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Histoire du christianisme

L’histoire politique des colonnes infernales (2)

L’histoire politique des colonnes infernales (2)

Suite de l’entretien avec Jacques Villemain sur son livre : ‘Histoire politique des colonnes infernales” (pour lire le premier voler de cet entretien, cliquez ici):

Vous insistez beaucoup sur le caractère de “guerre de religions” de cette histoire terrible. On peut le comprendre du côté des Vendéens très attachés à la foi de leurs pères, mais comment l’expliquez-vous du côté des révolutionnaires qui semblent n’avoir pas eu de convictions religieuses bien solides?

Il n’y a pas de religions que transcendantes. Il y a aussi tout ce qu’avec Raymond Aron on peut appeler les « religions séculières », celles qui promettent le paradis sur terre. Aron donnait l’exemple du communisme, mais la Révolution française portait le même rêve de « régénération »de la France voire du monde entier. Le fanatisme droits-de-l’hommiste que j’évoquais à l’instant avec les paroles de Saint-Just est clairement une forme de « religion séculière ». L’historienne Mona Ozouf qui a beaucoup travaillé le sujet avec François Furet sur l’histoire révolutionnaire, évoque  un « transfert de sacralité » recherché par la Révolution. Au début c’est précisément pour se sacraliser que la Révolution exige un serment religieux de fidélité à son bénéfice, y compris si cela exige de rompre l’unité catholique. C’est le refus de ce serment qui fera les prêtres réfractaires et c’est la défense de ces « bons prêtres » qui fera la Vendée. Ensuite, voyant qu’elle ne peut  pas utiliser le catholicisme pour sacraliser son œuvre, la Révolution ne va pas cesser de tenter de créer ses propres cultes et son propre « sacré » : déesse Raison, Etre Suprême, culte décadaire, théophilanthropie se succèdent. Pensez au premier couplet de « La Marseillaise » : « Amour sacré de la patrie, conduis, soutiens nos bras vengeurs ». La Vendée a été livrée à cette « vengeance nationale » sans cesse invoquée dans le discours anti-vendéen de 1793-1794. Le département de Vendée sera même rebaptisé « Vengé ». Il a bien existé un « sacré révolutionnaire », ce sacré qui est ce pourquoi on est prêt à « se sacrifier » comme à « sacrifier » autrui. Il n’est pas besoin d’avoir lu René Girard pour savoir que « la violence et le sacré » sont étroitement en relations : tout sacré peut engendrer la violence, et plus la violence est extrême plus elle tend à invoquer une forme de sacré pour se justifier. La Révolution n’y a pas manqué.

Comment expliquez-vous que le gros des massacres (et notamment les colonnes infernales elles-mêmes) débute alors que les Vendéens sont militairement vaincus?

Un soulèvement populaire contre la Révolution équivalait à la dénonciation de l’imposture des révolutionnaires qui prétendent agir au nom du peuple. C’est insupportable pour eux, c’est le blasphème absolu à leurs yeux. Il est rapporté que les Représentants en Mission ont dit au général Haxo (un des sous-ordres de Turreau) « “Il faut que la Vendée soit anéantie parce quelleosé douterdes bienfaits de la liberté. Ce langage d’anathème religieux sera celui de tous les totalitarismes révolutionnaires et François Furet n’avait pas tort de voir dans 1793 la « matrice des totalitarismes modernes ». Mais surtout c’est précisément parce que les Vendéens ‘n’ont plus d’armée en janvier 1794 (leur armée a été totalement détruite, sauf les troupes de Charrette qui n’y participaient pas, à Savenay en décembre 1793) que le massacre général devient possible. En fait ce massacre était déjà envisagé par la loi du 1er août 1793 (le fameux « Détruisez la Vendée !» répété alors six fois dans le discours de Barère à la Convention) et avait connu une première réalisation avec le massacre de quelques 40.000 Vendéens durant la « Virée de Galerne » qui se termine à Savenay : l’expédition des colonnes infernales n’est au fond que la répétition au sud du fleuve de ce qu’on venait de faire au nord et fera sans doute encore 40.000 morts.

En sens inverse, comment expliquez-vous que tant d’historiens banalisent ces atrocités en les décrivant comme une malencontreuse conséquence de la guerre civile?

