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Tribune libre

Magnificat d’Ermonia : confirmation d’une nouvelle orientation artistique

Magnificat d’Ermonia : confirmation d’une nouvelle orientation artistique

Au cœur du Morbihan, dans la commune de Muzillac, Gildas Maguern grandit entre les terres bretonnes et les rivages de l’Île-aux-Moines. Dès son plus jeune âge, il ressent un appel profond, mais il n’en parle à personne, ni à ses parents, ni à Anna, sa cousine dont il est secrètement épris. Pris entre ses sentiments et cette vocation silencieuse, il repousse l’instant du choix. La Grande Guerre vient cependant bouleverser son destin : envoyé sur le front, il rencontre un prêtre qui discerne en lui la trace d’un engagement plus grand. Dès lors, son combat intérieur prend une autre dimension.

Ermonia et Magnificat

Ermonia est une association loi 1901 créée en mai 2021 par des jeunes étudiants (principalement en histoire et en droit) dont l’objectif est la mise en valeur de l’Histoire de France à travers un prisme cinématographique, musical et littéraire. D’origine vendéenne, Ermonia en est aujourd’hui à sa cinquième production ; dernière en date, le projet Magnificat est sorti en avant-première en salle le 31 janvier 2025 à Paris. Il s’agit de la scénarisation du roman Magnificat (1931), ultime ouvrage de René Bazin, écrivain et académicien reconnu pour son attachement aux traditions rurales et aux valeurs spirituelles. Juriste de formation, René Bazin (1853-1932) s’est illustré par une œuvre romanesque marquée par un profond humanisme. Auteur de La Terre qui meurt (1899), Les Oberlé (1901) ou encore Le Blé qui lève (1907), il fut également biographe de figures majeures comme Charles de Foucauld et Saint Pie X. Élu à l’Académie française en 1903, il laisse une littérature imprégnée de foi, de devoir et de quête de sens.

1) Succès ou ralliement ?

Le 31 janvier 2025, Magnificat a été projeté en avant-première au cinéma Luminor à Paris, marquant le début d’une tournée de diffusions organisée avec méthode par Ermonia. Dès les premières séances, la stratégie de promotion s’est révélée efficace : des projections successives dans plusieurs villes de France (Paris, Angers, Tours, Toulouse, Nantes, Lyon, Bordeaux, Poitiers) et une présence médiatique assurée par des relais comme TV Libertés, qui a consacré une émission au film le 29 janvier 2025.

Le succès d’Ermonia en matière de diffusion n’est plus à démontrer. L’association sait mobiliser son réseau et garantir des salles bien remplies. Cependant, ce phénomène pose une question : assiste-t-on à un véritable engouement pour Magnificat en tant qu’œuvre cinématographique ou à un ralliement d’un public déjà acquis ? Comme pour Remissio (2023), l’affluence semble moins reposer sur l’attrait du film en lui-même que sur une adhésion de milieu. Le public est largement issu des cercles catholiques conservateurs, et le film, bien que bénéficiant d’une production soignée, n’échappe pas aux limites d’un certain entre-soi, même s’il est vrai, chose assez impressionnante, le public est redoutablement investi dans le soutien de la production, notamment sur le plan financier.

Il en sort que si le travail réalisé est indéniable – avec un tournage minutieux et un engagement fort des participants –, la réception critique pourrait s’avérer plus nuancée en dehors de ce cadre. Un regard extérieur, plus exigeant sur le plan cinématographique, pointerait sans doute des faiblesses inhérentes à une production portée avant tout par une vision idéologique. Ainsi, Magnificat semble s’inscrire dans la continuité de Remissio : un projet maîtrisé du point de vue logistique, mais dont l’écho dépasse difficilement les cercles déjà conquis.

