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Culture

Les Incorporels, ces anges qui ont le gouvernement de l’univers…

Les Incorporels, ces anges qui ont le gouvernement de l’univers…

De Marion Duvauchel pour Le Salon beige

Car on voyait passer dans la nuit, par moments

Quelque chose de bleu qui paraissait une aile

Victor Hugo, « Booz endormi «

 

Dans nos paroisses aujourd’hui largement désaffectées, les Anges ne sont plus que de vieilles légendes décoratives ou prétexte à montrer qu’on a encore un peu de culture chrétienne. Il n’y a que dans les mouvances new âge ou psychédéliques qu’on s’intéresse au monde angélique et cet intérêt tient davantage de l’héroïque fantaisie que d’une droite théologie ou mieux, d’une angélologie un peu informée.

Qui commande ? C’est une question essentielle que celle du gouvernement des hommes, des nations, et aujourd’hui celui du monde. Les théories qu’on dit complotistes soulèvent cette question de savoir qui tient les rênes. Bien sûr, pour le chrétien, celui qui a le commandement suprême, c’est Dieu et ce commandement a été donné à son Fils. Mais Il n’est pas tout seul, même si tout Lui a été remis, Il a des armées célestes et elles méritent notre attention. Il existe à Athènes une église des « Saints Incorporels » où l’on peut voir trois grandes icônes figurant les trois Archanges de la Tradition que les orthodoxes appellent les Taxiarques », les chefs des armées des cieux : Michel, Gabriel et Raphael.

Les anges sont partout et les hommes sont guidés par ces « Incorporels » énigmatiques que dans l’un de ses sermons, saint Bonaventure nous engage vivement à connaître. L’ennui, c’est que l’information demande une connaissance des médiévaux et de leur outillage.

Le christianisme ne connaît pas de « continuum des démons » comparable au monde grouillant des divinités diverses de l’hindouisme qui offre l’exotique version d’un univers que l’Église, dans sa prudence, invite à ne pas explorer. Il convient de ne pas ignorer sa mise en garde. Bonaventure engage à connaître les saints anges, pas les anges prévaricateurs. Il n’empêche. Car hormis les naïfs et les menteurs nul n’ignore aujourd’hui qu’il existe des cultes à Satan.

Il faut considérer l’ange tombé avec le respect que mérite sa dignité de pur esprit !  Tout pouvoir sur les démons a été donnée aux premiers disciples. Jésus lui-même en parle clairement (Lc 10, 18-19) :

« Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici, je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi, et rien ne pourra vous nuire ».

Quand il transporte le Christ sur une haute montagne et lui montrant tous les royaumes de la terre avec leur gloire, Satan lui dit : « je vous donnerai tout cela, car tout cela ma été livré et je le donne à qui je veux ». Le Christ ne l’a pas démenti.

Si nous avons quelques lumières sur le pouvoir de Satan (et donc de ses cohortes) nous n’avons rien dans les Écritures sur la nature des démons, autrement dit leur mode d’action. Origène le déplore. Les Pères de l’Église se sont employés à combler ce silence des Écritures. Dieu a accordé à l’ange comme à l’homme le libre arbitre dont chacun use à sa guise pour s’élever vers le bien ou pour s’abîmer dans le mal. L’ange dispose de ce libre arbitre. Mais à la différence de l’homme son consentement ou son refus de servir est définitif. Lucifer est devenu mauvais par le choix de sa volonté, choix qui marque un changement d’état et la perte de sa « sainteté », perte définitive et irréversible. Le premier et le plus beau des anges est devenu, par sa rébellion, un monstre hirsute assimilé à Satan.

S’il est question dans la Bible de différents types d’anges, on n’y trouve aucune classification hiérarchique, c’est l’œuvre propre des médiévaux, à partir des doctrines théologiques et philosophiques grecques et arabes, (autrement dit persanes véhiculées en langue arabe). Il y a deux textes de référence pour la notion d’ange :  le De divinis nominibus de Denys et le De fide orthodoxa de Jean Damascène. L’ange est imago Dei par nature, similitude par la grâce et déiforme par la gloire. L’idée de hiérarchie angélique est ancienne et le texte de référence est la Hiérarchie céleste de Denys l’Aréopagite. La Tradition tient qu’il a été instruit par saint Paul. C’est contesté, mais ne nous laissons pas impressionner. Dans les écrits de saint Paul, on relève les Trônes, Principautés, Vertus, Dominations. Puis se sont ajoutés Séraphins, Chérubins, Anges et Archanges. Comment, cela reste obscur.

Autant le monde des divinités tantriques apparaît désordonné, hirsute comme les démons qui y participent, autant le monde des anges est ordonné. L’idée (ancienne) des ordres angéliques ne commence cependant à circuler qu’au XIIIe siècle, en particulier avec Thomas et Bonaventure, qui classifient et codifient les apports antérieurs. Puisque le monde des créatures spirituelles est par définition un monde ordonné, en bonne logique, les ordres qui le constituent doivent être nommés de manière claire et distincte, à partir de propriétés et de perfections qui sont propres à chaque ordre. L’univers a été créé selon nombre, poids et mesure, harmonieusement donc : les hiérarchies angéliques reflètent cette ordonnance douée de beauté.

Dans notre tradition comme dans bien d’autres, l’action des démons est conçue comme d’ordre physique : ils provoquent les maladies, accidents et perturbations atmosphériques. C’est cohérent car ils ont le gouvernement de l’univers, donc de ce qu’on appelle la « météo », le climat, c’est eux… Le changement climatique aussi ! Sans doute embarrassé, le christianisme rationaliste et rationalisant des derniers siècles leur a accordé surtout un pouvoir d’ordre moral : ils excitent les passions humaines. Les Anciens disaient plus simplement que l’idolâtrie, « puissance afflictive » est la forme la plus grave de leur domination.

