Jean-Paul Charbonneau, historien et conférencier, vient de publier la biographie de Jean-François Marmontel, qu’il qualifie de “feu follet des Lumières”. Né en 1723, il décède la dernière heure du dernier jour du XVIIIe siècle. Tour à tour séminariste, précepteur, dramaturge, journaliste et romancier, s’essayant à tous les genres d’écriture, il passe auprès de ses collègues de l’Académie française pour un bon spécialiste de la littérature. Encyclopédiste le jour, libertin le soir, polémiste à Paris, diariste en province, joyeux drille dans les salons et déférent à la cour, il cultive à l’envi cet art de l’apparence et de l’esquive.
« Touche à tout » en littérature, nomade dans ses résidences, donjuanesque dans ses conquêtes, il ne tient pas en place et ne se fixe nulle part jusqu’à son mariage à cinquante-quatre ans. Ce « feu follet » brille par intermittence, éclairant d’un mot, d’une remarque ou d’une pépite le ronronnement d’une conversation. Ses « Mémoires » constituent la pièce maîtresse de son œuvre, une pièce à charge et à décharge sur les hommes, les idées et les mœurs de son temps. Si en bon dramaturge, il se donne le beau rôle, il joue également les utilités auprès des célébrités qu’il met en scène. Chacun d’entre nous est un témoin de son temps, mais rares sont ceux qui en explorent tous les recoins, rares sont ceux que le hasard ou la nécessité met en situation d’observateur privilégié de ses contemporains. Avec lui, on côtoie des célébrités littéraires tels Voltaire, d’Alembert, Diderot, des politiques influents tels Choiseul, Turgot ou Necker… de grandes dames enfin comme Mme de Tencin, Mme Geoffrin et Mme de Pompadour.
Cette biographie permet de parcourir un siècle que concluent les événements sanglants de la Révolution. Avec elle, nous entrons par la coulisse dans une époque moins manichéenne qu’il n’y paraît. Extrait :
Force est pour Marmontel de souscrire à la manipulation (certains diront au complot) puisqu’il ne croit pas à la spontanéité de la Révolution. Elle n’explose pas comme le couvercle d’une marmite, et les forces qui étaient depuis longtemps à l’oeuvre pour transformer le régime n’ont rien de philanthropique ! Les conditions de vie de la population auraient-elles à ce point changé qu’elle aurait brutalement décidé de renverser le joug qui l’asservissait ? Les émeutes sont trop localisées, trop sectorielles et trop instantanées pour ne pas être préméditées. En dépit de Michelet et de toute l’historiographie du XIXe siècle, en dépit d’un certain cinéma du XXe siècle, il faut chercher ailleurs que dans la misère des populations les causes premières de la Révolution.