2) Un choix d’adaptation décevant

Dès l’annonce du projet, une ambiguïté a pu naître quant à l’auteur adapté par Ermonia. Certains, en entendant le nom de Bazin, ont pu croire qu’il s’agissait d’une adaptation d’Hervé Bazin, auteur connu pour son tétanisant Vipère au poing (1948). Cette attente, née de l’association de jeunes catholiques à l’adaptation d’un auteur aussi iconoclaste, aurait été l’occasion de confronter une vision plus brutale de la famille à celle de l’Église, ce qui aurait constitué un choix audacieux et tout à l’honneur d’une équipe de jeunes catholiques. L’idée d’un regard cinématographique sur un roman aussi conflictuel et critique envers la figure paternelle avait de quoi intriguer. Mais il n’en était rien : Magnificat n’est pas une rupture, mais bien une continuité. Ermonia a choisi de porter à l’écran l’œuvre de René Bazin, en toute fidélité à sa ligne idéologique récente, soutenue par l’Association des Amis de René Bazin.

Ce choix d’adaptation n’est pas anodin. Il s’inscrit dans une orientation idéologique claire : Ermonia se positionne dans une lignée où l’Histoire se raconte à travers la lumière de l’Église et des valeurs chrétiennes traditionnelles. En choisissant de porter à l’écran Magnificat de René Bazin, plutôt que l’œuvre plus subversive d’Hervé Bazin, l’équipe de production assume une vision où l’Église devient le phare éclairant le destin individuel et collectif. René Bazin, avec son regard empreint de foi et de rigueur morale, incarne cette perspective, inscrivant son œuvre dans une vision historique étroitement liée à l’Église. Pour lui, l’Histoire de France se dévoile principalement à travers la lumière des conciles, de Nicée à Vatican I, dans une continuité théologique qui tend à faire de l’Histoire un récit ecclésiastique plus qu’un tableau global des événements. En adaptant Magnificat, Ermonia poursuit donc la ligne tracée par Remissio, privilégiant une lecture de l’Histoire qui place l’Église au centre de toute dynamique historique. Ce choix reflète une vision conservatrice, où la vocation spirituelle devient le prisme à travers lequel se construit le récit, confirmant ainsi une direction assumée plutôt que proposant un renouvellement.

3) La critique positive

Le film présente une qualité visuelle remarquable, et le choix technique fait pour cette production se révèle particulièrement pertinent pour le grand écran. En effet, l’utilisation de la caméra Blackmagic, couplée à un 50mm, est un véritable atout. Cette combinaison permet de saisir des détails subtils tout en maintenant une esthétique notable. Pour un film à budget limité, la qualité des images sur grand écran est impressionnante, et la texture des plans a indéniablement gagné en profondeur par rapport à des travaux antérieurs comme le métrage Le Vœu de l’épée (2023).

La mise en scène respecte avec finesse les règles classiques du cinéma, notamment la règle des tiers, et la composition des plans est généralement réussie. Quelques exceptions subsistent, mais elles ne viennent pas nuire à la fluidité globale du film. C’est un travail vraiment abouti sur le plan visuel, bien maîtrisé, avec une attention particulière à chaque scène.

La bande originale, composée par Olivier QUIL, accompagne assez bien les scènes du film. Son travail sonore, présent, s’efforce de soutenir les émotions des personnages. La musique est il est vrai un élément incontournable du film, pouvant ajouter une bonne profondeur aux moments de tension comme aux scènes plus intimes.

Concernant l’utilisation des différentes focales, le 50mm est utilisé avec brio, et la transition entre la prise de vue à courte et longue focale est maîtrisée. Le choix d’une longue focale pour les plans serrés est une excellente décision, rendant ces moments particulièrement percutants. Cette optique donne une intensité particulière aux scènes les plus dramatiques, notamment lors des échanges de regards ou des moments de tension. Le travail sur les focales, et en particulier la manière dont elles aident à concentrer l’attention sur les personnages, est un bon atout esthétique. Comparé à l’utilisation précédente de la caméra épaule, ici l’usage de stabilisateurs comme le Zhiyun Crane 3S donne une fluidité bienvenue. Ce type de matériel, associé à une technique de prise de vue plus soignée, évite les effets de secousse, tout en offrant des mouvements de caméra dynamiques et immersifs.

