Lettre ouverte d'une femme de
gendarme aux forces de l'Ordre présentes à la manifestation du 24 mars 2013, à
Paris :
"Je ne m'adresse pas ici aux
autorités supérieures qui commandent les forces de l'Ordre; leur responsabilité
dans le mauvais déroulement de cette manifestation a déjà été prouvée; des
centaines et des centaines de photos, de témoignages et de vidéos sont là, qui
attestent leurs fautes professionnelles : sous-estimation du nombre des manifestants,
insuffisance des moyens mis en œuvre, ordre inique d'asperger de gaz lacrymogène
des innocents. Non, je m'adresse simplement aux
gendarmes mobiles, aux CRS et aux policiers qui ont appuyé sur les boutons des
gazeuses, à ceux qui ont donné les coups de matraque, ceux qui ont fait la sale
besogne.
Premièrement,
je dois vous dire qu'il était absolument impossible de ne pas déborder. J'étais
tout en haut de l'avenue de la Grande Armée, à droite du podium, à l'heure et à
l'endroit où les premières barrières ont lâché. Nous étions comprimés par la
foule qui poussait derrière. J'ai vu l'instant où mes enfants allaient être
piétinés. .. Nous avons été poussés vers l'avant. Heureusement quelqu'un a
ouvert une barrière ! Nous avons alors été propulsés comme un bouchon de
Champagne ! … Après cela, nous nous sommes mis en retrait, appuyés sur les
grilles qui encerclent l'Arc de Triomphe, là où la foule ne poussait pas, le
temps de reprendre nos esprits, sans savoir que, pour avoir échappé au
piétinement d'une foule, je serai qualifiée d'extrémiste, d'activiste et de
facho.
Je vous pose une première question : alors que nous avons failli être écrasés, ne deviez-vous pas ôter
vous-mêmes les barrières ? Des manifestants l'ont fait (honneur à eux !),
mais c'était à vous de le faire !
Avant de poursuivre, permettez-moi
une petite précision: nos enfants sont venus le 24 mars parce que la
manifestation du 13 janvier avait été « bon-enfant » et que vous étiez là!
Certains ont osé parler d'irresponsabilité, quand la seule que nous ayons pu
avoir, à la rigueur, est de vous avoir fait confiance.
En effet la deuxième chose que j' ai à vous dire est que nous sommes profondément
blessés parce que vous nous avez trahis: au début, je croyais dur comme fer
que vous nous protégeriez, que vous étiez là pour maintenir l'ordre. Je savais
bien que vous deviez obéir et, intérieurement, je vous plaignais. Peu à peu
j'ai découvert sur vos visages la tension, la peur, la panique! Je vous croyais
très forts psychologiquement, préparés à ce genre de situation dure et j'ai dû
me rendre à l'évidence: vous étiez « débordés », non pas par les manifestants,
mais par vous-mêmes; vous avez perdu votre « self-control ». Quand on est
capable de perdre le contrôle de soi, on ne devrait pas être armé. Votre
expérience de dimanche ne remet-elle pas en cause votre capacité à exercer ce
métier ? C'est ma deuxième question. Réfléchissez-y en conscience.
Mais enfin, quand j'ai vu le
zèle, l'ardeur et, pour certains, la satisfaction avec lesquels vous vous êtes
acharnés sur des enfants, des femmes, des personnes âgées sans défense et
inoffensifs… une autre évidence s'est imposée à moi: vous ne vous contentiez
pas d'appliquer les ordres, vous étiez devenus complices! Mes enfants vous ont
vu, et mon fils, dont la vue ne sera vraiment rétablie que dans un mois, a dit
l'ophtalmologiste – petit souvenir de votre obéissance aveugle! Et ils sont la France
de demain! Nous les avions naturellement éduqués dans la confiance à l'égard
des forces de l'Ordre. Mais c'est fini; pour eux, vous êtes à présent des
ennemis! Et pour nous, leurs parents, qui savons que tous les gendarmes ne sont pas comme vous, nous vous accusons de faire
rejaillir votre honte sur tous ceux qui exercent dignement ce métier! C'est la
troisième chose que je voulais vous dire.
Pour finir je me contenterai
d'un conseil, un tout petit conseil: ne montrez jamais ces photos et ces vidéos
à vos propres enfants! Ce n'est guère glorieux pour un fils ou une fille de
voir son propre père bourreau de faibles innocents. ..Jamais! … sauf si,
devant eux, la honte pouvait enfin dessiller vos yeux.
Sauf
si leur regard et leurs interrogations pouvaient vous faire réaliser jusqu'où l'obéissance
aveugle vous a amenés dimanche. Vous comprendrez alors que c'est cette même
obéissance qui a dicté à vos anciens la déportation des enfants juifs du Vel d'Hiv.
Eux encore pourraient avoir l'excuse d'avoir agi sous la contrainte de l'Occupation
ennemie! Vous comprendrez aussi, peut-être, que l'obéissance, si elle est
toujours légale, peut parfois devenir criminelle. Enfin, vous comprendrez qu'il
est toujours possible, à l'instar de nos grands résistants, de défendre les
causes justes contre l'ordre légal. Ayez ce courage! Il n'est jamais trop tard.
C'est à ce prix seulement que vos enfants seront à nouveau fiers de vous !"