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Europe : politique

Les eurosceptiques ont eu raison sur toute la ligne

Entretien exceptionnel de l'économiste Jean-Jacques Rosa au Figaro :

E "[V]ous ne pouvez pas appliquer la même politique monétaire, c'est-à-dire le même taux de change et le même taux d'intérêt, à des économies dont les trajectoires et les structures sont différentes. Notre économie n'évolue pas de la même façon que celle de la Grèce ou de l'Allemagne: les taux d'inflation divergent, les phases conjoncturelles ne coïncident pas, et il n'y a pas de taux de change idéal et unique, globalement applicable. Le taux de change détermine vos exportations et vos importations, il est lui-même lié aux taux d'intérêt, et si vous n'avez pas le bon change par rapport aux conditions de votre économie, cela pénalise votre croissance. Tel est le point fondamental. La monnaie unique est un fiasco pour les économies nationales qu'elle a privées d'un amortisseur de crise essentiel dans les remous de la grande récession. Les eurosceptiques ont donc eu raison sur toute la ligne en cernant les nuisances à venir de la monnaie unique, mais la victoire de la raison a quelque chose d'amer. […]

Faut-il des Etats-Unis d'Europe? C'était l'objectif des fédéralistes, mais une telle construction n'est pas possible pour des raisons de fond. Les Etats-Unis se sont constitués au XIXe siècle, dans un contexte d'impérialisme et d'extension territoriale des nations. Un siècle et demi plus tard, et particulièrement depuis la révolution de l'information des années 1970-1980, nous observons l'exacte tendance inverse. L'Empire soviétique a éclaté. Les nations se fragmentent, on l'a vu en Europe de l'Est, et les nations qui ne comportent que quelques millions d'habitants sont le plus souvent prospères. Ainsi des pays nordiques, de la Suisse, du Canada ou de la Nouvelle-Zélande. Grâce à l'ouverture des marchés mondiaux et à la révolution de l'information, au lieu d'être un handicap, la petite dimension est devenue un avantage. Et les plus petits pays sont nécessairement plus ouverts au commerce extérieur. Dans un monde de libre circulation, même si elle vient d'un tout petit pays, une entreprise peut se développer et vendre sur tous les marchés de forts volumes à faible coût.

Une Europe fédérale aboutirait donc, selon vous, à une régression ?

R Regardez l'Histoire: après la Première Guerre mondiale, dans une économie où les marchés étaient fragmentés et le protectionnisme de règle, le calcul économique consistait à dire: puisqu'il n'y a plus d'accès à un marché mondial, nous devons avoir notre grand marché impérial. Telles ont été les politiques de la Grande-Bretagne et de la France. Ces temps-là sont révolus. Il vaut mieux vendre partout dans le monde plutôt que de se limiter à un sous-ensemble régional. […]

Le peuple va-t-il pour autant réclamer la suppression de l'euro ?

Je ne le pense pas dans l'immédiat, parce qu'il faut d'abord comprendre qu'une très large part de nos difficultés provient de cette erreur économique majeure, ce qui nécessite une assez bonne connaissance des mécanismes monétaires. Mais il n'est pas nécessaire d'être un expert pour sentir que quelque chose ne va pas et comprendre que nous faisons fausse route.

Que répondez-vous aux économistes qui voient dans l'abandon de l'euro une porte ouverte sur l'apocalypse ?

L'Etat et les entreprises ayant des dettes libellées en euros détenues à l'étranger, sortir de la monnaie unique et dévaluer le nouveau franc soutiendrait l'activité mais majorerait le poids de cette dette, exprimée désormais en francs. Les charges des contribuables et des entreprises en seraient alourdies, ce qui, en sens inverse, ralentirait la croissance. On pourrait alors envisager de ne rembourser ces dettes que pour partie (un défaut partiel de paiement), mais alors les créanciers internationaux ne nous feraient plus confiance, d'où difficulté accrue de trouver du crédit à l'étranger. Les taux d'intérêt augmenteraient, ce qui pénaliserait les finances publiques et l'activité des entreprises.

Tels sont les principaux arguments des tenants de la monnaie unique. À cela deux réponses: en abaissant le coût de nos produits à l'étranger, la dévaluation stimulera la croissance, et nous donnera par conséquent davantage de moyens pour le service de la dette. La seconde réponse est conditionnelle: dévaluer l'euro préalablement à l'instauration d'un nouveau franc nous procurera tous les avantages de la dévaluation, mais sans majorer la dette extérieure. En effet, il ne sera plus nécessaire de dévaluer le nouveau franc après la sortie de l'euro, puisque la dépréciation de ce dernier aura déjà reconstitué notre compétitivité. Il n'y aura donc pas de nécessité de dévaluer le franc proprement dit, ni par conséquent de majoration de la dette extérieure. La solution est là: dévaluer la monnaie unique pour en sortir ensuite sans dommages. Ce n'est nullement une utopie. Aujourd'hui, l'euro vaut à peu près 1,42 dollar. Lorsqu'il a été créé, c'était à parité: un dollar contre un euro. Il est même tombé à un moment à 0,85. Abaisser son prix en dollars n'est donc pas impossible à réaliser. […]

La France peut-elle concrètement retourner à une monnaie nationale ?

