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Histoire du christianisme

L’obscurantisme supposé du Moyen Âge est une entreprise méthodique de diffamation

L’obscurantisme supposé du Moyen Âge est une entreprise méthodique de diffamation

Dans Le Courrier de Rome, l’abbé Gleize (FSSPX) revient sur la légende noire persistante sur le Moyen-Age, visant à faire passer le catholicisme pour une religion infantilisante, fanatique, aveugle, sans aucune ouverture vis-à-vis des investigations de la science. Il décrypte notamment l’idée selon laquelle pendant plus d’un millénaire, on aurait cru que la Terre était plate, croyance entretenue par les préventions de la hiérarchie catholique. La recherche historique montre qu’il s’agit non seulement d’un mythe dénué de tout fondement, mais plus encore d’une manipulation. Il s’appuie sur les travaux de Violaine Giacomotto-Charra, docteur ès lettres et professeur de littérature et langue françaises de la Renaissance à l’Université Bordeaux Montaigne, où elle dirige le Centre de Recherches sur Montaigne et son temps :

La première partie du livre, intitulée « Construction et diffusion d’une science de la sphère » prouve que la sphéricité de la Terre a été reconnue et admise très tôt, tant par les astronomes mathématiciens que par les philosophes et les explorateurs. Non seulement Platon mais encore Aristote, dans son Traité du ciel, s’en est fait le principal défenseur, et cela est de la plus haute importance, puisque c’est l’autorité de ce philosophe grec qui s’imposera en Occident à partir du treizième siècle. De la sorte, l’apport des développements de la science arabe, à partir du huitième siècle, ne fera que confirmer une idée déjà très largement acquise.

Cette première partie du livre a le mérite de mettre en évidence l’origine lointaine de l’idée fausse qui sera propagée à partir de l’époque moderne  : «  L’idée d’un oubli de la sphéricité imputable au christianisme est souvent appuyée par ses défenseurs sur une citation de Lactance, un rhéteur du IIIe – IVe siècle (+ 325). Ce texte conteste en effet violemment l’existence des antipodes et donc la sphéricité de la Terre. Il est extrait de ses Institutions divines et fut souvent cité, à partir de la fin du XVIIIe siècle, comme emblématique de la pensée diffusée par l’Eglise. […]

Cette sphéricité ne fait aucune difficulté durant tout le cours du Moyen Âge, et, entre autres, la cartographie l’atteste suffisamment. « Il faut donc être attentif à plusieurs points  : la révolution astronomique du XVIe siècle ne peut ni se lire sur le mode « ”un savant seul contre tous ” ni sur le mode ” la science contre l’Eglise ” – mythe construit par l’histoire positiviste, sur la base des procès faits à Galilée – et encore moins sur le mode providentiel du grand homme et du savant-génial-qui-découvrit-la-modernité. En outre, il ne faut pas confondre le retour aux sources grecques restituées dans leur intégrité et la redécouverte des théories. […]

La légende noire s’effondre sous les coups redoublés de l’érudition la plus scientifique. «  Contrairement à la légende, l’Eglise encourage le mouvement scientifique, du moins dans une certaine mesure et durant un certain temps. Les rapports entre philosophie et religion sont éminemment complexes, et la crispation réelle vient plus tard, au XVIIe siècle. Les savants, d’abord, ne considèrent pas la curiosité scientifique comme incompatible avec la foi, et il suffit par ailleurs de regarder le nombre d’ouvrages de science dédiés à des hommes d’Eglise et permis par leur mécénat, pour mesurer à quel point l’idée d’une Eglise contre la science est fausse. […]

C’est d’ailleurs, dans l’Europe moderne, et pas dans celle du Moyen Âge, que l’on brûle ” sorciers ” et surtout ” sorcières ”. Ce n’est pas une Eglise de type médiéval qui a condamné Galilée et les thèses coperniciennes, mais précisément l’Eglise du début du XVIIe siècle, celle de l’âge de Descartes, utilisant une nouvelle vision littéraliste des Ecritures. Cela permet au moins d’interroger le terrible qualificatif ”moyenâgeux” dont on continue parfois, hélas, d’assortir le mot ” obscurantisme ” ». […]

Le montage de cette légende noire serait en fait l’oeuvres de protestants, auxquels les ‘philosophes’ des Lumières et les anticléricaux ont donné crédit :

