Partager cet article

Pays : International

L’inquiétude des chrétiens en Syrie

De Mgr Philippe Brizard, Directeur général émérite de l' Oeuvre d'Orient :

"Le moins qu’on puisse dire, c’est que les affaires ne sont pas claires en Syrie. Notre prisme de lecture peut nous empêcher de déchiffrer la nature des événements : Bachar El Assad semble soutenir en sous-main le Hezbollah du Liban et donc pencher du côté chiite au pouvoir en Iran. Il y a certainement eu en Syrie comme dans beaucoup d’autres pays arabes, un mouvement révolutionnaire tendant à secouer le régime, pas plus organisé qu’ailleurs. Des groupuscules activistes existent. Sont-ce les chiites ou les sunnites qui sont le plus à craindre ? Les Syriens se souviennent de l’affaire d’Hama, ville sunnite où s’étaient retranchés des éléments révolutionnaires. La répression fut innommable. Mais, ce qui est craint des sunnites, c’est leur manipulation par l’Arabie saoudite ou, au moins, par des extrémistes plus ou moins waabites voire salafistes. Les chiites, qui ne sont pas organisés en Syrie comme en Iran, paraissent plus paisibles. Or ce qui est craint, notamment par les chrétiens, c’est la manipulation du mouvement qu’on a appelé printemps arabe. Dans un premier temps, on a pu croire à une résurgence de la théorie du complot qui apparaît chaque fois qu’une dictature est en mauvaise posture. Le dictateur se débat en faisant courir des bruits de complots apocalyptiques. Mais des informations  répétées et de plus en plus précises font état d’attaques de villages chrétiens et d’attentats perpétrés contre des chrétiens jusqu’ici en paix. Le fait que trois patriarches, deux catholiques et un orthodoxe se sont mis d’accord pour donner leur position  qui a été exprimée par le Patriarche Bechara Raï, Patriarche des maronites, doit retenir l’attention. Il se passe autre chose que des combats sanglants et scandaleux entre forces de l’ordre et manifestants adeptes du printemps arabe ; Du moins, en plus de cela, qui va dramatiquement dans le sens qu’on souhaiterait, il y a l’intervention de groupes organisés sunnites qui cherchent à prendre la main. Le lâchage de Bachar El Assad par l’Arabie Saoudite ne doit pas faire illusion : n’ayant pas d’intérêt à ce que la Syrie lui échappe, c’est qu’elle pense que le fruit est mûr, prêt à tomber dans sa corbeille. Dans ce cas, ce serait dramatique pour les chrétiens qui font près de 10 % de la population, auxquels se sont ajoutés 300 à 500 000 chrétiens réfugiés d’Irak.

Nous sommes à la fin d’une époque où les dictatures qui arrangeaient bien les Occidentaux sont à bout de souffle mais aussi à la fin d’un islamisme politique – le printemps arabe le montre bien – Attention à la bête blessée à mort : elle peut avoir des soubresauts dangereux. Et on ne sait pas bien quelle solution politique va sortir de ces mouvements révolutionnaires somme toute sympathiques. Il faut donc comprendre l’inquiétude des chrétiens, archi-minoritaires, – et ils ne sont pas les seuls à être inquiets – et ne pas leur donner l’impression de les lâcher sous prétexte qu’on est pour le Printemps arabe. Et ce ne serait pas la première fois qu’on verrait une révolution se faire confisquer ses efforts et ses fruits par un ou des groupes décidés à prendre le pouvoir."

Partager cet article

4 commentaires

  1. Il n’y avait pas de problème grave pour eux avant les menaces de l’Empire sur la Syrie (Etat Unis – Israel – Monde financier).

