Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur la loi concernant le séparatisme islamique :
« Séparatisme islamiste » ! Le mot a, enfin, été lâché. Il aura donc fallu plus de trente ans pour qu’un Président de la République en exercice affirme distinctement ce que de nombreux citoyens observaient depuis trop longtemps. A l’occasion d’un discours attendu, prononcé aux Mureaux vendredi dernier, Emmanuel Macron a donc fini par admettre le réel en disant ce qu’une majorité éprouve souvent dans le silence. S’il y a progrès dans la verbalisation du problème, est-ce pour autant suffisant pour le régler ? « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Charles Péguy, en prophète, annonçait combien la lucidité du diagnostic présuppose l’ébauche de solutions. Voir ce que l’on voit relève de la quadrature du cercle pour ceux qui gardent sur leur nez une paire de lunettes idéologiques où se mêlent bons sentiments et refus de stigmatiser.
La culture française imprégnée par le christianisme
Difficile en effet, pour les tenants d’un vivre-ensemble béat, d’accepter la réalité d’une partition de certains territoires acquis aux principes d’un islam conquérant. Un séparatisme qui se caractérise non seulement par des us et des coutumes singuliers, mais qui se différencie surtout par une manière d’appréhender l’existence allant à l’encontre de la culture occidentale mâtinée de christianisme. Car il faut le dire avec force, l’islamisme n’ambitionne pas tant une séparation d’avec la République qu’une croissance en rupture avec le legs civilisationnel dont l’Europe est pétrie. De saint Benoît à saint Vladimir, d’Isidore de Séville à Hilaire de Poitiers, pendant des siècles, avec une réussite variable, les arts, les armes et les lois se sont imprégnés des idéaux de l’Evangile. Entre la culture, l’exercice du pouvoir ou la justice, aucune institution ne vivait indépendante de cet écosystème. Si l’on avait encore besoin de s’en convaincre, il n’y aurait qu’à relire avec profit la magistrale conférence qu’avait adressée Benoît XVI au monde de la culture, en 2008, au collège des Bernardins.
« Nos mœurs forment un socle profondément marqué par le catholicisme »
N’en déplaise à l’amnésie idéologique de certains responsables politiques qui, au motif d’une laïcité étroite, s’en tiennent à de strictes considérations républicaines : voir dans le séparatisme islamiste une volonté de s’affranchir de la République s’avère sinon trompeur, au moins réducteur. La République, en tant que telle, n’est qu’un système d’organisation de la cité parmi d’autres. Mais sur le sol hexagonal, elle se trouve accompagnée du qualificatif de “française”. Or la France, on s’en doute, représente bien plus qu’une forme de gouvernement. Terre charnelle aux multiples fruits, elle est bien davantage qu’un simple ensemble de frontières. A plus forte raison, bien plus qu’une République. Son âme se constitue d’épaisses couches d’Histoire emplies de rois, de princes, de prêtres et d’évêques. On y trouve des châteaux et des monastères. De la poésie, des sacrifices et du panache. De la sainteté aussi. Des paysages et un art culinaire. Partout le patrimoine religieux chrétien n’est jamais loin. Du massif de la Chartreuse aux pâtisseries aux noms évocateurs de “religieuse” ou de “Saint-Honoré”, de la sagesse proverbiale aux comptines populaires jusqu’aux marques de politesse elles-mêmes : nos mœurs forment un socle profondément marqué par le catholicisme. On ne travaille habituellement pas le dimanche et on fleurit les cimetières en Novembre. On honore l’invité en le plaçant à la droite de la maîtresse de maison. On se repère dans le temps et les saisons en fonction du cycle liturgique tel Malbrough qui « s’en va-t-en guerre et qui reviendra z-à Pâques ou à la Trinité » ou les saints de glace qui annoncent aux cultivateurs, courant mai, le risque du gel pour leurs semailles.
Une saine transmission de ces racines nécessite la préservation d’un terreau culturel commun, et d’éviter la partition dans d’autres pots… « Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire, voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple » dira Renan. La paix sociale et l’équilibre d’une société reposent impérativement sur la protection de cette harmonie.
La liberté scolaire, une liberté fondamentale à ne sacrifier à aucun prix
Pourtant, dans ce contexte, le Président de la République voit dans la lutte contre l’instruction à domicile et le contrôle renforcé des écoles hors-contrat des mesures phares pour lutter contre « les séparatismes », dont on distingue mal du reste la raison du pluriel. A travers une telle posture, l’exécutif, une fois encore, fait l’aveu de sa faiblesse régalienne. Débordé par l’islamisme, l’Etat préfère donc interdire que contrôler. « Si le projet présidentiel venait à se confirmer, il s’agirait alors d’une atteinte grave à la liberté d’enseignement » a réagi le président de la Fondation pour l’Ecole, Lionel Devic. L’école à domicile en effet ne relève pas seulement d’une possibilité chez des parents circonspects devant la faillite de l’Education Nationale. S’il est vrai que l’on trouve de plus en plus de gens, et parmi les mieux instruits, cherchant à épargner l’école à leurs enfants pour les préserver de la violence, du harcèlement ou de la désinstruction, là n’est pas le cœur nucléaire du problème. Le drame des orientations présidentielles se situe dans la négation d’un droit souverain : celui de la liberté de l’enseignement, qui implique la liberté des parents à choisir le mode d’éducation de leurs enfants.
Il s’agit non seulement d’un principe constitutionnel mais plus encore d’une liberté fondamentale que l’Eglise a toujours défendue avec vigueur. Dans son enseignement constant, elle n’a eu de cesse de rappeler que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Père et mère se doivent d’achever dans l’éducation ce qui a été initié dans la procréation. « Le sens commun de tous les hommes est tellement unanime sur ce point que tous ceux qui osent soutenir que l’enfant, avant d’appartenir à la famille, appartient à l’Etat, et que l’Etat a sur l’éducation un droit absolu, se mettent en contradiction ouverte avec lui » écrivait, il y a près d’un siècle, le pape Pie XI dans son encyclique sur l’éducation de la jeunesse.
L’Etat peut bien évidemment exiger que tous les citoyens aient la connaissance nécessaire de leurs devoirs civiques et nationaux, puis un certain degré de culture intellectuelle, morale et physique, requis par le bien commun. Toutefois, il est clair que l’Etat doit respecter les droits innés, et premiers, de la famille sur l’éducation. Tout monopole de l’éducation et de l’enseignement qui oblige physiquement ou moralement les familles à envoyer leurs enfants dans les écoles de l’Etat présente un réel déséquilibre.
Face au communisme et au nazisme, ou, plus récemment, contre la loi Savary avec les manifestations monstres que l’on sait en juin 1984 en faveur de l’école libre, l’Eglise a toujours défendu avec vigueur le primat de la famille, cellule de base de la société. Or c’est justement le souci de nos racines et la sauvegarde de nos libertés premières qui peuvent certainement constituer le meilleur rempart contre les dangers du totalitarisme. Qu’il se nomme “séparatisme islamiste” ou “Etat tout puissant”.