Quelques trois siècles plus tard, en 1837, l’abbé Migne, célèbre éditeur de la Patrologie qui porte son nom, dénonce cette supercherie  : «  Un auteur protestant a forgé toute une histoire et des écrivains français ont été assez mal avisés pour la répéter ». Dans l’intention de Migne, parmi ces «  écrivains français » le principal est Michelet. L’affaire Virgile, dûment falsifiée par un bon disciple de Calvin, devait ainsi contribuer à donner ses lettres de noblesse à l’obscurantisme moyenâgeux. «  Cette affaire devint l’emblème de l’opposition entre des thèses scientifiques et la parole d’une Eglise représentée par son premier prélat. Démontrer que celui-ci s’est déjà entêté dans l’erreur en refusant, au VIIIe siècle, que les antipodes soient habitables, permet de relativiser la vérité pontificale. Toute une tradition historiographique militante s’est ainsi fondée sur l’utilisation biaisée de sources existantes, sans en interroger la pertinence, pour étayer l’idée d’un obscurantisme continu et consubstantiel à l’Eglise, qui connut ensuite un succès tout particulier au XIXe siècle, pour des raisons politiques et religieuses faciles à comprendre, mais qui ne sont pas pour autant scientifiquement excusables ».

Le montage n’en continue pas moins, après La Popelinière. Voltaire est probablement l’un de ceux qui ont le plus nettement contribué à la célébrité de la citation de Lactance niant les antipodes et par là la sphéricité de la Terre. C’est ainsi une citation à charge qu’il produit dans l’article «  Ciel matériel  » de son Dictionnaire philosophique, en 1764. Une note ajoutée par Voltaire précise que le clergé de France a décidé «  solennellement  » de citer Lactance comme un Père de l’Eglise. Dans l’article suivant, «  Ciel des anciens  », le Patriarche de Ferney ajoute saint Augustin au dossier. Enfin, l’article « Figure ou forme de la Terre » constitue une sorte de vade mecum du mythe de la terre plate à l’usage des générations postérieures. Le tour est joué. « Voltaire installe donc de manière sérieuse (et durable) l’idée que les Pères de l’Eglise imposèrent à toute la chrétienté, astronomes compris, la doctrine d’une Terre plate et inaugure le raccourci que l’on retrouve au siècle suivant dans de nombreux textes ». De là la construction d’un mythe, appelé au XIXe puis au XXe siècle, et encore au XXIe, à dépasser les seules frontières françaises  : le mythe du combat de la science et de l’Eglise. […]

En France, il revient au philologue et archéologue Jean-Antoine Letronne (1787-1848), professeur au Collège de France, d’accréditer la thèse de la Terre plate, et d’en garantir la scientificité, par la publication dans la prestigieuse Revue des deux mondes, en 1834, d’un article intitulé «  Des opinions cosmographiques des Pères de l’Eglise rapprochées des doctrines philosophiques de la Grèce  ». L’article se contente d’affirmer que la position de Lactance était celle de toute l’Eglise chrétienne occidentale. Letronne assure ainsi la survie de ces idées fausses déjà accréditées par Voltaire et les Lumières en les couvrant de l’autorité du Collège de France, ce qui, au début de son siècle, comme aujourd’hui encore, n’était pas rien. […]

L’anticléricalisme croissant qui a accompagné l’expansion du protestantisme et la laïcisation du savoir ont joué le premier rôle. Mais l’on aurait tort de négliger, « en une ère où la lutte contre les fake news est devenue en quelques années un réel enjeu », ce fait indéniable que « une information répondant à une logique simpliste et manichéenne se répand bien plus facilement qu’une analyse plus subtile de la vie intellectuelle  ». Et d’ajouter que « les biais cognitifs, la paresse intellectuelle, le besoin de repères simples, mais aussi, dans notre enseignement, une longue mémoire déformée, transmise, il faut bien l’avouer, par notre propre institution, l’Education nationale, sont probablement tous fautifs. Cette dernière porte cependant une très lourde responsabilité, car si les manuels d’histoire, dans leur majorité, ne parlent plus du mythe de la Terre plate, on peut aussi noter qu’aucun ne prend soin de le détruire quand le programme s’y prête  ». Ceux qui parviennent à échapper à ce simplisme et à ce manichéisme se retrouvent loin d’un univers intellectuel sur lequel pèserait une chape de plomb religieuse et où les controverses scientifiques finiraient par des bûchers, bien loin du Moyen Âge tel qu’il est malheureusement caricaturé dans le film de Jean-Jacques Annaud réalisé à partir du roman d’Umberto Eco, Le Nom de la rose. […]

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