  2. Je ne partage pas du tout le point de vue de l’Oeuvre d’Orient : je me fie depuis longtemps à d’autres sources, Myrna Nazzour, de Damas, et depuis le mois de mars, à Mère Agnès-Mariam de la Croix, Higoumène du Monastère Saint Jacques l’Intercis.
    Un interview interessante.
    la situation des chrétiens à homs, syrie
    Le curé de Bab Sbah, à Homs, relate ce qui suit, le 23 septembre 2011 :
    « Ces deux dernières semaines la situation à Homs était des plus tendues. Je peux vous dire que l’épreuve renforce notre foi, nous unit entre chrétiens et entre chrétiens et musulmans et nous détache des choses de ce monde. Nous voyons la mort de nos yeux tous les jours. Notre vie quotidienne est bouleversée. Comme d’habitude je vous transmets ce que nous vivons au fil des jours.
    La population sunnite de Bustan Diwan, Bab Dreib, Bab Sbaa, s’était ralliée à 30 % à Bilal El Ken, Emir autoproclamé de la principauté (Imârat) de Homs. Ce dernier avait loué de la famille Traboulsi une grande villa dans le quartier huppé de Warcheh où il avait installé son Quartier Général. Ce Bilal El Ken, était fort de plusieurs centaines d’hommes, armés jusqu’aux dents. La plupart sont recrutés parmi les artisans de la classe pauvre de Homs. De toute évidence ils ne sont pas entraînés au port des armes ce qui les rend plus dangereux car ils tirent dans tous les sens, surtout lorsqu’ils sentent le danger. Mais ils sont encadrés par des professionnels de la nébuleuse salafiste internationale : afghans, irakiens, séoudiens, libanais ou jordaniens. Les jeunes des Comités populaires en ont capturés quelques-uns. Ces groupuscules ont pour mission de terroriser les forces de l’ordre et l’armée pour les faire démissionner ainsi que de dissuader la population au cas où elle chercherait à contredire l’opposition.
    Profanation à l’église de Saint Elian et enlèvement de jeunes chrétiennes
    Depuis une dizaine de jours les salafistes ont forcé la porte de l’antique église Saint Elian à Homs. Ils pensaient que les ustensiles sacrés étaient en or aussi les ont-ils raflés. L’Evêque grec-orthodoxe, S.E. Mgr. Abou Zakhm a eu le courage d’aller voir l’Emir de Homs, Bilal El Ken. Il lui a dit «Nous sommes des frères et avons toujours vécu ensemble. Pourquoi as-tu pris nos vases sacrés ?, tu dis que tu te passes des forces de l’ordre, il t’appartient donc de nous défendre ». Bilal a rassuré l’Evêque sur les intentions des insurgés mais a nié avoir commandité la rafle. Les rebelles avaient, en passant, vidé la caisse de l’église.
    Puis les sbires de Bilal El Ken enlevèrent quatre filles chrétiennes d’un minibus faisant l’aller retour de Homs à Zeidal. L’une d’entre elles, Maya Semaan, fut rendue au bout de quatre jours, de toute évidence violée. L’armée intervint alors pour mettre une limite aux exactions des salafistes. Bilal fut tué le 7 septembre 2011 durant les affrontements et son quartier général fut perquisitionné. On y trouva les vases sacrés volés et ils furent rendus à l’église de Saint Elian.
    Bilal El Ken, l’Emir décédé de l’Emirat salafiste de Homs
    La désinformation assure que Bilal EL Ken est un officier dissident faisant partie de l’armée libre de Syrie. Il n’en est rien. Les salafistes ont mis la main sur un dépôt d’uniformes de l’armée syrienne. Ils s’en revêtent et se font passer pour des officiers et des soldats repentis. Ce sont les gens du quartier de Bilal à Bab Sbah à Homs qui affirment que toute sa vie cet individu était un voyou qui s’est converti au wahabisme salafiste par pur intérêt. Les musulmans modérés se plaignent de lui autant sinon plus que les chrétiens. Ils l’accusent de viol, séquestration, terrorisme, intimidation et fondamentalisme meurtrier.
    Ces jours-ci les rues sont plus calmes. On entend cependant toujours des rafales de balles. Maintenant on peut sortir faire les achats nécessaires, mais depuis quinze jours on était terrés à la maison. Homs était devenu un champ de bataille. Les insurgés ont des armes lourdes qu’ils utilisent sans discernement. Avec les RPG ils peuvent détruire les chars de l’armée. La façade de l’Evêché est criblée de balles et quelques vitres sont cassées. Etant situé sur une ligne de démarcation le bâtiment aurait dû être beaucoup plus endommagé. Il faut remercier l’armée qui avance avec un soin infini. Cependant ceci n’a pas encouragé les locataires de l’Evêché à y rester. Il semble abandonné dans un quartier ravagé, autrefois si paisible.
