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Liban-Israël : un voisinage instable

Liban-Israël : un voisinage instable

D’Annie Laurent dans La Petite Feuille Verte :

Le Liban n’a toujours pas résolu le problème crucial du recouvrement de sa pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire (cf. PFV n°105 et 106). Car d’une part, le désarmement des camps palestiniens, à peine entamé au printemps 2025, est loin d’être achevé, interdisant aux autorités libanaises d’y intervenir ; d’autre part, le désarmement du Hezbollah prévu par un plan voté l’été dernier par le gouvernement, qui confiait à l’armée libanaise sa mise en œuvre, se heurte à de nombreuses difficultés liées au refus du parti chiite de désarmer, dans le but de résister à l’occupation israélienne de plusieurs territoires libanais dans la région méridionale du pays. Le maintien de ses armes par le Hezbollah est considéré comme un danger existentiel pour Israël dont l’armée multiplie ses attaques quotidiennes sur ces régions majoritairement habitées par des chiites et de nombreux chrétiens .

Par ailleurs, la perspective de négociations directes entre Israël et le Liban, soutenue par plusieurs États alliés de ce dernier, demeure incertaine.

Pour une meilleure compréhension de la complexité qui caractérise les relations de voisinage entre le Liban et Israël, nous vous proposons ici d’en reprendre plusieurs étapes historiques.

LE LIBAN FACE À LA CRÉATION D’ISRAËL

À la suite du vote du partage de la Palestine, à l’ONU, le 29 novembre 1947, suivi par la proclamation de l’État d’Israël sur l’ensemble de la Palestine, le 14 mai 1948, dont la fondation avait été décidée lors du premier congrès sioniste de Bâle (Suisse) en 1897, les gouvernements des pays voisins ont refusé de reconnaître cette nouvelle entité. Coalisés sous l’appellation Forces armées arabes unifiées (Égypte, Irak, Jordanie, Syrie et Liban), ils déclenchèrent la première guerre arabo-israélienne. Indépendant depuis 1943 et ne disposant que d’une armée embryonnaire (3 000 hommes), le pays du Cèdre n’y participa que faiblement, se contentant de repousser les miliciens sionistes, qui occupèrent cependant une dizaine de villages situés dans sa région méridionale.

Lors de la signature de l’accord d’armistice, qui eut lieu le 23 mars 1949 au poste frontalier de Ras-Naqoura, le lieutenant-colonel Mordechai Makleff, négociateur israélien, déclara : « Israël n’a jamais eu de querelles avec le Liban dans le passé et n’a aucune raison d’en avoir dans l’avenir » (New York Times, 24 mars 1949).

Bien que parrainée par l’ONU et concernant des territoires reconnus internationalement, cette convention ne fixait pas le tracé d’une frontière commune entre les deux pays voisins, n’impliquait aucune reconnaissance réciproque officielle et excluait donc l’établissement de relations diplomatiques. Mais par sa signature, l’État hébreu renonçait aux plans conçus avant 1948 par des représentants de partis sionistes. Ces projets mêlaient des considérations territoriales, économiques et confessionnelles. En voici un aperçu.

REGARDS SIONISTES SUR LE LIBAN

Dans L’Orient-Le Jour (OLJ) du 24 novembre 2023, le journaliste Salah Hijazi cite cette information de l’historien Henry Laurens : « Avant 1948, la droite israélienne avait des vues sur le Liban-Sud ».

De fait, deux partis sionistes, Agoudat Israël (Rassemblement d’Israël) et Tehiya (Renaissance), demandaient l’incorporation au futur État juif de la région méridionale du Liban jusqu’au fleuve Litani, au motif que cette région, constituant le secteur septentrional de la Haute-Galilée historique, était partie intégrante de l’Israël biblique (cf. A. Laurent et A. Basbous, Guerres secrètes au Liban, Gallimard, 1987, p. 157).

Une revendication semblable émanait de l’Agence juive à la même époque, comme cela ressort d’une lettre envoyée par Eliahou Sasson, juif d’Alep (Syrie) et chef du département arabe de cette Agence, à Moshe Sharett, responsable du département politique de ladite Agence. Sasson y privilégiait les motifs confessionnels : « Je recommande d’encourager les éléments qui veulent le partage du Liban. Si un État chrétien y voyait le jour avant la création de l’État juif, nous profiterions de ce précédent pour résoudre le problème de la Palestine » (A. L. et A. B, op. cit., p.165).

