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Liberté d'expression

L’Université catholique doit sans cesse se faire prévaloir d’un droit à l’existence et à l’autonomie

L’Université catholique doit sans cesse se faire prévaloir d’un droit à l’existence et à l’autonomie

L’Université catholique de l’Ouest (UCO) a décidé de se séparer du Fonds John Henry Newman, au motif qu’il comptait le Fonds du bien commun parmi ses mécènes. Dominique Vermersch, recteur émérite de l’UCO et président du Fonds John Henry Newman, regrette cette décision dans une tribune publiée dans Le Figaro :

Le 15 novembre prochain, les cinq instituts et universités catholiques (les Cathos) entreront dans le 150e anniversaire de leur fondation, engagée sitôt adoptée la loi du 12 juillet 1875 sur la liberté de l’enseignement supérieur. Cette restauration de la liberté académique, suite à son abolition lors de la Révolution, fut fortement écornée dès 1880 avec l’interdiction pour les Cathos de prendre le titre d’Université et d’attribuer des grades de leur propre chef… Une exception mondiale détenue par la France qui excelle parfois à légiférer pour empêcher les êtres et les choses de vivre et de s’appeler par leur nom. Qu’à cela ne tienne, c’est par l’inauguration de l’Université catholique d’Angers que le coup d’envoi des Cathos fut donné le 15 novembre 1875 par Mgr Freppel. Alsacien d’origine (depuis 4 ans, l’Alsace est alors allemande), l’évêque d’Angers consacrera toute son énergie et tous ses biens à ce qui est devenu aujourd’hui l’Université catholique de l’Ouest (UCO), avec ses 13.000 étudiants répartis sur dix campus, d’Angers à Nantes en passant par Brest et Tahiti.

150 ans d’Esprit libre est l’accroche choisie par l’UCO pour célébrer cet anniversaire… Accroche de circonstance puisque sous la pression d’une cabale médiatique malignement orchestrée, l’institution a décidé de se délester du Fonds de dotation qu’elle-même avait contribué à créer : le Fonds John Henry Newman ; et ce, au motif que celui-ci incluait le Fonds du bien commun (FdBC) comme l’un de ses mécènes. Certes, il faut un peu de bon sens et du courage pour dénoncer l’actuelle chasse à l’homme qui a pris pour cible l’initiateur du FdBC ; mais le dommage symbolique dans cette affaire est aussi à l’encontre de St John Henry Newman, docteur de la conscience morale, principal inspirateur de la tâche universitaire catholique… et proclamé le 1er novembre prochain Docteur de l’Église par le pape Léon XIV.

Avec raison, cette malheureuse cabale médiatique pourrait se résumer par la sentence énoncée en 1733 par l’écrivain irlandais Jonathan Swift, ô combien actualisable à l’ère des réseaux sociaux : « Le mensonge vole, et la vérité ne le suit qu’en boitant, de sorte que, lorsque les hommes sont détrompés, il est trop tard ; la farce est finie et la fable a fait son effet. » Mais parce qu’en effet il est question de vérité (mot tabou), notre raison alliée à la foi fournit un autre écho de cet épisode : celui d’un kairos, d’une mise à l’épreuve impromptue du corps universitaire à l’école de la vérité. Cette épreuve révèle et relève de la vocation fondamentale de toute Université : garantir sa liberté de recherche et d’enseignement. Et quelle est cette vocation, si ce n’est d’apparier liberté et vérité sur les chemins de la connaissance, de l’apprentissage des savoirs, avec et sous le regard avisé des jeunes consciences et intelligences étudiantes. « Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble » rappelait Jean-Paul II dans l’Encyclique Fides et ratio ; brandir l’une sans l’autre s’avère in fine mensonger, et le saint pontife en savait quelque chose ! Autrement dit, chercher et se laisser saisir par le vrai découle d’une préoccupation éthique – l’apprentissage de la liberté – qui s’en nourrit en retour. C’est cela même qui constitue la vie universitaire, une vie reçue du rapport que l’Université entretient avec la vérité : la liberté en est un fruit, pour l’institution elle-même, mais aussi et surtout pour les étudiants qui lui sont confiés. Car il s’agit en définitive de former des êtres libres et responsables.

