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France : Politique en France

Les nouveaux droits de l’homme: un “ordre moral renversé”

Les nouveaux droits de l’homme: un “ordre moral renversé”

Vous venez de publier un livre sur les droits de l’homme envisagés comme un “ordre moral renversé”. Qu’entendez-vous par là ?

Le titre de mon livre qui vient d’être publié chez L’Harmattan est “L’ordre moral renversé – Le naufrage des droits de l’homme en Europe“. Il s’agit d’une analyse approfondie des mécanismes d’évolution des droits de l’homme en France et en Europe, mettant en lumière leur transformation progressive en droits des individus à assouvir leurs désirs, compromettant les droits humains tels qu’ils étaient conçus à l’origine.

Dans cet ouvrage clair et concis, compréhensible par tous, je mène une analyse objective et factuelle sur les origines et les mécanismes des mutations sociétales en marche depuis la deuxième moitié du XXe siècle.

Les droits de l’homme ont profondément changé depuis la Déclaration universelle de 1948. Comme l’a écrit Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice, « alors que les droits de l’homme de 1948 reflétaient des droits naturels, l’affirmation de l’individualisme a généré de nouveaux droits antinaturels ».[1]

Mais en 1948 le ver était déjà dans le fruit, et l’erreur a été répétée avec l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950. Quelle fut cette erreur ? Le refus de relier les droits de l’homme à une quelconque transcendance. Pourtant, plusieurs intellectuels et religieux avaient averti à l’époque, parmi lesquels le pape Pie XII, qui déclara en 1948 : « si l’Europe veut en sortir, ne lui faut-il pas rétablir, chez elle, le lien entre la religion et la civilisation ? […] (Sans) la reconnaissance expresse des droits de Dieu et de sa loi, tout au moins du droit naturel, fond solide sur lequel sont ancrés les droits de l’homme, […] comment ces droits et toutes les libertés pourront-ils assurer l’unité, l’ordre et la paix ? » [2].

N’étant plus tenu par une morale supérieure venant d’en haut, l’ordre moral a été littéralement renversé par l’apparition d’une nouvelle morale dictée par l’Individu, venant donc d’en bas. C’est que j’attends par “ordre moral renversé”.

Cette déconnexion entre les droits de l’homme et une loi morale transcendante n’est-elle pas au cœur même de la philosophie des droits de l’homme, dès 1789 ?

La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reconnaît l’existence d’une sagesse et vérité transcendante dans “l’Être Suprême”, sous les auspices duquel ont été solennellement déclarés « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme ». Je pense donc qu’il n’est pas juste de dire que les droits de l’homme de 1789 sont déconnectés de toute loi morale transcendante. Cela dit, 1789 a été une étape importante du relâchement du lien entre société et religion. L’idée même de “l’Être Suprême”, en renvoyant à une image d’un Dieu lointain et impersonnel, suggère que l’on cherche à évacuer Dieu hors de la sphère publique. Mais 1789 n’a été qu’une étape qui s’inscrit dans un long processus commencé bien avant. Dans son fameux ouvrage « Le pari bénédictin », Rod Dreher nous explique que la racine de la crise est le nominalisme, courant théologique du XIVe siècle selon lequel Dieu est une entité toute-puissante entièrement séparée de la Création. Après 1789, la déconnexion progressive entre le monde terrestre et le monde céleste s’est poursuivie, jusqu’à aboutir aujourd’hui au rejet pur et simple de ce dernier.

En sens inverse, ne pourrait-on pas considérer que les droits de l’homme pourraient offrir une version sécularisée de la loi naturelle ?

En 1948, plusieurs contributeurs à la Déclaration universelle des droits de l’homme, parmi lesquels le philosophe français Jacques Maritain et le Libanais Charles Malik, ont exercé une influence importante pour que les droits de l’homme s’inscrivent dans la loi naturelle. Si celle-ci n’est pas spécifiquement mentionnée dans la Déclaration, le préambule proclame que les droits se fondent sur la « reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ». La Déclaration n’établit pas les droits humains, elle ne fait que déclarer des droits préexistants inhérents à la nature humaine.

Cependant, l’absence d’ancrage à la loi naturelle est la source même de la dérive qui s’est produite par la suite.

L’absence de référence explicite à la loi naturelle dans la Déclaration universelle provient du fait que sa rédaction est le résultat d’un compromis entre plusieurs courants de pensée ayant des conceptions différentes de la dignité humaine. Il y a essentiellement deux approches : l’homme tient sa dignité de Dieu en tant qu’être créé à Son image ; l’homme est l’auteur et le maître de sa propre dignité.  Comme la loi naturelle n’est pas mentionnée dans la Déclaration universelle, il est possible d’interpréter les droits de l’homme qui y sont énoncés en fonction de l’une ou l’autre conception. C’est cette absence d’ancrage à la loi naturelle qui a permis la perversion des droits de l’homme devenus des droits individuels : le droit à l’autodétermination, le droit de vivre la vie de son choix, le droit de disposer de son corps, et d’autres encore. Tous ces droits se basent sur un principe contraire à la loi naturelle, à savoir que chaque individu est source de ses propres valeurs. Dans la loi naturelle, il y a le mot “Loi” qui indique l’existence de limites établies par Dieu et inscrites par Lui dans le cœur de l’homme pour son bien et son bonheur. Mais c’est le propre de l’homme de soupçonner que Dieu a posé sa loi et fixé des limites dans le but de l’empêcher de s’épanouir en devenant « comme des dieux ».

