De Rémi Fontaine pour Le Salon beige :
« Nascituri te salutant ! » (Ceux qui vont naître te saluent !) : tel est le titre du livre de Jean-Marie Le Méné sur La crise de conscience éthique, paru en 2009 aux éditions Salvator. Il s’agit, explique-t-il, d’un clin d’œil au « Morituri te salutant ! » que les gladiateurs prononçaient dans l’arène devant César. Jeux du cirque et jeu de mots qui invitent à réfléchir sur la vie et la mort par rapport au Politique : « Si l’on respecte César [pour ce qu’il est : investi du pouvoir parce que responsable du bien commun], quel est le message que celui-ci renvoie à ceux dont il a la charge ? »
Tel est bien l’enjeu du débat « bioéthique » sur l’avortement et son inscription dans la Constitution. Débat qui en évoque un autre entre Pilate et Jésus il y a près de 2000 ans, qui a permis la civilisation de l’Amour, autrement dit la Chrétienté :
– Ignores-tu que j’ai le pouvoir de te délivrer et le pouvoir de te crucifier ?
– Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut.
« Ecce homo ! » (Voici l’homme !) avait dit Pilate aux Juifs qui le harcelaient : « Si tu le délivres, tu n’es point ami de César ; quiconque se fait roi se déclare contre César. » Et les Princes des prêtres : « Nous n’avons de roi que César. »
N’est-ce pas ce que soufflent maintenant au législateur et au Président les nouveaux Princes des prêtres : les mandarins complices de la médecine et des médias, les apprentis sorciers des sciences et des nouvelles mœurs, inspirés par le Retors « menteur et homicide dès le commencement » (Jn, 8, 44) ? – Si tu n’inscris pas ce « droit sacré » à l’avortement dans la Constitution, la « liberté » de la mère de tuer son enfant à naître, tu n’es point ami de la gauche, des « droits de l’homme sans Dieu », de l’idéologie dominante, du sens de l’histoire, du féminisme, du wokisme… ! La « sacralisation » du « droit » à l’« IVG » doit à jamais empêcher le Don de la vie de l’emporter : cela passe par ce culte public à l’État-Moloch…
« Voici l’homme ! », leur dit à son tour le nouveau César, le Politique d’aujourd’hui : Macron et Cie, en leur livrant l’embryon dans sa nudité et sa dignité originelles. Il dit l’homme, comme Ponce Pilate dit l’homme, car il ne peut, au fond, totalement nier la réalité et l’infanticide prénatal que constitue une « interruption volontaire de grossesse », malgré les ruses sémantiques et juridiques. Mais il désigne et « salue » par là cet être dérisoire et infime, méprisable comme un vermisseau et que certains voudraient qu’on respecte comme une personne. De même que d’aucuns voudraient qu’on respecte ce Jésus-Enfant ou ce Christ outragé comme un Roi glorieux, vrai Dieu et vrai homme, dont le Royaume n’est pas de ce monde mais a renouvelé ce monde. Absurde ! C’est à eux les politiciens, c’est à lui Macron, « maître des horloges », d’être sur cette terre le(s) maître(s) de la vie et de la mort : – Vous serez comme des dieux ! N’ont-ils pas finalement d’autre autorité, dans cette démocratie religieuse, que celle du Président élu au suffrage universel, d’autre roi que Macron ! Sans besoin d’autres commandements ou Révélation. — Rendez à César ce qui est à César et tout est à César ! Nous n’avons de roi que César… ou Macron !
Et pourtant, comme Pilate, ne devraient-ils pas être saisis d’une plus grande crainte ces députés et sénateurs, ces « révisionnistes »des lois bioéthiques, suppôts et protecteurs du tabou de la loi Veil, au-delà de leurs calculs politiciens et de leurs soucis de carrière ? S’ils livraient ainsi autre chose qu’un « amas de cellules » à un tragique destin ? « À l’instant même de sa conception, l’homme est déjà ordonné à l’éternité en Dieu », les avait pourtant déjà averti saint Jean-Paul II. – Tu ne tueras pas l’innocent ! imposait le commandement dicté à Moïse, loi naturelle et divine à l’origine de la sagesse des nations et des civilisations contre la barbarie. « Impression en nous de la lumière divine » (saint Thomas d’Aquin).
