Et si la crise identitaire que traverse l’Occident ne venait pas d’un excès de religion, mais d’un excès d’orphelins ?
Peu connue du public francophone, Mary Eberstadt est l’une des essayistes catholiques les plus percutantes de la scène intellectuelle américaine. Ancienne analyste à la Hoover Institution et plume pour Policy Review et First Things, elle est aujourd’hui considérée comme une figure majeure de la pensée conservatrice chrétienne aux États-Unis. À contre-courant des idéologies dominantes, elle établit un lien rigoureux et profondément humain entre la révolution sexuelle des années 1960 et l’explosion contemporaine des revendications identitaires, qu’elle lit comme des symptômes d’une immense blessure : la disparition de la famille.
La révolution sexuelle : promesse d’émancipation, réalité d’effondrement
Dans son ouvrage phare Adam and Eve After the Pill (2012), Eberstadt démonte un à un les mythes fondateurs de la libération sexuelle. Non, la contraception généralisée n’a pas pacifié les rapports hommes-femmes. Non, l’accès au plaisir sans entraves n’a pas réduit les violences conjugales. Non, la déconstruction du modèle familial n’a pas libéré l’individu — elle l’a isolé.
Avec une rare clarté, elle montre que les sociétés post-1968 souffrent d’une perte de liens primordiaux : ceux entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre conjoints unis pour la vie. Ce déracinement affectif massif est, selon elle, la matrice invisible de notre mal-être collectif : hausse des dépressions, des violences, des comportements addictifs, mais aussi désorientation morale et identitaire.
Une clé de lecture décisive : la crise identitaire comme cri de détresse familiale
Dans Primal Screams: How the Sexual Revolution Created Identity Politics (2019), Mary Eberstadt va plus loin. Elle propose une lecture originale et courageuse de l’essor des politiques identitaires (LGBTQ+, racialisme, néo-féminisme, transactivisme…). Pour elle, ces postures radicales ne sont pas d’abord des idéologies construites, mais des tentatives désespérées de créer une appartenance de substitution. Quand les familles s’effondrent, quand les pères sont absents, quand les lignées se brisent, les jeunes générations crient : « Qui suis-je ? À qui j’appartiens ? » — et cherchent refuge dans des communautés idéologiques mimétiques.
Ce cri primal, selon Eberstadt, est le fruit direct de la dissolution des repères affectifs traditionnels. Ce n’est pas un hasard si les militants les plus extrêmes sont souvent aussi les plus seuls. Ce n’est pas un hasard si les drapeaux identitaires remplacent les arbres généalogiques. Là où l’ancrage familial fait défaut, la politique devient la famille de substitution — souvent avec une violence sans merci.
Une pensée girardienne ? Le désir mimétique et l’angoisse de l’orphelin
Sans le citer directement, Mary Eberstadt rejoint par bien des aspects la pensée de René Girard. Elle voit dans la société contemporaine une immense crise du désir : nous imitons ce que nous voyons valorisé, nous revendiquons ce que d’autres revendiquent, et nous nous définissons non par ce que nous sommes, mais par ce que nous avons perdu. Cette logique mimétique engendre des rivalités, des frustrations, des fantasmes de réparation par la visibilité ou la transgression.
Mais là où Girard met l’accent sur la violence sacrificielle, Eberstadt souligne la fragilité affective qui nourrit cette violence : la solitude, l’absence de transmission, le vide spirituel laissé par le retrait des pères. Dans cette optique, reconstruire la famille, c’est reconstruire la paix.
Une voix précieuse pour les catholiques francophones
À l’heure où certains catholiques hésitent à défendre publiquement l’ordre naturel, Mary Eberstadt offre des arguments rigoureux, compatissants, et pleinement ancrés dans la réalité sociale. Elle ne prêche pas depuis une tour d’ivoire : elle observe, documente, démontre. Elle parle au cœur comme à la raison.
Son œuvre devrait être mieux connue en France, traduite, diffusée, méditée. Car dans un monde où l’on érige la confusion sexuelle en dogme, elle rappelle que la vocation humaine ne commence pas par la revendication, mais par la filiation. Et que la vraie révolution, aujourd’hui, pourrait bien être celle de l’enracinement.
Pour aller plus loin :
-Adam and Eve After the Pill (2012)
– Primal Screams: How the Sexual Revolution Created Identity Politics (2019)
– How the West Really Lost God: A New Theory of Secularization (2013)
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France Fougère
Il existe d’excellentes familles, catholiques ou non, avec des liens forts.
Mais il y a aussi des familles toxiques dont il faut s’éloigner car il existe un devoir : se protéger soi-même.
On trouve le bonheur et la sérénité autrement.