Un autre aspect technique qui mérite d’être souligné est la mise en scène des tranchées. Bien que le budget ait été limité, le résultat est tout de même crédible. Le film parvient à créer une ambiance réaliste et authentique, avec des décors qui ne dénotent pas trop. En outre, la gestion du passage de nuit est une vraie réussite. Filmer de nuit demeure toujours un défi, mais ici, ils y arrivent ! Et ils proposent une ambiance visuelle vraiment convaincante, sans que l’on ait l’impression de voir des scènes éclairées de manière artificielle.

Les scènes d’action, en particulier celles impliquant la mitrailleuse à la fenêtre de la maison ou le plan de drone en plongée verticale au ras de la façade avec le placage du Poilu contre la façade sont il faut dire assez géniales. Ces petites séquences sont d’une grande efficacité technique et il est certain qu’elles monopolisent toute l’attention du spectateur. Idem, l’usage du son des coups de fusil, parfaitement mixé, rend la scène encore plus trippante. L’effet d’immersion serait presque à l’instar de celui que créé à chaque seconde le film américain Civil War (2024) en termes d’intensité et de violence de l’action, c’est dire.

L’interprétation des acteurs peut aussi être relevée. Swan PAILLOUSSE, dans le rôle du père de Gildas, incarne un personnage auquel le spectateur arrive à s’attacher. Il délivre une performance crédible et juste. Irène BOTON, dans le rôle de Marie, la mère de Gildas est plutôt convaincante. Domitille de LA PERRAUDIÈRE, qui même à jouer un rôle assez mineur de proche d’Anna, confirme le talent qu’elle avait déjà dans sa révélation dans Remissio s’agissant de sa capacité à s’approprier un rôle. Un autre moment notable est l’interprétation délivrée par Jean-Baptiste PANEL, qui joue le soldat agonisant dans une scène dénotant une certaine compréhension de la bonne manière de jouer ; assez touchante, sa prestation ajoute une profondeur émotionnelle à la scène. Mention honorable pour Aldric Boulangé qui dans le rôle du directeur du séminaire est suffisamment franc et pragmatique pour qu’on y croie ; ça fait du bien.

En somme, la critique pourrait dire que ce film avance notablement en termes de qualité visuelle, technique et artistique par rapport aux projets précédents. La mise en scène soignée, la performance d’une partie du casting et la solidité de la bande originale tentent un petit quelque chose et cela peut rapprocher le spectateur d’une certaine expérience cinématographique.

4) La diversité de la critique en provenance de l’extérieur

Sur le constat sociologique

Il est évident que, malgré la grande qualité de réalisation, certaines critiques soulignent un aspect sociologique et idéologique qui pourrait dérouter certains spectateurs, notamment ceux extérieurs à un univers plus traditionnaliste. Cela rappelle d’ailleurs les observations faites autour du film Remissio, où les spectateurs venus d’horizons différents ont perçu un certain marquage idéologique. L’image du public, composé de femmes et de jeunes filles en jupe, aucune en pantalon, en dit long sur une lecture sociologique qui semble infuser le film. Un public qui paraît ancré dans un univers catholique, voire rigoriste, pourrait être perçu comme homogène dans ses choix vestimentaires et culturels, et cela pourrait amener certains à voir le film sous un prisme idéologique. Le titre même, avec ses connotations religieuses et historiques, pourrait renforcer cette impression de combat idéologique.

