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L'Eglise : L'Eglise en France

L’évêque n’est pas un quelconque haut-fonctionnaire de l’institution, qui n’aurait plus de vision et de responsabilité ecclésiale

L’évêque n’est pas un quelconque haut-fonctionnaire de l’institution, qui n’aurait plus de vision et de responsabilité ecclésiale

Antoine Bordier a interrogé Marc Fromager, à propos de la situation dans le diocèse de Toulon :

Rappelez-nous ce qu’il se passe dans ce diocèse voisin de la cité phocéenne, à quelques jours de la visite du pape à Marseille, où se rendra Mgr Dominique Rey, l’évêque du diocèse concerné.

Le diocèse de Fréjus-Toulon est un des plus dynamiques de France, notamment, en termes d’initiatives missionnaires, de vision ecclésiale, de vocations sacerdotales et religieuses. L’année dernière pour la première fois, quelques jours avant les ordinations prévues comme d’habitude partout dans l’Eglise, fin juin, tout a été bloqué par le Vatican dans ce diocèse du Var. Cette année encore, il n’y a pas eu d’ordinations, ce qui signifie que les futurs ordinands attendent maintenant depuis deux ans une ordination qui ne vient, toujours, pas et pour laquelle ils sont laissés, ainsi que leurs familles et l’ensemble du diocèse, dans le plus grand désarroi.

C’est un scandale ?

Non, on ne peut pas le dire ainsi. Mais, c’est un sujet important et urgent. Très.

Avant d’entrer davantage dans le sujet, présentez-vous. Qui êtes-vous et pourquoi cette défense des séminaristes, de l’Eglise, vous tient-elle à coeur ?

J’ai toujours travaillé dans et pour l’Eglise. Tout d’abord à la Délégation catholique pour la Coopération, ensuite à la Communauté des Béatitudes, au diocèse de Nîmes, et, puis, j’ai dirigé longtemps l’Aide à l’Eglise en Détresse. Récemment, j’ai lancé la Mission Ismérie. Et, maintenant, je suis chez SOS Chrétiens d’Orient. Cela fait 32 ans que j’ai le privilège de servir l’Eglise.

Presqu’une vie entière, en somme, consacrée à l’Eglise ?

Oui, c’est vrai. Ce n’est pas courant de nos jours. C’est pour cela que j’aime profondément l’Eglise et que je la connais bien. Je rajouterai que, pour parler du sujet plus largement, et sans faire de cléricalisme, tout le monde peut aisément comprendre que la qualité des communautés paroissiales dépend en grande partie de la qualité de service (de la sainteté) des prêtres. Celle-ci ne s’apprend pas, mais on peut imaginer qu’elle soit facilitée et soutenue par une formation de haut vol. Sans les séminaristes, l’avenir de l’Eglise n’existe pas ou difficilement. Les séminaristes concentrent ainsi une partie presque visible de l’avenir de l’Eglise. Cette jeunesse, c’est le trésor le plus précieux de l’Eglise. Nous l’avons vue lors des JMJ de Lisbonne cet été. Cette jeunesse qui se donne à Dieu et aux hommes est belle ! Elle est héroïque, c’est la raison pour laquelle il faut lui apporter le plus grand soin, particulièrement sans doute dans les contrées comme les nôtres où les vocations se sont faites de plus en plus rares.

L’Eglise de France est touchée de plein fouet par la crise des vocations. Les chiffres sont affolants : entre 1945 et 2020, le nombre de prêtres a été divisé par 10. Ils sont, aujourd’hui, plus ou moins 5 000, de moins de 60 ans. Les pratiquants réguliers, eux aussi, sont en berne. Ils ne représentent plus que 2% à 3% de la population française. Est-ce inquiétant ?

Oui, c’est très inquiétant pour notre société qui a été construit sur des fondations chrétiennes. On le constate tous les jours. Notre société perd ses valeurs. Elle perd pied. A commencer par les valeurs familiales. L’Eglise a un rôle important à jouer sur le sujet. Les vocations naissent dans les familles.

Quels sont vos liens avec Mgr Dominique Rey, l’évêque de ce diocèse, qui subit une telle interdiction inédite dans l’histoire de l’Eglise ?

Je connais Mgr Rey depuis un certain nombre d’années. J’ai déjà participé avec lui à quelques voyages au Brésil, lors de la rencontre de communautés dites charismatiques. En Colombie, nous avons rencontré des communautés plutôt traditionnelles. Et au Proche-Orient, pour manifester notre proximité avec nos frères chrétiens d’Orient en grande souffrance, car ils persécutés. Nous avons beaucoup œuvré à leurs côtés. Et, nous continuons à le faire. J’ai, également, eu l’occasion de le rencontrer lors des différents évènements ecclésiaux : comme la Nuit des Témoins, un évènement annuel en soutien des chrétiens persécutés, la French Riviera Institute, etc.

L’année dernière, dans notre enquête publiée le 29 juin, nous faisions référence au communiqué que Mgr Rey publiait : « Dans l’attente des suites de ces échanges en cours avec les dicastères romains, il a été demandé de surseoir aux ordinations diaconales et sacerdotales prévues fin juin. » Combien de temps cette situation pourrait-elle, encore, durer ?