Tous les pays issus du démembrement de l'URSS l'ont fait. Du rouble, ils sont passés à des monnaies nationales. Dans les années 1990, après la scission de la République tchèque et de la Slovaquie, j'ai posé la question au président tchèque Vaclav Klaus de la difficulté de créer ainsi sa propre monnaie. Il m'a répondu en exactement deux mots: «Une semaine»… En une génération, une soixantaine de pays sont sortis d'une union monétaire. Aussi, lorsqu'on nous présente cette proposition comme une sorte d'horrible et exceptionnel fantasme, il faut bien prendre conscience qu'elle n'a rien que de très banal. Aujourd'hui, la monnaie est essentiellement scripturale, concrètement, des comptes en banque. Du jour au lendemain vous décrétez que votre compte de 3000 euros est désormais de 3000 francs…"

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10 commentaires

  1. Le piège était très visible dès le départ de cette monnaie de singe.
    Il est clair que pour relancer l’économie d’un Pays, celui-ci doit pouvoir librement dévaluer sa propre monnaie ( si elle est vraiment indépendante de toute crapule cosmopolite).
    Or cette abominable caricature de monnaie qu’est l’euro, représente en réalité une paire de menottes absolues contre toute liberté, et conduit obligatoirement à la ruine et delà au mondialisme abhorré.

  2. la « dévaluation compétitive » : cela ne consiste pas à appauvrir les gens pour compenser les erreurs des dirigeants politiques ? Pour cet économiste, il n’y a que la monnaie qui existe.
    L’euro comme source majeure de nos difficultés : comment était la France d’un point de vue économique avant l’euro ? Les dévaluations successives ont-elles enrichi les Français ? Fait baisser le chômage qui n’a cessé d’augmenter depuis 1974 ? La France est toujours la dernière à sortir des crises : des problèmes structuraux qui n’ont rien à voir avec l’euro.
    Son discours suppose que nos dirigeants sont compétents : j’en attends la preuve.
    Mais allons plus loin sur les différences incompatibles entre nations européennes : y a-t-il des différences entre les régions française du même ordre ? N’est-ce pas une aberration pour la Bretagne, la Provence, la Gascogne, l’Auvergne et l’Alsace, sans parler des Antilles d’avoir la même politique économique, fiscale, et la même monnaie ? Sachant que certains états américains sont pénalisés par le dollar ?
    Se focaliser sur la monnaie permet d’occulter les autres problèmes structuraux de la France, bien plus graves à mon avis, et d’exonérer les politiques qui nous gouvernent depuis 40 ans de toute responsabilité.
    “Pauvres et Français toujours”

  3. “Les nations se fragmentent, on l’a vu en Europe de l’Est, et les nations qui ne comportent que quelques millions d’habitants sont le plus souvent prospères.” : il propose donc de diviser la France en une dizaine de régions ! Mais n’est-ce pas un des objectifs de Bruxelles de créer une Europe des régions très indépendantes sur tous les plans ?
    Les nations les moins idéologiques et les plus réalistes sont les plus prospères. Pas de chance pour la France

  4. Ce sont tous les “mondialimo-sceptiques” qui auront raison sur toute la ligne !

  5. Il est tout de même un peu extravaguant qu’on fasse l’apologie de la dévaluation et qu’on donne ce signe d’abaissement comme idéal de gestion!

  6. ” Du jour au lendemain vous décrétez que votre compte de 3000 euros est désormais de 3000 francs…”
    Et ces 3000 euros qui m’avaient coûté 19 678,71 francs ne vaudraient demain que 3000 francs ?
    J’ai comme l’impression de me faire avoir (je reste poli) de 16 678,71 francs !
    AIE AIE AIE AIE, cantas y no llores ……

  7. Je ne peux m’empêcher de penser que cette situation traduit d’une certaine façon la faillite d’un certain systeme educatif; nos “elites”, sûres de l’autorité et de l’infaillibilité que leur confère une “peau d’âne” obtenue apres force transpiration, n’hesitent pas à insulter le simple bon sens qui leur aurait permis de mesurer l’inanité de cette Tour de Babel…

  8. 1 euro = 1 franc ? Le cocu sera encore une fois le citoyen lambda qui aura économisé et se retrouvera derechef pauvre comme Job. Un exemple : la baguette vaut actuellement 0,85 € ; combien vaudra-t-elle en franc ? 0,85 franc ? Je voudrais bien voir… Ca, c’est la réalité de tous les jours. Retour au franc ? Retour de bâton oui. Et ce sera sera terrible pour les petites gens. Bien entendu, les voyous qui nous auront entraînés dans cette aventure s’en tireront encore une fois “les cuisses propres” !

  9. Tout à fait d’accord avec Quéribus.
    Imaginons maintenant une voiture de 15 000 euros (98 393 francs), elle ne coûterait alors que 15 000 francs ? Hummmmm ….
    Pour ceux qui le peuvent, il y a peut être une solution : Acheter aujourd’hui avec ses économies-euros des devises étrangères stablent mais dont on sait qu’elle sera toujours supérieure au franc, attendre quelques temps que le retour au franc soit fait et stabilisé également, et à ce moment là, racheter des francs au cours en vigueur.

  10. SD-Vintage semble ne pas savoir que les provinces françaises sont depuis longtemps désormais unies par un sentiment d’appartenance dont il trouvera les manifestations et les preuve dans tout manuel d’Histoire depuis … Clovis ? Et qu’ainsi sa comparaison est fausse, infondé et dévoyée : le sentiment d’appartenance “européen” existe aussi, certes, mais il ne se fonde pas sur une monnaie, mais une civilisation – et plus encore la foi chrétienne, laquelle s’oppose aux présupposés idéologiques de la “construction” “européenne”.

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