Cela pose la question de l’approche cinématographique : à partir du moment où l’on aborde des sujets aussi liés à une vision du monde, à un certain message, est-ce encore possible d’élargir la portée du film au grand public ? Un film comme celui-ci, qui fait la promotion de l’Histoire de France à travers un prisme catholique et parfois conservateur, peut difficilement éviter d’être vu comme porteur d’une certaine vision du monde. C’est un aspect qui pourrait nuire à l’adhésion du plus grand nombre, particulièrement quand cette vision semble fermée, figée, ou trop marquée par un point de vue sociétal très spécifique. Cela soulève un dilemme constant dans l’industrie cinématographique : comment concilier un message artistique qui s’inscrit dans une vision historique tout en le rendant accessible à un public diversifié ? La question est d’autant plus pertinente ici, où la référence à l’œuvre de René Bazin et à la période historique qu’il évoque fait que l’on se trouve dans un univers presque à part.

Sur le film

Le film souffre effectivement d’une perception d’un manque de profondeur dans l’interprétation de certains personnages, notamment celui de Gildas. Ce jeune homme, qui semble manquer de vécu et d’expérience, est souvent perçu comme trop pur, trop naïf, pour incarner la complexité d’un personnage aussi introspectif. Ce manque d’intensité peut déstabiliser certains spectateurs, qui ont du mal à se connecter avec un protagoniste qui ne paraît pas porter en lui la lourdeur des épreuves qui, selon eux, devraient façonner un tel personnage. Comment incarner la force intérieure d’un jeune homme en quête de vocation religieuse sans avoir connu les tempêtes de la vie qui forgent cette résilience et cette profondeur ? Ce paradoxe, cette distance entre l’idéal du personnage et l’interprétation qu’en donne l’acteur, finit par poser une véritable question : peut-on jouer un rôle qui exige une telle intensité sans avoir soi-même traversé des épreuves semblables ? Imaginez un instant le janséniste Blaise Pascal. Comment dans un film prétendre incarner la profondeur de son engagement sans avoir, soi-même, traversé la brutalité de la vie ? Pascal, lui, n’a pas seulement observé la condition humaine de loin, il l’a vécue dans toute son acuité, avec la violence de ses tourments physiques, intellectuels et spirituels. Quel défi ce serait pour un acteur : incarner un tel esprit exigerait bien plus qu’une lecture passive de ses écrits, cela exigerait de s’être soi-même confronté à ce combat intérieur voire physique, de l’avoir vécu jusqu’au bout. En comparaison avec les autres films, comme Monsieur Henri : Le Pardon de La Rochejaquelein (2022), où Tristan DILAN incarnant Henri de La Rochejaquelein dégageait une force impressionnante même dans la chasteté qu’on sait être celle du jeune Henri de La Rochejaquelein, le protagoniste principal de Magnificat fait assez pâle figure. Voir encore Romain CINOTTI dans Remissio, dans le rôle de Joseph de Frénilly, jeune saint-cyrien plein d’ambition. Donc, dans Magnificat, le personnage de Gildas semble manquer de cette même puissance. La pureté, bien que crédible dans certains contextes, peut paradoxalement nuire à la crédibilité d’un personnage dont la vocation spirituelle exige une certaine robustesse intérieure. Le film pourrait alors souffrir d’une certaine déconnexion entre l’intention du réalisateur et la capacité de l’acteur à incarner la force et la conviction profondes que nécessite un tel rôle. La critique se pose donc en termes de profondeur psychologique et d’intensité émotionnelle. En définitive, cette critique extérieure semble souligner la difficulté d’adapter une vision idéologique et sociale à un format cinématographique qui veut plaire à un large public. Le public, parfois un peu réticent ou dubitatif face à ce marquage idéologique, pourrait alors avoir l’impression que la démarche, aussi noble soit-elle, ne parvient pas à s’affranchir de ce prisme idéologique trop marqué. L’acteur, lui, doit également faire face à cette exigence : comment jouer un personnage incarnant une vision radicale et forte de la vie sans avoir les instruments nécessaires pour traduire cette force intérieure à l’écran ? Voilà un questionnement fondamental qui reste ouvert pour ce film, et qui, pour certains spectateurs, est peut-être le point de friction principal.

