Extraits du témoignage de Malik Bezouh, passé des Frères musulmans à l’amour de la France chrétienne, dans Famille chrétienne :
"[…] C’est lorsque j’étais étudiant, à Saint-Étienne, que j’ai rencontré l’islamisme. J’ai lu cette phrase d’un penseur des Frères musulmans, Sayyid Qutub : “La nationalité du musulman, c’est sa foi.” J’ai alors cru tout résoudre : je ne suis ni algérien, ni français, je suis musulman ! Je pensais avoir enfin trouvé les réponses à mes questions. J’ai embrassé l’islam porté par les Frères musulmans. Engagés, prosélytes, mais foncièrement légalistes, nous utilisions tous les moyens législatifs et associatifs pour faire passer le message islamique. […]
J’aurais pu continuer au sein de la confrérie, comme certains de mes amis, qui sont aujourd’hui cadres de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Pourtant, j’étais malheureux chez les Frères musulmans. Je ne partageais pas leur sentiment de surpuissance envers les “Français”, ces mécréants qui pataugent dans l’ignorance et l’idolâtrie de la nouvelle Babylone. Ce sentiment de surpuissance n’était pas de l’amour, cela ne correspondait pas à mon désir profond. Je suis devenu dépressif, j’ai émis des doutes sur le Coran. J’ai fini par quitter la confrérie. Cela a été une vraie souffrance pendant plusieurs années.
Je suis alors tombé sur un texte de Bossuet : ce fut un véritable choc ! Je lisais un français magnifique, alors que je ne connaissais jusqu’à présent que des traductions islamistes de l’arabe. Ce fut mon premier véritable contact avec la littérature française. Je suis devenu amoureux des textes sublimes de l’évêque de Meaux, où il explique la nature humaine. Comme cette phrase tellement profonde, sur la fièvre de paraître : “Ô quand sera-ce que je songerai à être en effet, sans me mettre en peine de paraître ni à moi ni aux autres ?” J’ai été bouleversé par cette pensée, qui s’inscrit en faux contre la société hédoniste et narcissique actuelle. C’était une véritable révolution pour moi de rencontrer ce grand personnage français, chrétien, éclairé par la transcendance divine, et appartenant à une époque inconnue. Pour comprendre Bossuet et l’Ancien Régime, j’ai plongé dans l’Histoire de France. Et là, ce fut le salut, la renaissance ! J’avais un bijou, un trésor à ma portée, et je ne le savais pas. Bossuet m’a ouvert la porte sur l’univers splendide de la culture française, et donc la culture chrétienne.
L’Histoire de France fut ma thérapie. J’ai découvert cet aspect charnel de mon pays, que je ne connaissais pas. J’avais également besoin de comprendre le rapport de la France à l’islam, à travers l’Histoire. J’ai rencontré la figure de Pierre le Vénérable, un abbé de Cluny du XIIe siècle, qui avait étudié l’islam et traduit le Coran. Il avait une véritable curiosité envers les “Sarrasins” : je me suis reconnu dans cet effort de l’intelligence. J’ai aussi aimé le contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, cette plume extraordinaire, à la fois pleine de sagesse et de désespoir. L’Histoire de France m’a donné des figures d’identification, et même une fraternité traversant les âges : Pierre le Vénérable, Bossuet sont devenus mes frères ! […]
On ne peut pas reconstruire la France autour de Charlie Hebdo : la philosophie des Lumières n’est pas neutre, elle est intolérante, et s’est construite sur la haine du religieux. […]"