Tout comme la Déclaration universelle de 1948, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 ne se réfèrent à aucune morale transcendante, ni même à l’héritage chrétien de l’Europe. Si l’on peut comprendre que les rédacteurs de la Déclaration universelle aient omis toute référence à Dieu ou à une quelconque vérité transcendante dans l’intention de permettre son adoption par l’ensemble des pays d’horizons culturels très variés, l’omission de la référence à la religion chrétienne dans les actes fondateurs du Conseil de l’Europe et par l’Union européenne pose en revanche question, l’Europe étant indéniablement le « berceau du christianisme et de la moralechrétienne » comme exprimé par Winston Churchill dans son discours de Zurich en 1946.

Quel rôle ont joué les droits des “minorités”, notamment les droits LGBT, dans la subversion contemporaine des droits de l’homme ?

Les minorités ont en effet joué un rôle très important en gagnant la complicité des juges, en particulier ceux de la Cour européenne des droits de l’homme, qui en Europe donne le “La” en termes d’interprétation des droits fondamentaux.

Lorsque des individus ou groupes d’individus considèrent que leurs droits ne sont pas respectés, ils peuvent saisir la Cour européenne. Or, la Cour considère que la Convention est un « instrument vivant », comme elle l’a elle-même exprimé dans l’une de ses publications : « Ce qui fait la force de la Convention et la rend extraordi­nairement moderne, c’est l’interprétation que la Cour en fait : une interprétation dynamique, à la lumière des condi­tions de vie actuelles. Par sa jurisprudence, la Cour a élargi les droits énoncés par la Convention, si bien que ses dispo­sitions s’appliquent aujourd’hui à des situations totalement imprévisibles et inimaginables à l’époque de son adoption. »[3]. On est là à l’opposé de la loi naturelle.

La possibilité pour tout individu ou groupe d’individus de saisir en toute liberté la Cour européenne, combinée à la philosophie de la Cour Européenne que les droits et libertés de l’homme doivent être évolutifs et adaptés aux mœurs de notre temps, fait que les revendications des individus ou des minorités sont, si elles sont considérées justifiées par la Cour, élevées au rang de droits fondamentaux. Ces nouveaux droits étant inscrits sur les tables sacrées des droits de l’homme, leur remise en question n’est pas tolérée. De là découle le paradoxe suivant : le renforcement des droits des individus et des minorités a pour conséquence le non-respect de droits fondamentaux tels que la liberté de conscience ou la liberté d’expression, car la sacralisation de ces nouveaux droits s’accompagne d’une obligation pour tous de les reconnaître et d’une interdiction de les critiquer.

[1] PUPPINCK Grégor, Les droits de l’homme dénaturé, Éditions du Cerf, p. 11.

[2] Discours du Pape Pie XII au deuxième Congrès international de l’Union européenne des fédéralistes, 11 novembre 1948. Documents Pontificaux 1948, p. 403-407.

[3] La Convention européenne des droits de l’homme, un instrument vivant, publié par le Conseil de l’Europe, Cour européenne des droits de l’homme, août 2021, p. 7.

L’ordre moral renversé: Le naufrage des droits de l’homme en Europe

 

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4 commentaires

  1. les “Droits de l’ Homme ” ont pour raison d’ être d’ occulter et de remplacer l’ Evangile chrétien dans le ciel
    des Européens.
    voyez les décorations des Mairies:
    Marianne a remplacé la Sainte Vierge au plafond des salles des fêtes.

  2. Texte qui prouve qu’il ne fallait pas tolérer les droits de l’homme modèle 1789, ceux-ci étant conçus pour en arriver aux droits humains d’aujourd’hui. D’ailleurs l’Etre Suprême n’était plus Dieu car indifférent à sa création autant qu’à ses créatures (thèse nominaliste).
    C’est un avertissement : quand on tolère, on met le doigt dans l’engrenage sans connaître la fin du processus. La prudence commande donc zéro tolérance.

  3. Déjà si on revenait aux « droits et devoirs de l’homme et du citoyen » c’est serait un progrès par rapport au nihilisme individualiste actuel…

  4. Je recommande vivement la lecture du livre de G. Puppinck. Son étude lumineuse démonte implacablement les mécanismes et la pensée sous-jacente aux politiques occidentales actuelles.

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