La critique met en lumière plusieurs éléments qui peuvent perturber un spectateur contemporain. Le film plonge directement dans un univers où la dimension religieuse est omniprésente, avec une scène d’ouverture de prière familiale qui, bien que fidèle à l’époque, pourrait sembler trop directe et peu nuancée pour les spectateurs modernes. Cette approche sans détour peut, en effet, déstabiliser, car elle impose une vision très marquée de la pratique religieuse, sans laisser place à d’autres perspectives.

Un autre élément notable est le personnage du père de Gildas. Bien que le casting de Swan PAILLOUSSE soit globalement convaincant, l’âge du personnage ne correspond pas à celui d’un père crédible aux yeux du public. Il semble plus jeune que ce qu’on attendrait pour incarner une figure paternelle, ce qui, loin d’être un problème idéologique, représente simplement un nouveau point qui nuit à la crédibilité de cette relation familiale.

Concernant les aspects techniques, le son est parfois trop faible, notamment lors de quelques dialogues entre Anna et Gildas où les voix sont couvertes par la musique. Cela altère l’expérience de visionnage, car des scènes où les voix sont étouffées ou résonnent de manière excessive nuisent à l’immersion. Il convient également de souligner un problème avec l’autofocus, notamment lors de certaines scènes où le système « patine ». Si l’autofocus peut être efficace dans la majorité des cas, il est déterminant de savoir quand opter pour le mode manuel. Les scènes qui demandent une plus grande précision ne doivent pas souffrir de ce type d’imperfection. Le fait de ne pas avoir recours à une mise au point manuelle pour éviter ces hésitations de l’autofocus sur des mouvements peut sérieusement affaiblir la qualité de certaines scènes.

Pour la confrontation avec le soldat allemand, la critique ne porte pas sur un éventuel surjeu de l’acteur, mais sur la durée excessive de cette scène. Elle s’étire trop longtemps, et cela nuit à la tension qu’elle pourrait générer. En réduisant sa durée ou en apportant un meilleur rythme, cette scène pourrait être bien plus percutante.

Le maquillage, quant à lui, parfois maladroit, est particulièrement visible pour la blessure de Gildas, qui apparaît trop surfaite par rapport à la blessure du soldat agonisant, qui, elle, est bien plus maîtrisée. C’est un point qui laisse une impression de manque de cohérence dans la direction artistique. Il faut aussi noter que la relation entre les personnages de Marie, interprétée par Irène BOTON, et Anna, interprétée par Camille REPINÇAY, manque de crédibilité. Leur faible écart d’âge fait apparaître une dynamique un peu étrange, difficile à rendre crédible à l’écran. Typiquement, le « tu es comme ma fille », de Marie à Anna.

Dans l’ensemble, les problèmes de direction d’acteurs restent évidents. Si certains acteurs, comme Camille, font preuve de bonne volonté, leur jeu reste parfois trop peu nuancé, ce qui est compréhensible dans le cadre de premières apparitions à l’écran, mais cela nuit à la performance globale du film. La direction artistique dans certaines scènes semble également insuffisante, ce qui est encore plus évident dans les espaces vides, comme dans la chambre, où la dynamique de l’espace n’est pas bien exploitée, donnant une impression de froideur et de manque d’intensité.

En conclusion, même si la scène de consécration de Gildas est filmée de manière acceptable, le film dans son ensemble manque d’intensité dramatique. La fin paraît presque artificielle, car elle ne fait pas écho à une véritable évolution intérieure du personnage. Enfin, la mention « À la Sainte Vierge » à la fin du générique, bien qu’elle puisse avoir du sens pour un public ciblé, risque de donner au film une dimension trop centrée sur un milieu religieux spécifique, ce qui restreint sa portée et son universalité.

Ainsi, même si le film présente des qualités indéniables, son manque de rythme, de direction artistique précise et de profondeur dans les performances engendre un ensemble qui ne parvient pas à capter pleinement l’attention du spectateur.

