Le Point a enquêté sur le business de la location d'utérus en Thaïlande. Marché contre lequel notre gouvernement ne semble pas vouloir lutter :
"Tout a commencé par une offre d'emploi publiée sur Facebook. « Un Thaïlandais proposait une rémunération de 300 000 à 500 000 baths [entre 7 500 et 12 500 euros, ndlr] sans préciser la nature du travail, explique Goy. Comme nous avions beaucoup de dettes, j'ai répondu que j'étais intéressée. » Pattaramon « Goy » Chanbua habite Chon Bury, au sud de Bangkok. […] En 2013, comme beaucoup de leurs compatriotes, Goy et son mari sont endettés plus que de raison. Lui est peintre en bâtiment. Il gagne 300 baths (7,50 euros) par jour. Goy gagne autant en vendant des salades thaïes devant chez elle. À eux deux, ils parviennent difficilement à subvenir aux besoins de leurs deux enfants de 5 et 3 ans tout en rassemblant de quoi payer les intérêts de leur emprunt. […] « Dès que je l'ai contactée, l'agence m'a demandé une photo, mon poids, ma taille, ma date de naissance et des photos de mes enfants. Au début, je n'en ai parlé à personne, même pas à mon mari, confie Goy. » Au bout de deux mois, elle est contactée par l'agence à l'origine de l'offre. À Bangkok, Goy rencontre Joy, un bel homme blanc, Américain, d'une quarantaine d'année, « très sympa », qui se présente comme le propriétaire de l'agence et se fait aussi appeler Antonio. Il lui propose d'être mère porteuse pour un couple d'Australiens. […]
« Seul l'argent comptait », avoue Goy comme pour expliquer comment elle s'est laissé entraîner dans la combine. « Dans la mentalité thaïe, ce n'est pas tant la marchandisation du corps humain qui est condamnable dans la pratique de la GPA mais plutôt le fait de permettre à des étrangers de sortir des enfants du territoire national sans que personne ait rien à dire. La politique très contraignante d'adoption est là pour le prouver : la Thaïlande est très protectrice et conservatrice vis-à-vis des enfants nés sur son territoire », explique un journaliste du Bangkok Post.
Dans le cas de Goy, c'est ce rapport à l'enfant qui va poser problème. « Après en avoir finalement parlé avec mon mari, nous avons décidé d'accepter la demande du couple d'Australiens qui souhaitait que je porte leur enfant. Mais après quelques mois de grossesse, j'ai commencé à comprendre qu'il y avait un problème. » Goy est enceinte de jumeaux. La chose est courante lors d'une fécondation in vitro (FIV). Mais lorsque ses rendez-vous ne se déroulent plus dans la clinique mais à l'hôpital, la mère porteuse commence à s'inquiéter.
« Quand l'agence m'a demandé d'avorter, j'ai refusé. Bien que je ne sois qu'une mère porteuse, je sentais cet enfant vivre en moi. Ma religion [le bouddhisme, ndlr] m'interdisait de tuer cet enfant. » Finalement le verdict tombe : l'un des enfants est atteint de trisomie. Commencent alors les négociations. Goy refuse obstinément d'avorter mais propose de garder l'enfant porteur du handicap contre un supplément financier. Elle touchera finalement 500 000 baths (12 500 euros) pour l'ensemble de sa prestation (près de 200 000 de plus que prévu) « Ma mère m'avait dit : « Nous nous occupons bien de chats et de chiens, pourquoi ne pourrions-nous pas nous occuper d'un enfant en plus ? »
« À la naissance, je suis restée à l'hôpital un mois avec les enfants sous couveuse. Les commanditaires de la GPA sont venus prendre ma petite Paipa et ont laissé Gammy sans payer tout ce qu'ils me devaient. » Les médecins prédisent alors des problèmes de cœur à Gammy. Inquiète, Goy se tourne vers l'agence, sans succès. Antonio ne répond plus à ses mails ni à ses appels. En désespoir de cause, elle s'adresse à une association d'aide aux enfants. Un journaliste y passe ce jour-là. Ému, il promet de faire quelque chose pour aider Gammy. À peine quelques jours plus tard, le bébé trisomique fait la une de nombreux journaux à travers le monde entier. À l'été 2014, avec la découverte de l'hôtel particulier dans lequel l'homme d'affaire japonais Mitsutoki Shigeta entretenait dix mères porteuses pour son usage personnel, Gammy est le scandale de trop qui force la junte militaire qui vient de prendre le pouvoir à faire passer dès février 2015 une loi restreignant les pratiques de GPA en Thaïlande. Mise en application le 30 juillet dernier, cette loi condamne à un maximum de dix ans de prison et à une amende de 200 000 baths (un peu plus de 5 000 euros) toute personne qui tirerait des bénéfices d'une GPA.
[…] En 2011, l'Alliance anti-trafic dénonce aux autorités thaïlandaises un réseau qui fait venir des campagnes reculées du Vietnam des jeunes filles innocentes en leur proposant des emplois bien payés. Une fois arrivées à Bangkok, les volontaires sont mises devant le fait accompli : soit elles acceptent d'être mères porteuses, soit elles se débrouillent pour rentrer chez elles. Si certaines ne font pas de difficultés, d'autres résistent et sont menacées. « Quand une jeune fille était vierge, elle était violée par ses tortionnaires : le dépucelage est un prérequis nécessaire à toutes les méthodes de fécondation artificielle », explique Thomas. Grâce à l'association, la police parvient à libérer les mères porteuses et arrête une partie des trafiquants. […]"