Dès avant la naissance d’Israël, David Ben Gourion, qui en fut le premier chef de gouvernement, avait développé ce projet : « Nous allons conquérir le Liban jusqu’au fleuve  Litani, annexer le Sud, créer un État maronite au nord qui signera un traité de paix avec Israël ; les parties non chrétiennes seront annexées par la Syrie ou bien l’on trouvera d’autre arrangements ». Selon son biographe, le député travailliste Michel Bar-Zohar, « impressionné par la fuite des Palestiniens en 1948, Ben Gourion était persuadé qu’un phénomène identique se produirait au Liban. Ainsi vidée de sa composante chiite, cette région aurait été annexée sans problème ». Si, en 1949, le Premier ministre israélien accepta de retirer ses troupes de quatorze villages libanais conquis par Tsahal, c’est parce qu’il croyait Beyrouth prêt à signer un traité de paix et à exploiter conjointement les eaux fluviales du Liban-Sud. En 1967, Ben Gourion renonça toutefois à ce projet, affirmant au général de Gaulle qu’il ne voulait plus un pouce du Liban (A. L. et A. B., op. cit., p. 182 et 184).

JUIFS, DRUZES, CHIITES ET MARONITES 

Salah Hijazi mentionne d’autres exemples répondant à ces motivations. En 1995, l‘historien israélien Eyal Zisser évoquait le fait que, quelques jours avant la création de leur État, des officiels sionistes s’étaient entretenus avec des figures maronites libanaises pour évoquer la possibilité de voir Beyrouth céder les régions du Sud à Israël, arguant que cela permettrait d’obtenir un équilibre démographique plus favorable aux maronites du Liban (OLJ, op.cit.).

Les sionistes faisaient souvent valoir le danger que pouvait représenter un État multiconfessionel, avec une importante composante musulmane (religion majoritaire chez les Palestiniens), dans le voisinage immédiat du futur Israël. De fait, bâti sur l’exclusivisme, le sionisme mêle indistinctement deux concepts : le judaïsme (religieux) et la judéité (ethnique). Ses représentants cherchaient donc à obtenir le soutien des communautés libanaises minoritaires. Ils songèrent aux druzes dont la doctrine enseigne que la foi juive leur est plus proche que l’islam et le christianisme (Anouar Yassin, Catéchisme des druzes, 1985), raison pour laquelle dans les années 1930, qu’ils soient de Palestine, de Syrie et du Liban, ces derniers avaient soutenu activement le projet sioniste. Ils songèrent même aux chiites, qui étaient alors privés de leur identité par les pouvoirs sunnites, majoritaires dans la région.

Leur choix se porta sur les maronites dont l’intelligentsia avait pourtant, au début du XXème siècle, émis des réserves sur le projet sioniste, mais les persécutions antijuives des nazis entraînèrent la bienveillance de cette Église envers le peuple juif. Ainsi, en 1937, lors d’une visite à la synagogue de Wadi Abou-Jamil (Beyrouth), le patriarche Antoine Arida et l’archevêque de Beyrouth, Ignace Moubarak, unirent leurs propos pour rassurer les juifs du Liban. Si en Palestine les Arabes persécutaient les juifs et les chassaient hors de leur territoire, le Liban les accueillerait « comme partie intégrante d’une même nation », ce qui leur valut de vives protestations de la part des musulmans. Renonçant au projet de « foyer national chrétien », l’Église maronite accréditait ainsi le concept plus large de libanisme (cf. A. L. et A. B., op. cit., p.177).

LES CONFLITS ISRAÉLO-PALESTINIENS AU LIBAN

Optant pour une neutralité de facto, le Liban ne participa pas aux autres guerres arabo-israéliennes de 1956, 1967 et 1973, mais il en subit les retombées douloureuses après l’accord du Caire qui lui fut imposé par la Ligue des États arabes en 1969 conférant aux réfugiés palestiniens, nombreux à avoir été accueillis au pays du Cèdre, toute liberté de lancer des opérations militaires contre l’État hébreu. Or, cette disposition contrevenait à l’armistice qui interdisait à chacun des signataires tout acte de guerre ou d’hostilité contre l’autre. Et l’accord prenait soin d’inclure les attaques qui seraient commises par des « forces non régulières » (cf. PFV n° 104).

C’est sur ce texte que l’État hébreu a fondé sa politique de représailles hors de ses frontières, le plus souvent dirigées contre les positions palestiniennes au Liban-Sud, mais aussi dans la banlieue de Beyrouth et des régions plus lointaines (le Nord et la Bekaa). Ces offensives se sont d’abord produites en 1970, 1972, 1973 et 1974 (il s’agissait là d’actions préventives). Elles se sont développées à partir de 1975, suite au début de la guerre déclenchée par les combattants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui visait les institutions et les populations libanaises (cf. PFV n° 104). Au début de ce conflit, Israël estimait que le modèle libanais est « un pays aux tendances suicidaires » (A. L. et A. B., op. cit., p. 163).

