Dans un ouvrage préfacé par le cardinal Robert Sarah, L’Eglise catholique est crédible, le père Louis-Marie de Blignières, fondateur de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier, montre combien l’Eglise catholique est la seule Eglise fondée par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Suite de son ouvrage de 2019, Le christianisme est crédible, cet opus constitue un antidote efficace à la fois face aux attaques ad extra mais aussi face aux initiatives ad intra, notamment les diverses initiatives oecuméniques, qui sèment la confusion et la méfiance dans l’esprit de nombreux fidèles.
Nous avons interrogé le père de Blignières :
Dans la préface de votre ouvrage, le cardinal Sarah rappelle que le moderniste Alfred Loisy affirmait avec présomption : « Jésus annonçait le royaume, et c’est l’Église qui est venue ». Vous commencez votre ouvrage en indiquant que le Christ a fondé une Église visible, qui est le Royaume de Dieu. Mais il a aussi demandé si, lorsqu’il reviendra, il trouvera encore la foi sur terre. L’Église pourrait-elle disparaître ?
Non. Il est de foi que l’Église fondée par le Christ subsistera dans la nature même que son fondateur lui a donnée, jusqu’au retour de son Maître lors de la Parousie. Durant toute la durée de l’histoire, y compris dans les temps les plus proches de la fin, et même dans la persécution finale par l’Antéchrist, l’Église a la garantie divine que « les Portes de l’Enfer ne prévaudront point contre elle » (Mt 16, 18). En décrivant la mission qu’il lui donnait, le Seigneur a ajouté : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20). Cela signifie qu’elle gardera sa structure d’institution divine et qu’elle continuera toujours à accomplir sa triple mission d’enseignement, de sanctification et de gouvernement, même au milieu des pires obstacles.
Le passage que vous citez – « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8) – fait écho au « discours eschatologique » donné peu auparavant, en Lc 17, 22-37. Jésus veut prémunir la foi de ses disciples contre une de ses plus grandes épreuves : la patience de Dieu à l’égard des méchants. Jésus sait que l’épreuve deviendra spécialement difficile dans les derniers jours du monde, alors que les méchants sembleront triompher impunément. C’est alors que beaucoup vacilleront dans la foi et cesseront d’espérer le retour du Fils de l’homme et le Jugement final.
Vu le contexte, exhortatif, on ne peut donner à la question la valeur d’une affirmation absolue. Il faut tenir compte de l’amplification rhétorique, très fréquente notamment chez les sémites. Jésus ne dit pas qu’il n’y aura plus de foi du tout, mais il annonce que beaucoup perdront la foi et il exhorte à être du nombre de ceux qui la garderont et qui continueront à « crier vers Dieu » dans l’attente du Jugement final.
Il n’y a rien qui évoque ici une disparition des structures visibles de l’Église. On peut supposer qu’en ces jours-là, l’Église perdra beaucoup du rayonnement de sa visibilité, et que les contrefaçons de la foi abonderont. Mais Jésus ne parle pas d’un changement radical dans les moyens du salut. Il invite seulement à faire de façon plus intense, sans se lasser, ce que le chrétien doit faire toujours : croire et prier.
Vous écrivez notamment que seule l’Église catholique romaine possède les deux éléments nécessaires à la vraie Église du Christ : la structure hiérarchique et le primat de juridiction du successeur de Pierre. Et l’un de vos chapitres s’intitule : « L’Église catholique romaine est la vraie Église du Christ ». Que faites-vous des catholiques non romains (maronites, gréco-catholiques, uniates…) ? Ne sont-ils pas aussi membres de la vraie Église du Christ ?
Les catholiques orientaux font évidemment pleinement partie de la vraie Église. Ils ne sont pas latins (puisqu’ils sont grecs, syriaques, coptes ou arméniens), mais ils sont romains. Comme tous les Pères et les évêques orientaux des dix premiers siècles de l’Église – dont je rapporte les témoignages – ces catholiques non latins reconnaissent que l’évêque de Rome jouit de la Primauté d’honneur et de juridiction sur tous les évêques du monde. Dans le chapitre que vous citez, je montre que la vraie Église se trouve là où on rencontre les vrais successeurs de l’apôtre saint Pierre. La vraie Église doit posséder l’apostolicité, la succession épiscopale authentique à partir des apôtres et spécialement une succession ininterrompue à partir de celui des apôtres qui avait reçu le Primat : saint Pierre. Or, c’est un fait historique que Pierre, après avoir été évêque d’Antioche, a été évêque de Rome, et qu’il y a souffert le martyre. C’est à cause de ce fait, contingent mais certain – dont je donne les preuves dans le dernier paragraphe de ce chapitre –, que la vraie Église, une, sainte, catholique et apostolique, est dite romaine. Si saint Pierre était mort évêque d’Antioche, la vraie Église serait sans doute dite antiochienne… et le Patriarche catholique d’Antioche (de rite syriaque) jouirait du Primat, il serait le pape, sans être du tout latin.
Parmi les preuves confirmant que l’Église a une origine divine, vous évoquez son admirable propagation. Mais sa crise actuelle, notamment en Occident, ne vient-elle pas contredire cet argument ? De même pour son éminente sainteté, autre confirmation avancée : les scandales de ces dernières décennies ne plaident-ils pas contre son origine divine ?
