Extrait d’une tribune de Dom Jean Pateau, père abbé de Fontgombault, publiée dans L’Homme Nouveau, sur les 100 ans de Quas Primas, l’encyclique sur le Christ-Roi :
[…] La déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse n’a cependant pas renié la doctrine traditionnelle et, contrairement à ce que l’on dit souvent (Par exemple, cette déclaration récente d’un prélat français : « Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques, mais il est venu fonder l’Église. Ce n’est pas la même chose. À force de traîner la nostalgie d’un État catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation »), d’une part elle continue à affirmer qu’elle entend conserver la doctrine traditionnelle sur les devoirs des États envers la religion (4) et d’autre part elle prévoit encore la possibilité d’États officiellement catholiques (5).
On sait que saint Jean-Paul II, pour des raisons bien compréhensibles dans sa lutte contre le communisme, a largement développé ce thème en faisant du droit à la liberté religieuse un droit fondamental de la personne humaine. Il n’en a pas moins affirmé avec force, en pleine Pologne communiste, qu’« on ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’homme en quelque partie que ce soit du globe […] Exclure le Christ de l’histoire de l’homme est un acte contre l’homme » (6). C’était se placer dans la ligne de saint Pie X et de Pie XI. Saint Jean-Paul II avait été naturellement conduit à insister sur la valeur de la démocratie dans sa lutte contre un régime totalitaire. Il a su d’ailleurs par la suite en montrer les limites. Maritain, de son côté, tout en voyant clairement la distinction capitale à faire entre la démocratie comme régime politique et «le principe spirituel de la Démocratie moderne, absolument opposé au droit chrétien qui veut que la souveraineté dérive de Dieu comme de sa première origine », n’en a pas moins contribué, peut-être à son corps défendant, à la montée de cette démocratie moderne fondée sur le principe de l’autorité résidant dans le peuple.
Pie XI, après Léon XIII, avait déjà écrit dans Ubi Arcano :
« Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la législation et des affaires publiques, et l’autorité ne tenant plus son origine de Dieu mais des hommes, il arriva que […] les bases mêmes de l’autorité furent renversées […]».
Or il faut constater malheureusement que cette erreur qui consiste à placer l’origine de l’autorité dans le peuple a pénétré aujourd’hui jusque dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église où on lit au n. 395 :
« Le sujet de l’autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté. Sous diverses formes, le peuple transfère l’exercice de sa souveraineté à ceux qu’il élit librement […] Bien qu’il s’agisse d’un droit valide dans chaque État et dans n’importe quel régime politique, le système de la démocratie, grâce à ses procédures de contrôle, en permet et en garantit une meilleure pratique. »
Il y a donc une rectification à opérer, tant au plan doctrinal que pratique. Paradoxalement, au moins en apparence, ce sont les laïcs qui ont le plus le sens de cette nécessité ; sans doute parce qu’ils sont au contact des réalités sociales et qu’ils voient bien ce que relevait déjà Pie XII :
« De la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend le bien ou le mal des âmes ».
Et il poursuivait en parlant de ces « conditions sociales qui, volontairement ou non, rendent ardue ou pratiquement impossible une conduite chrétienne conforme aux commandements du Souverain Législateur » (7). Eux savent le prix de l’instauration du règne du Christ-Roi. Mais qu’ils ne se découragent pas car le magistère reste riche de vérités qui y tendent, tant celui de saint Jean-Paul II que celui de Benoît XVI, qui ne demandent qu’à être rappelées et vécues. Le pape François, lui-même, poussait plus que jamais à l’engagement des laïcs dans la politique et, dans sa dernière encyclique, il cite Centesimus Annus, en écho aux paroles de Pie XII, et ajoute :
« Ce n’est pas seulement une norme morale qui nous pousse à résister à ces structures sociales aliénées […] mais c’est la “conversion du cœur” elle-même qui “impose l’obligation” de restaurer ces structures. Telle est notre réponse au Cœur aimant de Jésus-Christ qui nous apprend à aimer ».