Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
Les temps changent. Et le climat aussi. Le maire d’une station des Alpes du Sud a décidé de modifier le nom de sa commune. Gréolières-les-Neiges, faute de flocons, s’appelle désormais Gréolières 1400. Le manque d’enneigement devenant récurrent, l’élu a souhaité préparer un avenir pour sa commune et lui offrir un nom qui corresponde mieux à la réalité.
Mais alors ? En matière de climat spirituel, qu’en sera-t-il d’une ville comme Sainte-Mère-Église dans la Manche ou de La Trinité-sur-Mer dans le Morbihan ? La baisse continuelle de la pratique religieuse catholique chez les Français, semblable à un consternant courant de jusant qui n’en finit pas, laisse à penser qu’un désert se prépare.
Dans une récente interview donnée à l’hebdomadaire Famille chrétienne, l’universitaire Guillaume Cuchet, historien spécialiste du catholicisme contemporain, constatait que les buts pastoraux du concile Vatican II n’avaient pas été atteints : « Passer de 25 % de pratiquants au début des années 60 à 1,5 % n’est pas un succès ! » C’est peu de le dire.
Au sein d’une société déchristianisée, les rangs de l’Église de France continuent de se clairsemer. « Il y a une espèce d’hémorragie qui finit par produire un effondrement », commente-t-il. Les faits et les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Famille chrétienne, une enquête de l’Institut national d’études démographiques (Ined) de 2023 établissait que le taux de déclaration de catholicisme chez les 18-59 ans avait été divisé par deux en seulement douze ans. En 2008, s’ils étaient 48 % à se dire catholiques, le chiffre chute à 25 % en 2020.
Il n’en reste pas moins qu’au milieu des ténèbres les plus sombres, la plus petite des étincelles brille d’autant plus de mille feux. Un catholicisme en partie sociologique a fait place à un catholicisme de conviction exigeant et missionnaire. La foi catholique, quoique minoritaire, n’a pas dit son dernier mot. Pour les croyants convaincus, il a même « les paroles de la vie éternelle ». La stratégie de l’adaptation au monde en vogue durant l’après-Concile, force est de le constater, ne s’est pas traduite en conquête des âmes. Pour de multiples raisons sans doute, mais l’une d’elles, capitale, doit nous interroger : l’Évangile n’a pas pour ambition première de s’adapter au monde mais de configurer les cœurs au Christ.
Cette conviction intime, les catholiques “d’affirmation” l’ont chevillée à l’âme. Leur nombre croissant au sein du catholicisme français — à l’image du pèlerinage de Chartres ou des vocations dans les séminaires traditionnels ou classiques — témoigne d’une vitalité certaine. Ils restent aujourd’hui minoritaires dans l’appareil ecclésiastique et les instances diocésaines, mais le début du carême permet de mesurer leur rayonnement au sein de l’Église en France.
En effet, cette période de quarante jours, au cours de laquelle les baptisés sont invités à redoubler d’efforts dans la prière, la mortification et l’aumône, a pu être minimisée en pratique par tout un courant progressiste dans l’Église. Ce dernier répétait à l’envi que le jeûne qui compte est celui du cœur et de l’esprit au point de… finir par négliger le jeûne du corps qui est le soutien du jeûne du cœur.
Dans son livre Pour l’éternité (Fayard), le cardinal Sarah livrait son analyse avec la liberté de ton qui est la sienne :
« On prend parfois le risque de falsifier la Parole de Dieu, de s’éloigner de Celui qui a dit : “Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” et de trahir la Révélation et l’enseignement pérenne de l’Église. Certains écrits ou certaines déclarations ne semblent pas se préoccuper d’aider les fidèles chrétiens à rencontrer Jésus-Christ, à accueillir intégralement les exigences radicales de son Évangile et à consolider leur foi, en vue de nous laisser réellement configurer à Lui. Nous avons tendance à “spiritualiser”, au mauvais sens du terme, les réalités chrétiennes. Nous en faisons en fait des fantômes. »
Loin de cette tendance, différentes publications, associations et communautés proposent aux chrétiens soucieux de leur âme de véritables canevas pour vivre un carême authentique. Les Éditions de l’Homme nouveau ont récemment publié un Carnet d’oraison pour méditer chaque jour les Saintes Écritures en lien avec le temps liturgique. La Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, via son site et son application Claves, et ses messageries WhatsApp, Telegram ou Signal, entraîne ses abonnés dans une aventure ascétique et spirituelle appelée Virtus. Les religieux du couvent de Chémeré, au moyen d’un mailing de qualité, ont su fédérer, ces dernières années, nombre de baptisés grâce à leurs vidéos quotidiennes Carême40. C’est à un challenge biblique qu’ils invitent en 2024.
Le mouvement des Scouts d’Europe organise, quant à lui, grâce à son association d’anciens, Le Rasso, des conférences de carême en ligne. Le site Web Hozana, dont l’élan missionnaire n’est plus à prouver, soutient déjà depuis longtemps la piété des visiteurs de leurs contenus. De même, les livres de l’abbé Troadec, de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, sur la pratique du chemin de croix ou le Carême au jour le jour (Via Romana) se vendent comme des petits pains tant leur forme concise et les idées claires qui s’y trouvent font mouche auprès des catholiques du rang.
Dans une société qui se regarde souvent elle-même, l’observateur honnête peut se réjouir que le carême retrouve des lettres de noblesse. Le besoin de défis qui décentrent ne relève pas aujourd’hui du luxe. Devant les turpitudes du consumérisme, le service de réalités transcendantes devient même une urgence. Si l’on croit en une résurrection possible.