La crise actuelle (relativement récente à l’échelle de l’histoire) ne remet pas en cause l’admirable propagation de l’Église dans les premiers siècles, au cours du Moyen-Âge et dans les admirables missions du XVIe au XXe siècle. La sainteté est une propriété surnaturelle (toujours présente) et une note visible (plus ou moins rayonnante selon les lieux et les personnes). L’Église, qui est le Corps du Christ, a la propriété inamissible d’une sainteté découlant de la sainteté du Christ. C’est un aspect du mystère de l’Église, nous le confessons dans le Credo. Aucun catholique ne peut en douter : même au sein des pires crises, ou devant les plus graves déficiences de la hiérarchie, il doit avoir l’attitude qu’ont eue les saints. Les pécheurs qui sont dans l’Église n’y sont pas en raison de leur péché, par lequel ils trahissent l’Église en faisant le contraire de ce qu’elle enseigne.
La sainteté des principes et des moyens de sanctification offerts par l’Église est une note visible bien manifeste. Tout le monde peut se rendre compte que celui qui abuse de ses fonctions pour commettre le mal, le fait contre ce qu’enseigne le catéchisme et contre ce que rappelle la hiérarchie. Cela a été manifeste durant la crise de la manifestation des abus. Il n’y a pas beaucoup de sociétés qui condamnent les abus sexuels avec une telle netteté et une telle persévérance. Il n’y en a pas beaucoup qui ait reconnu, désavoué et sanctionné ces scandales comme l’a fait l’Église.
Pour la sainteté des membres, elle est aussi perceptible comme note visible si on prend une vue d’ensemble (dans l’espace et le temps). C’est possible, si on porte sur l’Église ce que le cardinal Journet appelait un regard philosophique. Au-dessus du regard anecdotique (souvent malveillant) du journaliste, et du regard empirique (et parfois rationaliste) de nombre d’historiens, en deçà du regard de foi du croyant, il y a la vue que peut avoir tout homme qui cherche la vérité. Il constate qu’il y a dans l’Église (même aujourd’hui !), à un degré incomparable par rapport aux autres sociétés, un nombre important d’hommes qui pratiquent une sainteté supérieure et, pour certains, héroïque. Je cite dans mon livre un musulman, une protestante Marie Carré et un juif, Henri Bergson, qui l’affirment clairement.
Il faut avoir le courage de dire toute la vérité. Les horreurs qui ont été mises à jour sont d’affreux scandales. Mais il ne faut pas oublier que, sur la période même où ils ont été commis, il y a eu de nombreux saints et des martyrs, dont un bon nombre ont été canonisés. Non seulement des millions de fidèles ont pratiqué une vie chrétienne d’autant plus méritoire que le monde s’y opposait de plus en plus ; non seulement un nombre énorme de prêtres, de religieux et de religieuses ont vécu un genre de vie au-dessus des forces normales de la nature ; mais de très nombreux laïcs et des prêtres ont vécu et témoigné de leur foi dans la condition des martyrs ou des confesseurs, au sens que l’on donnait dans l’Église primitive à ces mots. Il suffit de penser aux catholiques vivant en pays d’islam en Afrique, au Moyen-Orient, au Pakistan, et en Chine.
Oui, il faut reconnaître les graves péchés des chrétiens et les abus des hommes d’Église. Des péchés se retrouvent hélas partout dans les sociétés humaines, religieuses ou civiles ; et ils sont pour un bon nombre commis dans la ligne du libertarisme (sexualité débridée dans les sociétés modernes) ou de l’idéologie (divers totalitarismes de gauche ou de droite, violence religieuse de l’islam ou de l’hindouisme) qui sont la charte de ces sociétés. Ce qui est unique pour l’Église, c’est qu’avec cette grande masse de mal (commise en opposition à la loi évangélique) on trouve en elle une somme de biens sans exemple dans les autres structures humaines.
Il faut regarder autour de soi. Pour mon expérience personnelle de près d’un demi-siècle de sacerdoce, les exemples abondent : courage des parents qui éduquent et catéchisent durant des décennies leurs enfants à contre-courant ; persévérance dans la foi et la communion hiérarchique des catholiques, en dépit de la crise interminable de l’Église ; fidélité de prêtres peu soutenus ou abandonnés par leurs Pasteurs ; héroïsme charitable des Sœurs de Mère Teresa rencontrées à Alep ; courage souriant d’un séminariste chinois de l’Église clandestine dont l’évêque était emprisonné ; dévouement incroyable des œuvres catholiques, de l’AED à SOS-Chrétiens d’Orient ; rayonnement des convertis en nombre croissant venus de l’islam, du paganisme ou de l’agnosticisme… vers une Église dénigrée par les médias !
Oui, comme le disait Benoît XVI,
« dans l’Église, au milieu de toutes les tribulations de l’humanité et de la puissance déroutante de l’Esprit du mal, on pourra toujours reconnaître la douce puissance de la bonté de Dieu » (Peter Seewald, Benoît XVI. Une vie, Chôra, 2022, p. 713).