J’aimerais bien le savoir ! Et, je ne suis pas le seul. Tous, nous aimerions le savoir. Le prolongement inédit de cette apparente sanction et l’opacité dans laquelle nous sommes maintenus, quant au dénouement de cette surprenante incrimination, deviennent pesants. Nous ne sommes pas des moutons de panurge. La plupart des laïcs sont impliqués dans l’Eglise, nous finançons l’Eglise. Nous avons droit à des explications.

Certes, il faut croire que le Vatican a ses raisons, qui n’ont pas forcément à être toutes communiquées, mais à l’heure de l’inclusion, de la tolérance et de la charité fraternelle promue universellement par l’Eglise elle-même, un minimum de considération serait le bienvenu pour les fidèles, les séminaristes, les ordinands et leurs familles. N’oublions pas l’évêque qui souffre de cette situation, comme un père de famille qui ne pourrait plus offrir un avenir à ses enfants. Il est tout de même le successeur des apôtres, comme les autres évêques et cardinaux. Il n’est pas un quelconque haut-fonctionnaire de l’institution, qui n’aurait plus de vision et de responsabilité ecclésiale.

Que lui reproche-t-on, finalement, à Mgr Rey, selon vous ?

Aucune idée ! Il faudrait poser la question au saint Père. Certains ont évoqué le trop grand nombre d’ordinations – un comble. Mais on aimerait savoir d’où cela serait-il devenu une infraction ? D’autres avancent le trop grand nombre de vocations étrangères, le manque de discernement. Mais il n’y a pratiquement plus une seule paroisse en France qui n’accueille pas un ou plusieurs prêtres étrangers, la plupart venus d’Afrique. Certains, enfin, allèguent une trop grande bienveillance pour les milieux traditionnels, mais là encore, est-ce contraire au droit Canon ? Ou cela est-il devenu déplacé, voire déplaisant en haut lieu ? Mgr Rey aime l’Eglise et a consacré sa vie à la servir. Ses méthodes sont directes ? Il va très – trop – vite ? Seul celui qui ne fait rien ne fait pas d’erreurs, et encore ! In fine, que lui reproche-t-on ? De mettre en lumière par sa débordante énergie l’immobilisme de beaucoup de ses pairs ? Cela correspond bien à notre époque qui consacre l’éloge de la médiocrité : surtout, ne jamais faire de vagues !

Toujours lors de notre enquête, nous avions interrogé le célèbre Odon Vallet, l’expert-historien des religions. Il nous avait dit : « Quand l’Eglise parle de “ visite fraternelle ”, en réalité il faut comprendre une vraie mésentente entre Rome et Toulon. Mésentente qui peut paraître contradictoire au moment où le pape appelle à l’ouverture, et, à se rendre aux périphéries. Ce que semble faire Mgr Rey. Le pape est pressé de prendre ce genre de décisions, durant les probables derniers mois de son pontificat. » Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas plus d’informations. Cela étant, si une visite qualifiée de « fraternelle » crée un tel désordre, je ne suis pas certain d’avoir tout compris dans Fratelli Tutti. Autrefois, on disait : « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Parfois, on a l’impression, aujourd’hui, d’une injonction à la fraternité pour les autres mais pas pour notre prochain, que ce soit d’ailleurs au niveau religieux ou politique.

A quelques jours de la venue du pape François, quelles seraient vos raisons d’espérer en une fin de l’histoire qui se termine bien ? Le pape François, le cardinal Aveline et la Conférence des Evêques de France vont-ils prendre le risque de fermer le séminaire et de pousser à la démission Mgr Rey ? Il y a quelques semaines, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, à Lisbonne, devant 1,5 million de jeunes, le pape ouvrait les bras à tous les jeunes en disant : « Il y a de la place pour tous dans l’Eglise ». Va-t-il les rouvrir pour les jeunes du séminaire ?

On peut l’espérer ! Quoiqu’il en soit, une décision doit être prise. On ne peut pas rester indéfiniment dans ce flou qui ne semble pas très évangélique. « Que votre oui soit oui et que votre non soit non » a-t-on envie de dire.

Cela étant, il est peu probable que le sujet soit à l’ordre du jour lors de la visite du pape. Le saint Père a en effet répété avec insistance qu’il venait à Marseille et pas en France, ce qui semble exclure même les voisins les plus proches.

[Note du rédacteur] Information de dernière minute : selon Odon Vallet, « un entre-deux serait, finalement, trouvé. Et, Mgr Rey ne serait plus poussé à la démission. Un évêque co-adjuteur (NDLR : un adjoint-successeur) serait nommé à ses côtés. » Alors que Mgr Rey fêtera ses 71 ans, le 21 septembre, et qu’il devrait prendre sa retraite dans moins de 4 (pour ses 75 ans), l’obliger de démission serait, effectivement, la plus inopportune des solutions. Admettons, enfin, que les pensées de Dieu sont « impénétrables ». Celles du pape également !

Interview réalisée par Antoine Bordier

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