La critique de spectateurs catholiques

Dans le cadre de la critique précédemment formulée par des spectateurs catholiques de Remissio (2023), plusieurs éléments sont jugés positivement, notamment l’authenticité dans la représentation de la pratique religieuse du XIXe siècle. Ce film, qui s’ancre dans une époque pré-Vatican II, évite les excès en ne mettant pas en avant de manière trop appuyée l’évolution de l’Église post-Concile. Cette approche permet aux spectateurs catholiques de percevoir le film comme relativement fidèle à l’histoire de l’Église sans tomber dans des critiques excessives ou trop réactionnaires. Cela correspond à une vision plus honnête, tout en contentant bien sûr les fidèles qui préfèrent l’aspect « traditionnel » de la pratique religieuse. Aujourd’hui, en France, de nombreux catholiques assistent à la messe dans le cadre du rite Paul VI, c’est-à-dire en français. Ils n’ont donc pas été particulièrement heurtés par une critique trop marquée de la messe en français dans le film Magnificat, contrairement à Remissio. Cette approche, loin d’être obsédée par une critique désobligeante du rite en français, est plutôt acceptable. En effet, souvent les critiques de la messe en français tombent dans une critique plus large et parfois injustifiée de la langue vernaculaire, notamment en se basant sur des arguments liés à une « perte de sacralité » ou à une rupture avec l’héritage liturgique historique.

Il est essentiel de rappeler que la popularisation du français par rapport au latin a été un combat majeur dans l’Histoire, porté par des figures comme Joachim du Bellay (La Défense et illustration de la langue française, 1549). Ce dernier défendait la langue française comme véhicule légitime de la culture et de la spiritualité, une vision qui, bien qu’ancienne, reste un élément clé du débat autour de la langue liturgique dans l’Église. Joachim du Bellay voyait le latin, trop lié à une élite intellectuelle et religieuse, comme un obstacle à l’accès à la culture pour le peuple. Ce combat pour la langue vernaculaire, dont la portée reste significative aujourd’hui, a permis de rendre la culture et la foi chrétienne accessibles à un public plus large, notamment avec l’édition de textes liturgiques en français et la diffusion des écrits de l’époque. De manière parallèle, des combats ont eu lieu au sein de l’Église pour préserver les rites traditionnels face à l’influence croissante du rite latin, particulièrement après le Concile de Trente (1545-1563). Ce dernier a renforcé le latin comme langue liturgique et imposé une uniformité dans le culte, menaçant les rites locaux, notamment le rite byzantin et le rite orthodoxe. Pour le rite byzantin, les figures emblématiques comme Saint Photius le Grand, patriarche de Constantinople au IXe siècle, ont vigoureusement défendu l’autonomie de l’Église orientale face à l’ingérence latine, particulièrement à l’égard de l’usage du latin dans les rites et de la domination romaine sur les affaires ecclésiastiques. Le combat pour le rite orthodoxe a également été marqué par des figures telles que Saint Théophane le Reclus, moine russe du XIXe siècle, qui a milité pour préserver la pureté des rites orientaux face à la modernisation et à la latinisation du culte. De même, Saint Nicétas de Paphlagonie, un autre défenseur fervent de l’orthodoxie au Xe siècle, a travaillé pour conserver la liturgie traditionnelle face aux pressions des réformes liturgiques imposées par les autorités latines et postconciliaires. Ainsi, tant dans le domaine linguistique que liturgique, ces luttes pour la préservation des traditions face aux évolutions imposées par des forces extérieures témoignent de la tension permanente entre le maintien de l’identité religieuse et culturelle et l’évolution des pratiques religieuses sous des pressions extérieures.

