Gautier Mornas, directeur du département Art sacré de la Conférence des évêques de France, répond à son tour à Roselyne Bachelot :
[…] nous pouvons établir avec certitude que les églises et chapelles de France constituent le « premier musée de France ». Et donc l’accès le plus immédiat aux œuvres d’art pour tout Français. Pour sa part, le ministère de la Culture atteste que plus de 80 % des 300 000 objets classés ou inscrits sont des objets religieux, souvent conservés dans les églises paroissiales, dont la grande majorité appartient au patrimoine des communes.
Par le travail des Commissions diocésaines d’Art sacré, instances d’Église chargées de dresser l’inventaire du patrimoine artistique des églises, nous savons qu’un tiers des diocèses de France a déjà réalisé cet inventaire, 1/3 est en cours, 1/3 ne l’a pas encore initié, faute de moyens humains et/ou financiers et sans aucun soutien de l’État. Une question centrale, disiez-vous ?
Mais de quel intérêt parle-t-on ? S’il s’agit de son intérêt architectural stylistique, c’est déjà discutable. Car il est facile de décrier le style néogothique comme s’il résumait à lui seul l’architecture de tout le XIXe siècle alors que ce dernier a su accueillir bien des variétés comme le romano-byzantin ou le néoclassique, pour ne citer qu’eux.
Il y a en effet mille et une façons d’envisager l’intérêt que constitue le patrimoine religieux de notre pays. Et le réduire à son inutilité cultuelle – ce pour quoi il a été construit – n’est pas être juste. Car tout le monde le sait bien, les églises de France sont aujourd’hui l’objet d’une véritable « passion nationale » qui, de Journées européennes du patrimoine en Nuit des églises et de visites guidées en collectes pour sa restauration, ne cesse de mobiliser les foules les plus diverses.
L’émotion manifestée lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris en avril 2019, de même que les réactions à chaque dégradation – volontaire ou accidentelle – d’édifice religieux redisent invariablement l’attachement profond et sincère du peuple français à ce patrimoine spécifique.
Les diocèses de France se sont quasiment tous dotés de conventions types pour envisager des usages compatibles avec l’affectation légale et répondre aux besoins qui s’expriment : usages culturels, avec la tenue de concerts, d’expositions, de spectacles de théâtre, de dépôts de bibliothèques ou de médiathèques ; usages d’éducation artistique et culturelle avec les écoles d’orgues ou des classes de chant ; usages sociaux avec l’invention de refuge climatique en cas de fortes chaleurs, l’accueil d’élèves en période de révision d’examen, de clubs d’aînés ou de répétition de chorales ; usages touristiques bien évidemment avec des visites et des centres d’interprétation ; usages caritatifs ou solidaires enfin, pour accueillir les plus démunis, les pèlerins, etc. Pas grand intérêt, disiez-vous ?
Un rapport sénatorial sur l’état du patrimoine religieux français s’est fait l’écho, l’été dernier, de la nécessité de faire des églises de France des lieux de sociabilisation, surtout dans la ruralité délaissée. Le sénateur communiste Pierre Ouzoulias et son homologue LR Anne Ventalon soulignaient aussi l’urgence d’une meilleure protection du patrimoine cultuel des XIXe et XXe siècles, méconnus et déconsidérés, et d’un véritable accompagnement de l’État, démissionnaire jusqu’à aujourd’hui, face à des élus territoriaux livrés à eux-mêmes dans le maquis des subventions et du montage technique des dossiers. […]