Dans le nouveau numéro du Monde & Vie :
"Le mot « migration » était rarement employé à propos d’êtres humains, sinon de manière très technique ou scientifique. Aujourd’hui, ce terme avec toute sa déclinaison (migrants, migrer) tend à remplacer les mots formés autour de l’immigration (immigrant, immigré). On n’immigre plus. On n’émigre pas davantage d’ailleurs. On migre. Le mot est neutre, sans indication ni d’une provenance ni d’une destination, comme s’il désignait un statut de l’homme moderne. L’homme moderne est forcément un migrant. Les migrants ce ne sont pas seulement ces gens qui arrivent dans des barques de bois et sont secourus par la marine italienne. Ce sont aussi tous ces jeunes ouverts au monde et qui, parce que la France est décidément trop petite vont migrer, c’est-à-dire s’installer à l’étranger. Reviendront-ils ? Ne reviendront-ils pas ? Ils n’en savent rien. Mais de plus en plus, la France ne compte pas pour eux, pas plus que ne comptent l’Erythrée ou la Syrie pour ceux qui fuient leurs pays livrés aux guerres de clans et aux guerres religieuses. La terre n’est plus « le sol natal ». Elle appartient – Marché oblige ! – à celui qui sait la mettre en valeurs. Ainsi en Afrique des milliers de kilomètres carrés ont-ils été vendus aux Chinois. De la même façon, Jean-Pierre Raffarin proposait récemment de mettre à la disposition des migrants des villages français inoccupés ou peu occupés, estimant sans doute que des populations jeunes sauraient mieux mettre en valeur le territoire. On instrumentalise les drames que vivent les migrants sur leur terre et on oublie qu’ils ont, eux aussi, droit à leur terre et que nous avons le devoir de les aider à y rester au lieu de bombarder et d’encourager la Guerre civile. Mais peu nous chaut ces drames-là où ils arrivent. Et au fond, pensons-nous, tant mieux s’ils favorisent la disparition de nations entières (Irak, Syrie Erythrée etc.). Migrer devient un état d’esprit, hautement positif et à encourager, une expression de l’idéologie nihiliste en vogue. Puisqu’il importe de donner un nom aux réalités nouvelles pour mieux les désigner, pourquoi ne pas parler à ce sujet d’une nouvelle idéologie : l’idéologie migratoire ?"