Dans ce contexte, les spectateurs catholiques d’aujourd’hui, qui sont bien souvent des pratiquants de la messe en français, peuvent se sentir quelque peu échaudés par la glorification d’un passé d’Église plus radicalement attaché au latin et à une forme de liturgie presque idéalisée. Ce retour au passé, perçu comme une position radicale, peut parfois agacer ceux qui privilégient une approche plus moderne et ouverte, sans pour autant renier les traditions. Ce décalage montre une tension persistante entre ceux qui aspirent à préserver certains rituels d’une époque révolue et ceux qui cherchent une Église plus connectée à son époque et à ses fidèles.

Du reste, une critique persiste quant à la figure de la Très Sainte Vierge, qui, dans ce contexte, est jugée comme le renouvellement d’un choix toujours aussi peu judicieux. Certains spectateurs catholiques estiment que cette focalisation sur la Vierge ne sert pas vraiment l’objectif d’universalité cher à l’Église catholique, qui se veut inclusive. Cette représentation peut être perçue comme trop exclusive, ancrée dans un symbolisme peut-être trop spécifique et peu en phase avec un message d’ouverture. Ce nouveau choix rappelle la dynamique manichéenne de Remissio, dans son opposition entre « grand croyant » et « petit mécréant », approche qui semble renforcer une dichotomie trop simpliste, pouvant nuire à une vision plus nuancée des valeurs chrétiennes.

Le film, même si en nette progression par rapport à l’approche simpliste de Remissio, s’éloigne ainsi toujours d’une approche réellement inclusive, que recherchent la plupart des spectateurs catholiques, et pourrait bénéficier d’une représentation plus subtile et moins polarisée des enjeux spirituels. Ce genre de critique souligne l’importance de ne pas enfermer la religion dans une vision réductrice, ce qui, selon certains spectateurs, nuit à l’universalité du message catholique.

5) La critique formule des conseils

La critique se positionne effectivement sur une note bienveillante en mettant en lumière l’idée que le manque de profondeur et de teneur dans la production pourrait résulter d’un cadre trop limité, trop attaché à un certain milieu. Elle soulève ainsi l’importance de diversifier les influences et de s’ouvrir à des experts externes, notamment des professionnels ayant travaillé sur des productions aux dynamiques différentes. Ces derniers apporteraient une expertise qui, même si elle peut se heurter à des contraintes budgétaires, serait essentielle pour mieux captiver le public moderne.

Il est suggéré que dans une époque où la société se caractérise par un constant flux d’informations, de distractions (comme le zapping, TikTok, etc.), aussi attristant cela soit-il, il devient impératif d’intégrer des mécanismes narratifs capables de maintenir l’attention du spectateur. C’est une forme d’adaptation aux nouveaux codes de consommation, à la culture du « scrolling », pour toucher un public plus large. L’idée est de répondre à une demande de contenu qui n’est plus seulement intellectualisé, mais aussi dynamique et immersif.

Dans cette optique, il pourrait être judicieux pour l’équipe d’Ermonia d’envisager l’intégration de talents extérieurs au cercle traditionnel, capables d’amener une perspective nouvelle et une vision plus percutante, tout en respectant les sujets importants qui les animent. Cela permettrait de mieux répondre aux attentes d’un large public sans sacrifier l’intégrité de la vision créative.

6) Sur la projection et l’organisation

La critique fait ici une remarque intéressante sur l’intervention de Joseph BOULANGÉ, le président de l’association, à la fin du film. Son apparition, visant à défendre et justifier le message du film, est perçue avec un certain sourire en coin, car elle laisse sous-entendre que le film aurait besoin d’une justification, ce qui, selon la critique, n’est pas idéal. En effet, si un film est bien réalisé et porte un message fort, il ne devrait pas avoir à se justifier ou à clarifier son contenu après la projection. Une œuvre qui parle d’elle-même et qui capte l’attention du spectateur ne nécessite pas de paroles supplémentaires pour « expliquer » sa validité. Ce manque d’autosuffisance perçu dans l’intervention du président souligne un possible défaut de communication du film, suggérant qu’il n’a pas su convaincre tout seul et que des explications supplémentaires sont nécessaires. La critique dénonce donc l’idée qu’un film qui nécessite une explication apparente pourrait être perçu comme un échec sur le plan artistique, surtout dans un contexte où le message aurait dû être clair et fort dès le début.