    Les groupes salafistes continuent à investir plusieurs quartiers de Homs, surtout Bab Amr. Ils ont juré d’empêcher les écoles d’ouvrir à travers ce slogan : « La dirassé wa la tadriss hata isqat al ra2is » (« Pas d’études ni d’enseignements jusqu’à faire tomber le Président »). Les écoles publiques ont ouvert et les écoles privées ouvriront la semaine prochaine mais les salafistes tirent sur les écoles ce qui dissuadera les parents d’envoyer leurs enfants. De plus les « manifestants » ont décidé de marcher dans la rue au moment de la sortie des écoles. Sur les photos et les vidéos il y aura plus de monde de plus çà fait bien que les écoliers et les étudiants paraissent faire partie de l’opposition.
    Depuis longtemps la grande majorité des jeunes s’est retirée. Les chrétiens ne sentent plus que les revendications les interpellent. Il n’y a d’ailleurs aucune autre revendication que d’en finir avec le régime et cela est crié dans tous les sens, blasphèmes à l’appui, au son des « Allah Akbar », « Haya ila ljihâd », islamiques (Dieu est grand, allons au combat).
    Les jeunes ou moins jeunes qui sont restés fidèles au mouvement contestataire sont réapparus armés, et farouches. Auparavant nul ne parlait de la religion de l’autre. Aujourd’hui on entend des injures contre les chrétiens et les alaouites et…vice versa. C’est une situation désastreuse qui laisse présager le pire.
    Mes paroissiens et nos amis musulmans nous nous regardons souvent avec une interrogation lancinante : que s’est-il passé pour que nous en soyons arrivés là ? Au début j’ai approuvé tacitement que quelques uns de nos jeunes aillent aux « manifestations » avec leurs camarades. C’était une belle expérience de solidarité. Les revendications étaient justes et légitimes et elles continuent à nous tenir à cœur. Mais, très vite, ces manifestations sont devenues d’un autre esprit. Nous avons vu des barbus armés et drogués tirer partout d’un œil hagard. Je vous en avais déjà parlé, mais vous me dites qu’on ne vous croit pas ? Pourquoi n’avez-vous pas amené vos amis journalistes à Homs ? Ils auraient vu de leurs yeux nos voisins devenus subitement des salafistes féroces et méconnaissables, les barricades occupées par des groupes armés, les destructions, les slogans islamistes.
    Nous tous, musulmans modérés (la grande majorité), chrétiens, alaouites, druzes, ismaélites et même kurdes nous craignons l’avènement d’un Etat islamique qui nous impose, comme lois civiles, les lois religieuses de l’Islam. Une conversation étayera ce que je dis.
    Redevenir Dhimmi ?
    Un dhimmi est un citoyen de l’état islamique qui n’est pas musulman. D’après les normes du Coran, il est traité comme un citoyen de seconde zone. Il doit verser une capitation pour être « protégé » par l’état islamique. Il n’a pas les mêmes privilèges que les citoyens musulmans.
    L’autre jour j’étais chez le mécanicien à Sinaa (la cité industrielle). Celui-ci, un fervent sunnite, me questionne à brûle-pourpoint : « Que pensez-vous des affirmations du Patriarche Maronite ? On dirait qu’il a peur pour les chrétiens si le régime tombe ? ». Je lui réponds : « Je pense qu’il a raison. Il est difficile pour un chrétien d’aujourd’hui d’accepter de redevenir un dhimmi. C’est inacceptable »
    Il rétorqua : « Mon frère, il ne faut pas avoir peur de nous, nous vivons ensemble depuis longtemps. »
    Je lui précisais : « Nous avons vécu ensemble sous le protectorat français puis sous des régimes laïcs. Devant la loi nous sommes égaux. Dans un état islamique nous ne vivrons pas en égaux. Accepterais-tu d’être traité par un chrétien comme un citoyen de deuxième catégorie ? ».
    Il sursauta et je renchéris : « Ce n’est acceptable ni chez nous ni ailleurs, ce serait retourner en arrière, au Moyen-Âge, vers un régime basé sur une discrimination confessionnelle. C’est pourquoi les chrétiens ne briguent pas un état chrétien mais préfèrent un régime laïc devant lequel nous sommes tous des citoyens aux droits et devoirs égaux, abstraction faite de notre appartenance religieuse. Tandis que votre réclamation d’un Etat islamique vous amènera, une fois qu’il sera instauré, à distinguer derechef les musulmans des non-musulmans. Nous serons en plein dans la discrimination et l’apartheid ».
    Mon mécanicien ne répondit plus rien, il préféra vaquer à son travail.”
    Propos recueillis par Mère Agnès-Mariam de la Croix Higoumène du monastère Saint Jacques l’Intercis.
    Qâra – Syrie

  3. Que devient Myrna de Soufaneih ? Avons nous des nouvelles ?

  4. Jean-Vincent, le site Notre Dame de Soufanieh n’en donne pas : j’essaie depuis des mois d’en avoir sans y parvenir.

Publier une réponse

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services