De Grégor Puppinck, à propos d'une affaire déjà traitée par la CEDH, mais qui va être rejugée :
"Le 29 avril 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé de renvoyer l’affaire H. c. Finlande (n°37359/09)
devant sa Grande Chambre afin qu’elle soit rejugée. Cette affaire, qui
avait donné lieu à un arrêt de section rendu le 13 novembre 2012, met en
cause le refus par la Finlande de reconnaître le changement de sexe
intervenu sur une personne transsexuelle mariée avec un conjoint de sexe
biologique différent. La Section avait noté que le problème de fond
dans l’affaire est causé par le fait que la loi finlandaise n’autorise
pas le mariage entre personnes de même sexe (§ 66). Ce renvoi peut
augurer un revirement jurisprudentiel à la suite de l’arrêt X et autres c. Autriche (GC, 19 février 2013, n° 19010/07).Le
requérant, un transsexuel né de sexe masculin, avait obtenu en 2006 le
changement de son prénom et avait subi en 2009 une conversion sexuelle
chirurgicale. Dès 2007, il avait sollicité un nouveau numéro d’identité
indiquant un sexe féminin, mais cette demande avait été rejetée par
l’autorité publique en raison de l’impossibilité pour deux femmes d’être
mariées ; il convenait que le mariage du requérant fût au préalable
dissous. Le requérant ayant refusé de divorcer et les juridictions
administratives finlandaises ayant confirmé la décision de l’autorité
publique, le requérant saisit alors la Cour européenne des droits de
l’homme alléguant une violation de ses droits découlant en particulier
des articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14
(interdiction de la discrimination) de la Convention.Dans
un arrêt du 13 novembre 2012, la quatrième section de la Cour a rejeté à
l’unanimité la requête. Concernant la violation alléguée de l’article
8, la Cour a, certes, rappelé que le refus d’accorder à sa conversion
sexuelle une pleine consécration juridique constitue une ingérence dans
la vie privée de l’intéressé. Toutefois, elle a estimé que cette
ingérence était justifiée par « l’intérêt de l’Etat à maintenir intacte
l’institution traditionnelle du mariage » (§ 48), la Finlande
n’admettant pas le mariage entre personnes de même sexe (§ 49).Quant à la
violation alléguée du principe de non-discrimination, la Section a
estimé que la situation du requérant n’est pas comparable à celle de
personnes non-transsexuelles, ou de personnes transsexuelles non
mariées, et que par suite il n’y a pas de discrimination (§ 65).
Pour juger ainsi, la section s’est placée dans la ligné de l’arrêt Goodwin c. Royaume Uni du
11 juillet 2002 (n° 28957/95) qui établit que la volonté d’une personne
d’obtenir la reconnaissance juridique d’une conversion sexuelle
relevait de son droit au respect de sa vie privé, et qu’il ne peut être
porté atteinte à ce droit qu’en présence de motifs justifiés et
proportionnés. Dans ce fameux arrêt, la Cour avait également jugé
que le droit au mariage, garanti par l’article 12 de la Convention,
devait également être reconnu aux couples de même sexe biologique dont
l’un des membres est transsexuel. Pour reconnaître ce droit, la Grande
Chambre s’était dite « pas convaincue que l'on puisse aujourd'hui continuer d'admettre que ces termes [l’homme et la femme] impliquent que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques »
(§ 100). Elle avait ainsi étendu le droit au mariage aux « couples
transsexuels », d’une part en faisant sienne la théorie selon laquelle
le sexe social prime le sexe biologique, et d’autre part, en faisant du
« droit de se marier » un droit indépendant du fait de fonder une
famille.
Pour juger l’affaire H c. Finlande, la Cour a également fait application de l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche du
24 juin 2010 (n° 30141/04) établissant que la Convention ne peut être
interprétée comme contraignant les Etats à légaliser le mariage
homosexuel.
L’arrêt H. c. Finlande, adopté
à l’unanimité, applique ainsi une jurisprudence bien établie. Pourquoi
alors le renvoyer devant la Grande Chambre ? L’article 43 de la
Convention indique qu’une affaire est renvoyée si elle soulève une « question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général ». Il est probable que certains juges estiment le moment venu de consacrer un nouveau droit : ce fut le cas déjà avec l’arrêt Goodwin c. le Royaume-Uni qui,
reconnaissant aux personnes transsexuelles le droit de se marier avec
une personne de sexe juridique différent, avait renversé une
jurisprudence bien établie. Dans la présente affaire, c’est sous l’angle
de l’article 14 que la Grande Chambre pourrait agir, en s’appuyant sur
le récent arrêt X et autres c. Autriche. En effet, par cet arrêt
la Cour a jugé comparables entre-elles, au regard du droit à
l’adoption, les situations de couples de même sexe et de sexes
différents. Par suite, elle a estimé qu’une différence de traitement
résultant de la prise en compte par la loi de la composition
sexuelle des couples est fondée sur leur orientation sexuelle.
Dans la présente affaire Finlandaise, la Grande Chambre pourrait, à la suite de cet arrêt X et
contre l’arrêt de section, estimer la situation du requérant similaire à
celle de personnes mariées non-transsexuelles. La Finlande aurait alors
la difficile tache de prouver que la différence de traitement entre ces
situations similaires n’est pas fondée sur la seule orientation
sexuelle du requérant, ou alors qu’elle est justifiée par des motifs objectifs et raisonnables d’une particulière gravité (Karner c. Autriche, 22 janvier 2008, n° 40016/98, § 37).
In fine, l’affaire H c. Finlande illustre les difficultés résultant du dédoublement de la définition du sexe entre le sexe biologique objectif et le sexe social subjectif. Lorsque le droit observe le sexe social pour établir un sexe juridique différent du sexe biologique,
il a alors recours à la technique de la fiction juridique dont la
portée est précisément en cause dans cette affaire. Les fictions
juridiques servent-elles à affranchir l’homme de la réalité, via le
droit, ou visent-elles au contraire à rétablir une concordance
apparente entre le droit et la réalité? En d’autres termes, jusqu’où le
droit peut-il se détacher de la réalité pour la refaçonner ?
Plus
prosaïquement, la Cour étant très divisée sur les sujets de société,
l’issue de cet arrêt dépendra dans une large mesure de la composition de
la Grande Chambre ; l’arrêt X et autres c. Autriche a été adopté par seulement dix voix contre sept."