Du reste, la critique a été impressionnée par l’efficacité de la machine marketing mise en place par l’association, notamment avec la vente de DVD (disponibles avec des sous-titres en anglais, italien et espagnol) et les flyers, qui révèlent une stratégie de communication quasi professionnelle. L’argent circule. Cependant, un point est soulevé concernant l’accessibilité des films. Alors que des plateformes comme YouTube permettent une diffusion large et gratuite, la décision de ne pas rendre Remissio et Magnificat disponibles en streaming gratuit est perçue comme un manque de démocratisation de l’accès à ces œuvres. La critique fait une comparaison avec The Chosen (2017), une série sur la vie du Christ, qui a choisi de rendre ses épisodes disponibles gratuitement sur Internet, permettant ainsi une accessibilité maximale. Cela soulève la question de l’équilibre entre la valorisation du produit par la vente et la volonté de toucher un large public en offrant un accès gratuit, un aspect particulièrement important dans le monde d’aujourd’hui où les attentes vis-à-vis de la consommation culturelle changent rapidement.

Finalement, le renouvellement de l’approche artistique d’Ermonia a été amorcé avec Remissio, film marquant un tournant dans la ligne de l’association. Ce changement s’est poursuivi avec Magnificat, ce qui confirme que l’équipe artistique a souhaité maintenir cette nouvelle orientation. Bien que ce dernier film présente des nuances idéologiques par rapport à Remissio, il s’inscrit dans la même ligne générale, sans rupture majeure. Cette confirmation, tout de même portée par une volonté d’adaptation à de nouveaux enjeux artistiques et sociétaux, marque une évolution mais qui s’éloigne encore toujours très nettement des trois premiers films de l’association – La Lettre du Poilu (2021) Monsieur Henri : Le Pardon de la Rochejaquelein, et Le Vœu de l’Épée –, qui étaient plus ancrés dans des approches historiques et moins sujettes à débat sur le plan idéologique. Dans ces premiers films, l’association avait opté pour des récits profondément enracinés dans l’Histoire, traitant de sujets historiques d’une manière moins contestable, voire plus consensuelle. Les films évoquaient des événements marquants, mais sans volonté idéologique, ce qui les rendait accessibles à un plus large public. Cependant, à partir de Remissio, cette ligne a clairement évolué, s’inscrivant dans des choix plus risqués et plus personnels. Le film et son successeur, Magnificat, témoignent de cette volonté de persistance de l’approche idéologique de Remissio. Le large maintien de cap n’a pas manqué d’officialiser une certaine distance avec l’esprit originel de l’association, dont les premiers films étaient plus ancrés dans la tradition et l’Histoire. Cette rupture peut être perçue de manière mitigée, car elle implique une prise de risque qui n’est pas forcément partagée par tous. Toutefois, il apparaît que l’équipe soit prête à se démarquer de l’approche voulue pour ses deux précédents films et veuille sortir de sa zone de confort en cherchant la démocratisation (une communication LinkedIn assez importante est à relever en ce sens). Là-dessus, le projet d’un film sur la société stalinienne en Russie représente une direction intéressante et ambitieuse. Les spectateurs et critiques espèrent que l’équipe d’Ermonia saura tirer parti d’un tel projet pour proposer un film puissant et équilibré et revenir ainsi à la dynamique initiale de la création de l’association. Ils attendent une mise en œuvre soignée et un casting diversifié, afin de donner toute sa dimension à un sujet aussi complexe. Croyons que le film pourrait marquer une nouvelle étape dans l’adaptation des thèmes historiques par l’association, et les critiques souhaitent découvrir comment l’équipe parviendra à relever ce défi, avec l’espoir d’un franc retour aux traditions premières d’Ermonia.

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

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