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Institutions internationales

Les différences entre les droits de l’homme de 1789 et ceux de 1948

Les différences entre les droits de l’homme de 1789 et ceux de 1948

Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ)., vient de publier Les droits de l’homme dénaturé. Il est interrogé dans Le Figarovox. Extrait :

Doit-on comprendre, à votre titre, que les droits de l’homme ont «dénaturé» l’homme

C’est d’abord l’homme qui perd le sens de la nature humaine, qui se dénature. Alors que les droits de l’homme sont devenus au XXe siècle une philosophie universelle exprimant une certaine conception de l’homme, ce livre entend justement analyser la transformation de cette conception de l’homme à travers celle de ses droits. Une telle entreprise est possible car il existe une corrélation stricte au sein des «droits de l’homme» entre l’homme et ses droits: ils se définissent mutuellement. Plus encore, les droits de l’homme sont devenus le miroir social de l’humanité, c’est par eux et en eux que nous nous représentons et nous reconnaissons. Chaque transformation de ces droits est comme une retouche portée à notre autoportrait.

Pour analyser cette évolution, je compare l’intention originelle des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, telle qu’elle ressort des archives de 1948, avec l’interprétation évolutive qui en a été faite depuis par les instances internationales, en particulier par la CEDH. Le droit a l’avantage d’être une discipline rationnelle qui s’inscrit dans le temps à travers une succession de textes normatifs élaborés avec grande attention. L’analyse des droits de l’homme permet ainsi d’observer avec objectivité l’évolution de l’idée que les instances internationales, et la société en général, se font de l’homme.

Or j’observe que notre compréhension de la nature humaine, dont le respect est pourtant la cause des droits de l’homme, a fait l’objet d’une véritable révolution durant les dernières décennies. C’est donc l’homme occidental contemporain qui est dénaturé, et qui redéfinit ses droits en conséquence. Cela étant, il est vrai que les droits de l’homme contribuent à cette dénaturation et même l’amplifient, en raison principalement de leur constitution foncièrement individualiste et de la puissance normative de leur discours. […]

Quelles différences y a-t-il entre les droits de l’homme de 1789, ceux de 1948… et ceux d’aujourd’hui?

Quelle que soit l’époque retenue, les droits de l’homme partagent, à première vue, des traits communs: ils sont fondés et fonctionnent sur la base d’une conception individualiste et libérale de l’homme. Ils défendent la liberté du sujet contre tout ce qui s’oppose à sa volonté.

Pour autant, la conception que ces différents droits de l’homme véhiculent a connu une évolution sensible avec le temps.

Ainsi, s’agissant de la Déclaration de 1789, l’homme dont celle-ci proclame les droits est le citoyen, c’est-à-dire l’homme émancipé de ses attaches naturelles et surnaturelles et déterminé par sa participation à la res publica. La Déclaration de 1789 enferme par ailleurs les droits de l’homme dans le cadre du droit national: elle garantit à l’homme en tant que citoyen des droits appartenant à l’homme en tant qu’homme. La définition et la garantie de ces droits sont conditionnées par l’appartenance à un État particulier et soumises au pouvoir de celui-ci.

Par contraste, la Déclaration de 1948 conçoit l’homme de façon plus réaliste. Il n’est plus l’idée que s’en faisaient les philosophes des Lumières, mais une personne humaine ayant un métier, une famille, une patrie, une religion. Toutes ces appartenances sont considérées positivement, comme autant de dimensions de l’existence antérieures à l’État. Par ailleurs, cette même déclaration entend assurer la protection de l’homme contre la puissance de l’État et la possible immoralité de son droit positif. Elle cherche à protéger directement les personnes en leur offrant une protection supranationale et en imposant la primauté des droits de l’homme sur le droit national. Une grande nouveauté de l’après-guerre a donc consisté à revêtir les droits de l’homme de la supériorité juridique du droit international sur le droit national. Concrètement, tout homme s’est vu reconnaître «le droit d’avoir des droits»(Hannah Arendt) en dehors de son État. Par cette étape, les personnes ont pu briser le plafond de verre que leur opposait jusqu’alors la souveraineté nationale et accéder au niveau politique supranational au sein duquel l’humanité vaut citoyenneté et reconnaissance des droits attachés à cette qualité. Mais, en absorbant ainsi la morale des droits de l’homme, le droit international a établi un ordre moral supranational à vocation planétaire. La morale a ainsi accédé à l’effectivité universelle qu’appelle sa propre universalité, mais s’est exposée à son tour au risque d’être redéfinie par le droit ; et c’est ce à quoi nous assistons actuellement. La morale reste en fait dominée et définie par le droit, non plus national mais supranational.

Or, nous sommes témoins aujourd’hui d’un véritable renversement anthropologique: les instances internationales ont progressivement adhéré à une nouvelle conception de la nature humaine, à tel point que des pratiques autrefois interdites au nom du respect de la dignité humaine sont à présent promues comme de nouveaux droits de l’homme, et leur critique interdite.

Cette révolution reflète celle du rapport de l’homme à la nature. Alors que les droits de l’homme de 1948 reflétaient des droits naturels, l’affirmation de l’individualisme a généré de nouveaux droits antinaturels, tels que le droit à l’euthanasie ou à l’avortement, par lesquels l’individu affirme la domination de sa volonté sur son corps. Ces droits antinaturels ouvrent la voie à de nouveaux droits transnaturels qui garantissent aujourd’hui le pouvoir de redéfinir la nature, tels que le droit à l’eugénisme, à l’enfant, ou au changement de sexe. Ces nouveaux droits envisagent tout asservissement de la nature comme une libération et un progrès humain.

Vous vous focalisez en particulier sur le «droit à disposer de son propre corps»…

Ce nouveau droit (ou pouvoir) à disposer de son corps est essentiel, car il est matriciel. Il sert à justifier des pratiques individuelles contraires à l’ancienne dignité ontologique, telles que la stérilisation, le changement de sexe, l’avortement ou encore le suicide. Le droit «à disposer de son corps» remplace progressivement le principe inverse d’indisponibilité du corps humain selon lequel nul ne peut agir contre son corps, même s’il y consent.

Cette inversion des principes rend parfaitement compte du passage actuel d’une conception harmonieuse de l’être humain à une vision dualiste. En effet, alors que le principe d’indisponibilité vise au respect de l’homme comme union harmonieuse et indissociable d’un corps et d’un esprit, le droit à disposer de son corps, à l’inverse, rompt l’harmonie corps-esprit et consacre une dichotomie entre la volonté de l’individu, porteuse du droit, et son corps, objet du droit. Il affirme la primauté de la volonté sur le corps, et même contre le corps.

Cette conception dualiste de l’homme actualise l’ancienne idée gnostique selon laquelle seul l’esprit, en l’homme, est proprement humain, et donc digne, le corps n’étant que matière organique, indigne. Cela conduit à réduire la dignité humaine à la seule volonté, d’où le règne actuel de l’autonomie individuelle.

Plus encore, le dualisme s’associe à l’évolutionnisme pour nous convaincre que l’individu s’humanise et progresse en dignité à mesure qu’il s’émancipe de la matière brute dont il serait issu, à mesure que son esprit domine la matière. Ainsi, la procréation artificielle et son eugénisme seraient plus humains et donc plus dignes que la procréation sexuée vulgairement organique. De même, la parentalité dite biologique – celle des géniteurs, donneurs de sperme et mères porteuses – serait moins humaine et mériterait moins de droits que la parentalité «d’intention». […]

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