Christophe Foltzenlogel, juriste au Centre européen pour la loi et la justice, écrit :
"Parmi les nombreux traités et engagements internationaux adoptés au sein des Nations Unies, « les objectifs du millénaire pour le développement et l’après-2015 » méritent actuellement une attention particulière. Ce programme d’actions adopté au sein de l’ONU en septembre 2000 par le plus grand rassemblement de chefs d’États au « Sommet du Millénaire », ne jouit pourtant que d’une faible notoriété. Ce programme intitulé « Déclaration du Millénaire » détermine huit « objectifs du Millénaire » prioritaires en matière de développement que les États se sont engagés à atteindre d’ici 2015. Les huit objectifs sont 1) d’éliminer l’extrême pauvreté et la faim dans le monde, 2) d’assurer l’éducation primaire pour tous, 3) de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, 4) de réduire la mortalité infantile, 5) d’améliorer la santé maternelle, 6) de combattre le VIH/SIDA et le paludisme, 7) de préserver l’environnement et enfin 8) de mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
Ces objectifs, négociés et adoptés par les 189 États membres des Nations Unies et les grandes institutions mondiales pour le développement, constituent une référence internationale majeure pour l’action politique des États et des institutions. Ils déterminent aussi largement l’affectation des fonds publics en matière d’aide au développement.
En septembre 2015 un nouveau sommet se tiendra à New-York, au siège de l’ONU, pour adopter un nouveau programme d’action couvrant la période postérieure à 2015. Ce programme post-2015 est actuellement l’objet d’intenses négociations. Au cœur des débats se trouve l’introduction d’un accès universel à l’avortement.
Déjà, le 23 septembre 2013 eut lieu un Sommet à New-York pour proposer et définir les nouveaux objectifs du millénaire de l’après 2015. Des consultations sont en cours, et l’ONU propose encore actuellement une plateforme « My World 2015 » invitant toute personne intéressée à voter pour les enjeux qui lui paraissent prioritaires.
Parmi les « objectifs du Millénaire » figure depuis 2000 l’amélioration de la santé maternelle. Le programme d’action de 2000 s’est donné pour objectif de faire baisser de 75% le taux de mortalité maternelle. Il ne sera malheureusement pas atteint dans tous les pays car selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les décès maternels ont seulement diminué de 47% entre 1990 et 2010, ce qui reste honorable. Par conséquent ce problème sera à nouveau étudié par l’ONU pour le prochain programme d’action post 2015. Jusqu’à présent, cet objectif était compris comme excluant la question de l’avortement et du contrôle des naissances. Cela ressort des objectifs détaillés de ce cinquième objectif où il n’est fait à aucun moment mention de l’accès à l’avortement, pas plus que dans les rapports de l’ONU à propos des objectifs du millénaire. De plus ce programme n’aurait pas pu recevoir le soutien des États du monde car une grande proportion d’entre eux interdit l’avortement. Or, dans le cadre de la négociation des objectifs post 2015, des gouvernements occidentaux et des ONG souhaitent que l’avortement soit intégré à l’avenir parmi les objectifs post 2015 comme un moyen d’améliorer la santé maternelle.
Dans un rapport de 2011, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies appelait explicitement les États à légaliser l’avortement, affirmant que les avortements non-médicalisés sont responsables d’un décès maternel sur huit. Selon cette approche, la libéralisation de l’avortement devrait faire partie des objectifs du millénaire post-2015, alors même que l’avortement est interdit pénalement dans un grand nombre d’Etats, et qu’aucun traité de l’ONU ou texte contraignant n’impose à ce jour aux États de légaliser l’avortement.
Ces déclarations ont suscité de vives réactions, car elles rompent le consensus international en faveur de la protection de la vie, et la volonté de ne pas favoriser l’avortement. Le droit international ne contient aucun droit à l’avortement, il consacre au contraire le droit à la vie. La Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD, appelée Conférence du Caire) a rappelé que « [l]es gouvernements devraient prendre des mesures appropriées pour aider les femmes à éviter l'avortement, qui ne devrait en aucun cas être encouragé comme une méthode de planification familiale », ainsi que la nécessité de « réduire le recours à l’avortement » (8.25) .
Néanmoins, des pressions sont exercées sur certains pays par des organisations internationales souhaitant conditionner l’aide médicale à la légalisation de l’avortement. Le cardinal Juan Luis Cipriani Thorne, archevêque de Lima, a récemment dénoncé ce « chantage », affirmant que les péruviens ne demandent pas l’avortement mais « de meilleurs soins de santé ».
