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France : Politique en France

Législatives : en quoi le «front républicain» est-il républicain ?

Législatives : en quoi le «front républicain» est-il républicain ?

De Thibaud Collin dans le JDD :

En quoi le « front républicain » est-il républicain ? La question peut apparaître absurde mais elle mérite d’être posée ; ne serait-ce que pour sortir d’un réflexe pavlovien fondé sur des présupposés impensés, ce qu’on nomme habituellement des préjugés. La philosophie politique s’avère précieuse pour dissiper, grâce à l’analyse sémantique, quelques nuées verbales.

Res publica, la chose publique, est l’objet propre de la vie politique. Cette chose n’est rien d’autre que la vie de la communauté politique, c’est-à-dire la vie commune aux citoyens formant cette communauté. La politique est ce par quoi la cité (polis) se gouverne, c’est-à-dire discerne quel est son bien à réaliser dans des circonstances singulières et changeantes. La forme politique principale n’étant plus aujourd’hui la cité mais la nation, la chose publique, la res publica, est donc l’objet d’une vie politique nationale.

Et pas plus que la cité, la nation n’est universelle. C’est toujours telle ou telle nation. Il est dès lors impossible de considérer que l’usage du terme républicain soit décorrélé de l’épithète national. Il faut donc en toute rigueur parler d’un front républicain français. Une telle expression semble neutraliser les réflexes pavloviens. En quoi la prise de conscience de cet impensé est-elle féconde dans le contexte français actuel ?

Rappelons qu’un front est relatif à un affrontement opposant deux ennemis. Parler de front républicain pour désigner un conflit interne à la nation signifie ipso facto que la nation est divisée d’avec elle-même, situation que l’on nomme précisément guerre civile.

La guerre civile est la négation de la politique puisqu’elle est la négation de tout gouvernement de la vie commune. Si ce n’est pas un réflexe pavlovien, en appeler à constituer un front républicain contre un autre parti politique est une décision d’une extrême gravité. Cette décision est-elle légitime et responsable ? Nonobstant la rhétorique politicienne, est-il possible de révéler le sens et les enjeux d’un tel mot d’ordre ?

Nous lisons dans l’éditorial du journal Le Monde paru le lendemain du premier tour des législatives

« Seule la constitution d’un front républicain puissant peut encore faire barrage à un parti qui, en dépit de toutes ses dissimulations, reste éminemment dangereux parce que sa politique découle de la préférence nationale, un concept qui revient à trier les administrés en fonction de leurs origines. »

Le front se doit d’être républicain car il s’agit de s’opposer à la préférence nationale. Comment comprendre la logique de la constitution d’un front pour sauver la République (française) mis en danger par la préférence accordée… à la nation française ?

La seule solution pour sauver cette proposition de la contradiction interne est de penser que Le Monde envisage une sorte de République universelle ; toute préférence basée sur le critère de la nationalité devient ainsi insupportable. Mais alors, il faut assumer que la sortie du référentiel national fait adopter une approche post-politique de type moral. D’ailleurs, l’éditorialiste anonyme parle d’administrés, et non pas de citoyens. La déconnexion indiquée ici entre l’administration et la politique est révélatrice.

Alors même que pour être fonctionnaire, il faut être citoyen français, les droits des administrés devraient être dénationalisés. La République serait ainsi l’antichambre d’une humanité enfin réconciliée avec elle-même où il suffirait d’être humain pour être accueilli dans… mais justement dans quoi ? Si ce n’est dans la communauté nationale ! L’idée même d’accueil, corrélative de celle de migration, implique de délimiter un dedans et un dehors.

La préférence nationale semble irréductible à toute déconstruction moralisante, cheval de Troie d’une société composée d’individus indéterminés doués d’intérêts et de droits absolus dont les relations ne seraient réglées que par le marché et des procédures.

La condition politique de tout être humain montre l’inanité d’un tel front républicain niant le fait que la République est le régime politique d’une nation, en l’occurrence la France. En revanche, si l’on veut être logique, on peut parler d’un front républicain français. Celui-ci a pour objet non pas de diviser la nation, mais de veiller à son bien commun dans les circonstances d’une mondialisation libérale mettant en danger l’existence même d’un régime politique où les « droits sociaux » sont décorrélés de toute appartenance à la communauté nationale.

Le moralisme abstrait agite toujours la xénophobie intrinsèque à l’ide de préférence nationale. Rappelons que le grec phobé ne signifie pas la haine, mais la peur, sentiment qui a pour objet formel un mal à venir. Du fait qu’il puisse exister des peurs imaginaires, il serait déraisonnable d’en conclure que toute peur est sans objet réel. N’est-il pas légitime pour une nation d’avoir peur de ce qui va la priver de son bien premier, à savoir son être même ?

Le moralisme invoque l’hospitalité biblique pour mieux subvertir la justice qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. La tradition du droit d’asile, honneur de la France, ne peut sans contradiction mortifère devenir le droit de tout être humain à être accueilli en France. Il est urgent que la République se souvienne qu’elle est française et que si front il doit y avoir, il a pour objet la vague migratoire que certains encouragent et réclament dans une folle inconséquente post-politique.

Thibaud Collin est spécialiste des questions de philosophie morale et politique

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