Au chêne de Membré, Abraham voit trois anges qui ont pris une apparence humaine. Jacob rappelle qu’avant de voir le ciel ouvert, la rencontre avec l’Ange fait l’objet d’un combat. Il en garde une hanche déboîtée. « Voici le camp de Dieu » s’écrit-il en voyant les Anges de Dieu venir à sa rencontre. Les Anges, c’est donc une armée, une véritable armée, une armée de soldats innombrables. Comme toute armée, elle est solidement organisée. Cet ordre n’est pas un ordre inamovible, tout dépend de l’angle, de la perspective, voire de la hiérarchie appréhendée. Cela fait déjà une solide combinatoire. Il y faut donc un peu de technicité.

Dans un petit livre inédit, Les saints Anges, Huit sermons sur le monde céleste de saint Bonaventure, traduits, présentés et annotés par Bernard Verten, aux Éditions Grégoriennes, l’auteur présente de manière un peu détaillée huit « sermons sur le monde céleste », (ou si l’on préfère huit homélies sur les hiérarchies angéliques), du docteur subtil. La référence souveraine, c’est Denys l’Aréopagite : toute la hiérarchie céleste se réduit à trois ordres. Mais c’est aussi Isaïe. La cour intérieure du temple de Salomon est bâtie avec trois rangs de pierres polies : « voici que moi j’établirai tes fondations en rangées de saphirs ». Lucifer lui-même était couvert de toutes les pierres précieuses, la sardoine la topaze, la jaspe… Et les portes de la Jérusalem céleste sont gardées par douze anges. Le sermon I des saints anges a pour référence le texte de l’échelle de Jacob (Gn, 28) : les Dominations commandent, les Vertus exécutent, les Puissances triomphent, les Principautés guident, les Archanges instruisent, les Anges soutiennent. Mais ailleurs, dans un autre sermon, ce sont les Anges qui guident… Parce que Bonaventure fait varier les paramètres. Il n’est pas docteur subtil par hasard.

Il y a les ordres angéliques (ou hiérarchies) et il y a les communications angéliques. La Hiérarchie angélique reçoit la lumière divine, la transmet de chœur en chœur, jusqu’à la Hiérarchie ecclésiastique, reflet terrestre du monde spirituel, (ce que seules, osons le dire ici, les liturgies orthodoxes reflètent encore). Quant au mouvement ascendant, c’est celui par lequel l’homme est guidé par les Anges vers Dieu.

Et chez les démons ça se passe comment ? On n’en sait rien. On ne peut que conjecturer. Mais si l’on admet que l’ange est imago Dei par nature, similitude par la grâce et déiforme par la gloire, on peut concevoir ce que l’ange prévaricateur a perdu par son refus de servir. Il n’a pas refusé de servir Dieu : il a refusé de servir l’homme, dont l’intelligence n’est pas comparable à la sienne. On ne peut pas ne pas servir Dieu, si on ne le sert pas filialement, on le sert servilement. Satan ne peut aller contre la volonté divine, mais il peut se concilier la volonté humaine, en particulier celle de cette catégorie d’hommes qui se sont détournés de Dieu, devenant ainsi comme une sorte de « bien vacant » dont le démon peut s’emparer à son aise. Pour les autres, il lui faut ruser pour assurer son emprise, cela s’appelle la tentation.

Mais les Anges veillent et ne demandent qu’à veiller sur nous. Il existe même, dit la Tradition, un ange affecté spécifiquement à chaque homme et qu’on appelle l’« ange gardien ». Demandez et l’on vous donnera : leur aide nous est acquise.

Heureux les pauvres, le royaume de Dieu est à eux : les Anges en montrent le chemin, l’image en est l’échelle de Jacob. C’est la quatrième alliance.

Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. Marie-Madeleine est la grande figure de cette déchéance idolâtre dont elle a été sauvée, et il lui aura fallu beaucoup de larmes et trente années d’ascèse pour « tisser en elle-même le corps du Ressuscité, par la pénitence » pour elle, mais aussi pour tous les membres du corps du Christ » (Jean-François Froger, Marie Madeleine, l’Apôtre des Apôtres)

Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu : ils le verront dans les formes du monde créé et l’ordonnance source de beauté qui l’organise ; ils le verront dans le cœur des hommes de bonne volonté lorsqu’il transparaît dans leurs actes de bonté ou de charité.

On peut entendre l’écho de la lumineuse polyphonie angélique dans la musique de ceux et celles qui ont perçus dans leur ciel intérieur ou dans leur nuit profonde la douce et parfois insistante présence de ces Incorporels que saint Bonaventure invite à connaître.

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2 commentaires

  1. Très intéressant!
    Je ne comprends pas la phrase suivante qui me semble en contradiction avec l’enseignement traditionnel :
    “l’ange prévaricateur … n’a pas refusé de servir Dieu : il a refusé de servir l’homme, …”
    L’ange du mal a bien refusé de servir Dieu (et les hommes) : le “Non Serviam” … D’où la réponse de Saint Michel :”Qui est comme Dieu!”, et le combat entre les deux.
    Par contre, tous les anges du mal (dont Lucifer), restent soumis à Dieu, et sont obligés de lui obéir quand Dieu ordonne … D’où l’efficacité des exorcismes, quand ils ont bien fait, et que Dieu le veut.
    Les anges du bien aussi obéissent, mais par amour.

    • La réponse à votre question est dans votre commentaire, l’ange mauvais ne peut refuser de servir Dieu car obligé de lui obéir. La volonté non suivie de l’acte est inopérante et stérile, l’acte étant l’accomplissement et la pleine réalisation de la volonté.

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