Francois Furet disait que la Révolution reste « La grande déesse- mère » de la France moderne,. L’histoire révolutionnaire, c’est effectivement le mythe fondateur, voire l’histoire sainte d’une certaine vision de la République. C’est aussi ce qui fonde la légitimité du recours à la violence pour améliorer les choses, qui fut le fonds de commerce du marxisme (la « violence accoucheuse de l’Histoire » selon Marx) et qui reste aujourd’hui  l’horizon de la gauche radicale. Admettre que la Révolution aurait pu être le cadre politique de crimes de masse, jusqu’au génocide, tient du blasphème aux yeux de la gauche, et pas seulement de la gauche radicale. Robespierre reste le héros de J-L Mélenchon et de LFI, mais il était aussi celui de Jaurès ou d’un socialiste mondain de l’époque Mitterrand comme Max Gallo. Il faut sauver le soldat Robespierre, et pour cela il faut euphémiser, banaliser, faire passer pour de malheureux accidents les crimes commis en 1793-1794, notamment en Vendée. Parler de « guerre civile » est un tour de passe-passe sémantique  : tant en ex-Yougoslavie qu’au Rwanda les génocides ont eu lieu dans un contexte de guerre civile. La guerre civile n’est pas une explication, c’est un contexte.

Pouvez-vous nous donner quelques indications sur le bilan des guerres de Vendée?

Les historiens semblent aujourd’hui s’accorder sur un bilan de 170.000 morts Vendéens, essentiellement des femmes, enfants et vieillards, auxquels il faudrait ajouter 30.000 « Bleus » (républicains), essentiellement des soldats des armées de la Convention. 170.000 morts, cela représente, par rapport à la population de la région insurgée en 1788, une proportion de 21 à 23%. C’est un ordre de grandeur comparable aux massacres des Khmers Rouges du Cambodge entre 1975 et 1979. Encore faut-il ajouter qu’il existe des raisons de penser que ce bilan est sous-estimé, peut-être encore d’un tiers en sorte qu’on ne peut pas exclure que le bilan soit plutôt de 250.000 morts vendéens, voire encore un peu plus.

Vous dites que ne pas qualifier correctement les colonnes infernales comme un crime contre l’humanité conduit à laisser pourrir le cadavre dans le placard. Comment les pouvoirs publics pourraient-ils aujourd’hui travailler à l’apaisement et à la justice?

Pour que la mémoire soit purifiée, il faut que le mal soit nommé. Il faut que le crime soit reconnu. Il n’y a aucune raison d’imputer à la Vème République les crimes commis à l’époque de la Ière, encore faudrait-il qu’elle s’en désolidarise clairement au lieu de la célébrer sans nuance, ce qui était le projet initial du Bicentenaire de 1989. En 1987, lors de sa préparation l’historien Claude Langlois avait fait sensation avec un article intitulé « La Révolution malade de la Vendée» : l’historien Reynald Secher venait de publier la première thèse de doctorat (sous la direction de P. Chaunu et J. Tulard entre autres) sur ce qu’il appelait déjà un « génocide franco-français ». Cette thèse non seulement n’a pas disparu comme le souhaitaient les « célébrants » de 1989, mais elle s’installe de plus en plus dans le débat historique sur la période révolutionnaire, n’en déplaise aux historiens robespierristes qui depuis le Front Populaire tiennent le haut du pavé du secteur universitaire consacré aux recherches sur l’histoire révolutionnaire. Il faut qu’il soit reconnu que ce qui s’est alors passé en Vendée fut une abominable série de crimes, jusqu’au génocide. L’énorme succès du « Puy-du-Fou » irrite énormément notre gauche robespierriste, apparemment incapable de comprendre qu’en Vendée, où toutes les familles ont eu un ou plusieurs ancêtres massacrés en 1793-1794, la mémoire reste vive et que la mobilisation populaire au service de cette mémoire a été immédiate lorsqu’un projet comme celui de Philippe de Villiers a été mis sur la table. Plus généralement c’est partout en France que le film  « Vaincre ou Mourir » a été un succès l’an dernier, aux cris rageurs et désespérés de « Libération » et consorts. Notre mémoire historique est blessée. La réconciliation des mémoires ne peut se faire que sur la base de la vérité des faits, et donc sur la reconnaissance de la nature criminelle de la politique menée en Vendée en 1793-1794,  y compris avec les mots qui fâchent : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide. Je suis persuadé qu’on finira par y venir.

Histoire politique des colonnes infernales – Avant et après le 9 Thermidor

 

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