De fait, l’histoire des Universités (catholiques ou non) est émaillée de rendez-vous manqués, de kairos qui n’ont pu être pleinement saisis ; et c’est probablement pour cette raison que le cardinal Lustiger me confiait, voilà plus de vingt-cinq ans déjà, que les Cathos en France étaient selon lui irréformables ! Pour autant, la Providence continue de veiller, ces kairos inaperçus s’avérant toujours riches d’enseignement. Tel l’exemple de John Henry Newman, nommé en 1854 recteur fondateur de l’Université catholique d’Irlande, établie sur l’initiative du cardinal Cullen, archevêque de Dublin. L’expérience fut de courte durée (4 ans), Cullen jugeant Newman trop indépendant… du pouvoir ecclésiastique ! C’est pourtant durant cette même période que l’anglican passé au catholicisme donna sa célèbre série de conférences collectées dans The idea of a university, ouvrage devenu pierre angulaire du magistère ecclésial concernant la question universitaire. Permettez-moi un dernier exemple encore plus savoureux avec les propos suivants : « Certes, La Sapienza était autrefois l’Université du pape, mais aujourd’hui c’est une Université laïque avec l’autonomie qui, en fonction du concept même de sa fondation, a toujours fait partie de la nature de l’Université, laquelle doit exclusivement être liée à l’autorité de la vérité. C’est dans sa liberté à l’égard de toute autorité politique et ecclésiastique que l’Université trouve sa fonction particulière, même pour la société moderne, qui a besoin d’une institution de ce genre ». De qui sont ces propos ? Des enseignants et étudiants protestant, au nom de la laïcité, à la venue de Benoit XVI prévue le 17 janvier 2008 à La Sapienza de Rome ? Non, ces propos sont en fait ceux du pape lui-même qui a préféré ne pas s’y rendre… tout en lui communiquant le texte de sa leçon magistrale de laïcité ! Bref, seule la tâche de se lier à l’autorité de la vérité elle-même peut véritablement libérer l’Université du brouhaha tant politique, médiatique qu’ecclésiastique ; telle est sa vocation ; tel est le courage qui lui est demandé.

De tout cela, il en résulte que l’Université catholique doit sans cesse se faire prévaloir d’un droit à l’existence et à l’autonomie. Le monopole d’État de collation des grades est à ce propos emblématique. Les Universités publiques en recevant délégation, celles-ci capturent la rente inhérente à toute situation de monopole, sous la forme de frais de conventionnement facturés aux universités catholiques ; ces frais représentent jusqu’à 20% de la subvention publique allouée à ces dernières. Et malgré cela, quand le nouveau Secrétaire général de l’enseignement catholique se prévalait récemment et à juste titre qu’un élève de l’Enseignement catholique coûte 50% moins cher au contribuable qu’un élève du public…, le rapport est plutôt d’un à dix par étudiant pour les Universités catholiques. CQFD.

Ceci posé, l’autonomie universitaire se joue encore ailleurs et, cette fois, de manière décisive. Des sciences empirico-formelles aux sciences humaines et sociales, la formation de docteurs, futurs enseignants, constitue le cœur du réacteur de l’Université, autrement dit la capacité de celle-ci à se perpétuer. C’est en effet en son sein qu’émergent de nouvelles forma mentis, que se structurent des courants de pensée inédits et que se façonnent les idéologies à venir, pour le meilleur comme pour le pire. Celles-ci imposent fréquemment leur marque de fabrique dans les orientations et méthodologies de recherche ; ce qui se retrouve de facto dans le recrutement des futurs enseignants chercheurs. Les thématiques de recherche et donc d’enseignement qui se permettent, ne serait-ce qu’un « petit pas de côté », s’avèrent dès lors doublement ostracisées.

Il n’est pas étonnant dès lors que la catholicité de l’Université soit entrée d’une certaine manière en résistance. Celle-ci se cristallise désormais dans des consciences enseignantes et étudiantes, dans des vies offertes qui donnent précisément chair et vie à ce rapport existentiel entre liberté et vérité. Espérons qu’elles puissent être soutenues – sans crainte d’être dénoncées – au sein d’humbles collégialités, inspirées par notre docteur de la conscience morale, St John Henry Newman. Tel est ce à quoi souhaite se rendre toujours disponible le Fonds de dotation John Henry Newman.

Oui, « Vérité et liberté, en effet, vont de pair ou bien elles périssent misérablement ensemble » ; en définitive, le chemin de l’Université catholique ne peut être autre que celui du fils prodigue (Lc 15, 11-32), de cette raison prodigue toujours tentée de quitter la demeure sapientielle pour une aventure périlleuse mais qui peut s’avérer salutaire. À charge alors pour l’institution universitaire catholique, non pas d’imposer la foi ou quoi que ce soit d’autre, mais d’en appeler, humblement et sans tapage, au courage de la vérité, dans cette quête insatiable qui réjouit le cœur humain.

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