Dans Présent, Maroun Charbel relate la visite du Pape au Liban. Extraits :
"Les curés avaient dit : personne chez soi dimanche, tout le monde à
la messe du pape ? Ils y étaient. J’ai même croisé une dame marchant par
la grâce d’un déambulateur et une autre le pied dans le plâtre, sa
canne à la main, faisant fi et de la chaleur et de la longueur du
trajet. Combien étions-nous ? Selon la salle de presse du Vatican nous
étions plus de 350 000. Au départ les organisateurs ne pensaient pas
pouvoir réunir plus de 100 000… Ce matin il y avait plus de 350 000
fidèles dans l’enceinte de la messe. Mais cela ne comptabilise pas les
rues avoisinantes qui étaient noires de monde. […]Vendredi dernier, 14 septembre, le jour de l’exaltation de la
Sainte-Croix, nous nous demandions encore si le voyage aurait lieu. Si
Benoît XVI serait effectivement parmi nous. La
situation était tendue et nous ne savions pas encore si le Hezbollah
« bénissait » la visite. […] Ce n’est que jeudi soir
tard que le Hezbollah se fendait d’une déclaration appelant « tous »
les Libanais à accueillir le Saint-Père. L’aéroport international de
Beyrouth et toute la route qui mène jusqu’au centre-ville est sous sa
stricte domination. Qui osera s’y masser pour saluer le chef de la
chrétienté ? Vous vous imaginez bravant ses interdits avec votre
belle-mère et votre mère, vos enfants, votre épouse et le petit dernier
dans son landau ? Pas moi !Il y a eu du monde pour saluer le Saint-Père sur ce trajet. Ces
mêmes escouades de femmes toutes en noir avec des grappes d’enfants que
l’on envoie sur la frontière israélienne pousser quelques youyou
militants. Elles étaient là dans leur tchador à l’iranienne agitant
leurs petits drapeaux aux couleurs du Saint-Siège. J’oubliais ! Le parti
s’est fendu d’une grande affiche « Bienvenue au Liban au pope
Benoît XVI ». Ce n’est pas une coquille, c’est bien pope, à l’anglaise.Mais nous nous sommes bien rattrapés dans nos régions, obligeant les
très stricts services de sécurité du Vatican à revoir leur copie et à
faire faire au pape tous ses trajets en papamobile au lieu du convoi de
Mercedes noires blindées aux vitres fumées.Que retenir de ce voyage ? Tout. D’abord les textes de Benoît XVI.
Ciselés à la manière du cardinal Ratzinger ! Il a su trouver les mots,
les formules pour dire la vérité. Rien que la vérité dans un pays
déchiré. […] Il y a évidemment l’exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente pour nous permettre « de repenser le présent pour envisager l’avenir avec le regard même du Christ ». Benoît XVI
n’est pas venu nous donner une solution miracle. Une solution magique.
Le grigri pour supporter notre quotidien, pour vivre avec nos peurs et
nos angoisses. Benoît XVI est venu nous
apporter la méthode : « A la lumière de la fête d’aujourd’hui –
exaltation de la Sainte-Croix – et en vue d’une application fructueuse
de l’Exhortation, je vous invite tous à ne pas avoir peur, à demeurer
dans la vérité et à cultiver la pureté de la foi. Tel est le langage de
la Croix glorieuse ! Telle est la folie de la Croix… celle de savoir
aussi transformer des êtres attaqués et blessés dans leur foi et leur
identité, en vases d’argile prêts à être comblés par l’abondance des
dons divins plus précieux que l’or… »[…] Il y aussi les hasards du calendrier ou les clins d’œil de la
Providence. Le 14 septembre 1982, le président-élu du Liban, celui qui
en portait tous les espoirs, Bachir Gemayel, était assassiné. 30 ans
plus tard – jour pour jour – le Saint-Père arrive, et résonne dans nos
cœurs la voix de celui qui disait : on nous a attaqués comme Chrétiens,
nous nous sommes défendus comme Libanais. Le protocole libanais exige la présence de tous les anciens
présidents de la République lors de cérémonie de ce type. Autour de
Benoît XVI nous avions deux veuves de
présidents assassinés, Solange Gemayel et Nayla Mouawad. Mais nous
n’avions pas Emile Lahoud, le prédécesseur de Michel Sleiman. Homme lige
des Syriens des années de plomb, il a peut être choisi de s’abstenir.Certains amis ne comprenaient pas notre inquiétude autour de ce
voyage alors que celui de Jean-Paul II s’était si bien passé sous la
tutelle syrienne. Eh bien ! justement est là toute la différence. Pour
le bienheureux Jean-Paul II les Syriens occupaient le Liban. Une fois
qu’ils avaient décidé d’accepter la visite il fallait qu’elle soit une
réussite. Aujourd’hui la Syrie est hors du Liban et ses moyens de
détruire demeurent, bien qu’affaiblis. Tout au long de la visite du
Saint-Père les villages chrétiens des zones frontalières ont été
systématiquement bombardés."