grave qu’elle continue à être relancée en dépit de toutes les rectifications. Il nous arrive de rencontrer des interlocuteurs de pays lointains convaincus que le conseil n’existe plus ou sera bientôt démantelé ».
On se souvient qu’en mars dernier, le cardinal Poupard a été nommé par Benoît XVI également président du conseil pour le Dialogue interreligieux. Il affirme qu’il n’y a aucune « subordination » de ce dernier dicastère par rapport au précédent. « Un seul cardinal préside les deux conseils mais ceux-ci restent intactes et autonomes », précise-t-il.”
[Réponse de MJ : je ne dis pas qu’il a été démantelé, j’ai écrit qu’il est passé sous la coupe : preuve en est du Cardinal Poupard alors préfet du Conseil pour la Culture qui “cumule” les mandats si j’ose dire. De fait, vous remarquerez que Benoît XVI ne parle plus de dialogue interreligieux sans y accoler systématiquement le terme “interculturel”, montrant ainsi que les deux sont liés.]
athanase lansac
Sur ce sujet voici un très bon extrait d’un article de La Nef:
Cinq années après les attentats du 11 Septembre, le pape a rappelé le danger d’un choc des
civilisations et exhorté l’Occident à retrouver son identité chrétienne. « Les cultures profondément
religieuses du monde voient dans l’exclusion du divin une attaque contre leur conviction les plus
intimes », et de prévenir: « Repoussant la religion dans le champ de la sous-culture », l’Occident
sera incapable « de s’insérer dans le dialogue des cultures ». Sans la foi en ce Dieu « au visage
humain », l’Occident, rongé par « la dictature du relativisme », se trouve désarmé face à un Islam
transcendant et déraisonnable. La modernité dominante méprise Dieu. L’islam radical tel qu’il se
manifeste tous les jours et en tout lieu de la planète par une violence sanglante ignore la raison. À
ces deux maux de la pensée humaine, Benoît XVI reprenant saint jean répond: « Ne pas agir avec le
Logos est en contradiction avec la nature de Dieu ».Cette spécificité propre à l’Europe, le pape est
venue la rappeler avec force à ses concitoyens: « sans fidélité a son essence chrétienne, l’Europe ne
sera plus. La rencontre intime qui s’est réalisée entre la foi biblique et les interrogations de la
philosophie grecque n’est pas seulement un événement concernant l’histoire des religions, mais (…)
a fait l’Europe et reste au fondement de ce qu’on peut appeler à juste titre l’ Europe », a réaffirme
le Saint-Père à Ratisbonne. Une déclaration qui n’est pas anodine à deux mois du voyage du
Souverain Pontife en Turquie.
Guillaume Desanges. La Nef.
David
Cher Michel,
Je n’ai pas envie de me disputer avec vous… Mais c’est précisément contre votre “tomber sous la coupe” que j’ai réagi. Le cardinal dit explicitement qu’il n’y a aucune subordination. D’un point de vue institutionnel, on pourrait donc tout autant dire que le conseil pour la culture est tombé sous la coupe de celui pour le dialogue interreligieux. (je vous accorde qu’en revanche, sur le fond, cela a moins de signification dans ce sens-là)
Sur le fond, je suis d’accord, le pape veut insister sur l’insistance du contexte culturel pour dialoguer entre fidèles de diverses religions. Pour autant, vu ses textes (et ses livres antérieurs), il ne nie pas (ce serait idiot) la réelle spécificité du dialogue interreligieux.
Quant à la pratique du Conseil pour le dialogue interreligieux (exemples cités dans la dépêche de Zénit du 5 octobre), elle est dans la ligne des années précédentes, me semble-t-il.
Bon travail.
[Réponse de MJ : Mais il n’y a plus qu’un seul dicastère dont le chef était et est toujours Président du Conseil pour la Culture. Je crois qu’il ne faut pas y voir une opposition avec le passé, mais une précision sur ce que doit être réellement le dialogue interreligieux.]
David
Excusez-moi d’insister, mais je crois que vous vous trompez. Si je ne m’abuse, dicastère est un terme générique, qui s’applique aux congrégations comme aux conseils. Or il y a bien deux Conseils !
Relisez le communiqué de Zenit auquel renvoie votre message initial : le pape « pour le moment a uni la présidence de ce Conseil à celle du Conseil pontifical Justice et Paix », et donc « a nommé le cardinal Renato Raffaele Martino comme nouveau président du Conseil pontifical de la Pastorale pour les Migrants et les Itinérants ».
Et de même, « le pape, afin de favoriser un dialogue plus intense entre les hommes de culture et les représentants des différentes religions, a uni, pour le moment, la présidence du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux à celle du Conseil pontifical de la Culture et, en conséquence, nommé le cardinal Paul Poupard comme président du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux ».
Voilà, c’est juste pour la précision. Il est fort possible que vous ayez raison dans le sens où ce ne serait qu’un premier pas dans une réforme de la Curie opérée par le pape (lentement et fermement, comme à son habitude) et qui verrait la fusion des Conseils (de 4 en 2).
Mais pour l’instant, dans les deux cas (les deux paires de Conseils), seules les présidences sont unies. Enfin, il me semble d’après ce que j’ai lu…
Pardonnez-moi de cette insistance, uniquement for the sake of precision.