En mars 1978, Tsahal a lancé une offensive d’envergure, atteignant les rives du fleuve Litani. Baptisée « Pierre de Sagesse », elle était destinée à repousser les Palestiniens au nord du fleuve Litani, mais elle visait aussi à créer « une zone de sécurité dans le Liban-Sud en collaboration avec les forces chrétiennes » de l’officier dissident melkite Saad Haddad. Chargé d’interdire l’accès de ce territoire, qu’il a constitué sous le nom d’« État du Liban libre », Haddad s’opposait aussi à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), composée de 6 000 « casques bleus », chargés d’aider l’État libanais à recouvrer sa souveraineté sur cette région (résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité). Tsahal s’est retirée du secteur en juin de la même année et a été remplacée par une milice appelée « Armée du Liban-Sud » (ALS) commandée par S. Haddad et inféodée à l’État hébreu.

LA PAIX MANQUÉE DE 1982

« Pays à visage chrétien », le Liban ne pouvait, sous peine d’être mis au ban du monde arabe, conclure une paix formelle avec Israël tant qu’un État arabe sunnite n’aurait pas franchi le Rubicon. Sans complexe, Beyrouth s’apprêtait à emboîter le pas à l’Égypte en paix avec Israël depuis 1979, mais la Syrie qui occupait son territoire depuis 1976 s’y est opposée en ruinant le projet envisagé en juin 1982 lors de l’offensive israélienne « Paix en Galilée », destinée à anéantir l’OLP et ses bases militaires. En échange de l’aide qu’il accordait à la résistance chrétienne, le Premier ministre Menahem Begin espérait aussi signer un traité de paix avec le Liban comme le laissait entrevoir l’élection de Béchir Gemayel, chef des Forces libanaises, principal mouvement anti-palestinien. Ce sera une paix manquée : ayant succédé à Béchir, assassiné juste après son élection à la tête de l’État, son frère, Amine, refusa de ratifier l’accord israélo-libanais signé le 17 mai 1983 (A.L. et A.B., op. cit., p. 191-223).

C’est à partir de 1982 que le Hezbollah se révéla au grand jour en s’implantant au Liban-Sud d’où il entreprit la lutte armée à la fois contre Tsahal qui occupait cette région et contre le territoire israélien (cf. PFV n° 101). En 1996, Israël riposta à ces attaques en lançant l’opération « Raisins de la colère », qui se termina avec la signature d’un cessez-le-feu (26 avril 1996) confié à un « groupe de surveillance » formé des Etats-Unis, de la France et de la Syrie. Satisfait, le Premier ministre libanais, Rafic Hariri, déclara : « Le Hezbollah a le droit de combattre les troupes israéliennes dans la zone occupée, mais il n’a absolument pas le droit de tirer une seule roquette vers le territoire israélien » (OLJ, 13 février 2024).

Quant à Tsahal, elle maintint son occupation du Liban-Sud jusqu’en mai 2000, événement reconnu par l’ONU qui traça alors la démarcation entre les deux pays, appelée « ligne bleue » (7 juin 2 000). Ce retrait n’a pas empêché le Hezbollah de poursuivre ses offensives anti-israéliennes. Le 12 juillet 2006, il lança une offensive contre le nord de l’État hébreu, à laquelle ce dernier riposta. La résolution 1701, adoptée par l’ONU le 11 août 2006 pour mettre fin à cette guerre après plus d’un mois de combats et plus d’un millier de morts, prévoyait « l’établissement, entre la ligne bleue et le Litani, d’une zone d’exclusion de tous personnels armés, biens et armes, autres que ceux déployés dans la zone par le gouvernement libanais et la FINUL ». Elle appelait même Beyrouth « à étendre sa souveraineté sur tout son territoire », ce qui sous-entend le désarmement du parti chiite.

Autre point important : la résolution prévoyait que « soient délimitées pour de bon les frontières internationales du pays du Cèdre avec ses deux voisins » (art. 10). Cette clause, restée lettre morte, permet au Hezbollah de ne pas rendre ses armes au motif qu’une partie  du territoire libanais est toujours sous occupation. Et cela permet à Israël de justifier son occupation de cinq points stratégiques au Liban-Sud (PFV n° 106).

*

Le 8 octobre 2023, au lendemain du massacre anti-juif commis par le parti islamiste palestinien Hamas, rejoint par le Hezbollah, tout était donc prêt pour la reprise d’une guerre dont on ne voit pas encore la fin malgré la perspective de négociations israélo-libanaises encouragées par certains États alliés du pays du Cèdre.

Ces deux questions seront au programme de la Petite Feuille Verte n° 108.

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