Preuve supplémentaire de cet état d’esprit : une délégation du gouvernement irlandais a tout aussi récemment dû répondre aux sévères critiques du Comité des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Ce comité d’experts accuse l’Irlande de violer des « standards » en matière de droits de l’homme car il n’autorise pas l’avortement en cas de viol et de malformation et ne rembourse pas les frais de transports à l’étranger des femmes enceintes qui s’y rendent pour avorter.
Les débats liés à l’avortement s’inscrivent dans un contexte historique et idéologique plus large. Les Nations Unies développent en fait depuis plusieurs décennies une conception malthusienne du développement économique et social fondé sur la réduction de la natalité dans le monde, et en particulier dans les pays en développement. En 1969 déjà fut créé par le secrétaire général de l’ONU le Fonds des Nations Unies pour les Activités en matière de Population (FNUAP), qui finance des programmes de contrôle démographique (contraception et avortement) mis en œuvre en collaboration directe avec des ONG telles que l’IPPF (Fédération Internationale du Planning Familial) et MSI (Maria Stops International).
Cette volonté a été réaffirmée dans la Résolution du 27 juillet 2012 de l’Assemblée générale de l’ONU intitulée « L’avenir que nous voulons », qui recommande de mettre en œuvre « un accès universel à la médecine procréative, notamment aux services de planification familiale et d’hygiène sexuelle, et de faire une place à cette discipline dans les stratégies et programmes nationaux ».
Cette volonté ne prend pas en compte le fait que l’avortement demeure fondamentalement mauvais pour la santé de la femme, et qu’il est aussi une cause de mortalité maternelle.
L’avortement est une cause de mortalité maternelle
Il apparait au terme de nombreuses études qu’en réalité l’avortement, qu’il soit médicalisé et légal ou non, présente des risques pour les femmes, et que de nombreuses séquelles surviennent suite à de tels actes. Une femme sur dix qui avorte souffre de complications et dans un cas sur deux sa vie est en danger. Ces femmes courent des risques à court terme d’hémorragies, d’infections, de complications, mais également à long terme, tant sur le plan psychologique que physiologique avec l’augmentation du risque de déclencher un cancer du sein et/ou de ne plus pouvoir avoir d’enfants ultérieurement, d’avoir des naissances prématurées ainsi que des grossesses intra-utérines. Le taux de mortalité maternelle est supérieur en cas d’avortement que de naissance. C’est pourquoi ce sont en fait les pays développés qui interdisent ou restreignent fortement l’avortement qui ont le taux de mortalité maternelle le plus faible.
La santé maternelle ne peut être améliorée en favorisant la légalisation de l’avortement. D’autres mesures efficaces sont possibles et nécessaires : favoriser une alimentation adéquate, assurer la présence de sages-femmes qualifiées, ainsi qu’un suivi médical avant, pendant et après l’accouchement. On constate d’ailleurs que des pays développés interdisant l’avortement, comme l’Irlande et la Pologne ont un taux de mortalité maternelle très faible. Les Maldives ainsi que le Bhoutan, qui comptent parmi les rares pays ayant réussi à faire baisser le taux de mortalité maternelle de 75%, conformément aux objectifs du millénaire, l’ont fait tout en interdisant l’avortement. Il n’y a donc pas de lien établi entre la légalisation de l’avortement et la réduction du nombre de décès des femmes enceintes, au contraire. Il y a en revanche une corrélation entre les progrès médicaux (meilleur hygiène, accès à des médecins, éducation, etc.) et la santé des femmes.
Il est important de ne pas se méprendre sur les définitions vagues de « soin de santé en matière sexuelle et génésique » que les associations de planning familial promeuvent pour y inclure l’avortement. Car il est certain que la légalisation de l’avortement dans les pays en développement ne fera pas diminuer la mortalité maternelle. En revanche, la culture de ces pays sera profondément affectée par l’introduction de l’avortement. Sous couvert de lutter contre la mortalité maternelle, le but de cette politique de santé sexuelle et reproductive est de changer en profondeur la société des pays en développement, en réduisant leur fécondité. Il s’agit ni plus ni moins que d’exporter dans les pays pauvres le prétendu « modèle social occidental », majoritairement contraceptif, et abortif."