– Qu’est-ce que la vérité ? répètent-ils, feignant le scepticisme à la suite du gouverneur romain. Précisément, l’homme pitoyable que présente Pilate aux Juifs est la Vérité et la Vie comme il est la Voie et l’Amour. Il est la vérité sur l’homme et sur la vie. L’accomplissement de l’homme. Et l’homme-embryon que livre aujourd’hui le législateur n’a de sens que par cette Vérité divine : sa vie est sacrée.
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu… En Lui était la Vie et la Vie était la lumière des hommes… Le Verbe était la vraie Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde… Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli… » (Prologue de saint Jean).
« Morituri Te salutant ! »
Voici donc l’Enfant annoncé que dénonce Hérode et l’homme condamné que désignent Judas et Pilate : Il est l’Homme nouveau ! Il s’identifie aujourd’hui avec l’enfant conçu et rejeté par le pouce incliné en bas de César-Macron :
« En vérité je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait au moindre de mes frères que voici, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matt. 26, 40).
« – Vous ne m’avez pas accueilli ! Ce jugement lui aussi fait son chemin à travers l’histoire de nos familles ; il fait son chemin à travers l’histoire des nations et de l’humanité. Les paroles du Christ concernent aussi des institutions sociales, des gouvernements et des organisations internationales », prévenait également Jean-Paul II dans sa Lettre aux familles terriblement actuelle.
Comme pour le passé, l’avenir des hommes, celui de la civilisation de l’Amour ou de la Chrétienté, dépendra de cet accueil fait au Fils de Dieu. À méditer doublement au temps de l’Avent qui prépare l’Incarnation avec une majuscule et en ce temps de la Passion qui prépare la Résurrection avec une majuscule ! Et, comme ne cessait de le répéter prophétiquement le professeur Jérôme Lejeune, cet avenir dépendra corollairement de l’accueil fait à l’embryon, cette incarnation minuscule de l’homme, à qui nous devons une sorte de piété filiale. Car, s’il est notre « frère humain » qui après nous vivra, il est aussi un peu paradoxalement comme « le père de l’homme » (Jean-Marie Le Méné) : nous sommes tous passés par là, son histoire est la nôtre ! Dans la biologie de la procréation est inscrite le mystère de la généalogie des personnes, qui devient communion des générations par-delà la communion conjugale, dans une solidarité au-delà du temps. De l’embryon comme avenir ou père de l’homme, si l’on peut dire, au Fils de l’Homme, on saisit bien le lien ineffable dans le mystère de la Création et de la Rédemption. Nous ne comprenons rien au mystère de la vie humaine si nous ne le lisons dans « le Livre de l’Amour infini ». Le respect et la défense inconditionnelles de ces tout-petits est bien aussi un combat eschatologique, enseignait le docteur Xavier Dor. N’en déplaisent à certains de nos évêques !
Rappelons tout de même, avec sainte Mère Teresa, que « le premier être humain qui souhaita la bienvenue à Jésus, qui le reconnut dès le sein de sa propre mère (sainte Elisabeth), fut un enfant : Jean-Baptiste. » Un enfant également in utero, à l’exultation et la salutation singulières : « Nasciturus Te salutat ! » Celui qui va naître Te salue ! Mais il mourra lui-même martyr, comme des légions d’apôtres pour rendre témoignage à la Vérité : « Morituri Te salutant ! »
Non, ce n’est pas César en effet qu’il faut ainsi saluer ou seulement dans la mesure où il rend à Dieu ce qui est à Dieu. Car la vie humaine, par sa destinée surnaturelle, est moralement supérieure à toute mauvaise raison d’État contraire au bien commun, et aucun César ne peut exiger que la personne lui sacrifie son salut, en transgressant la loi (morale) naturelle. Non, nous n’avons pas de roi que César… Créon ou Macron ! Nous avons Celui qui, si son Royaume n’est pas de ce monde, a cependant répondu à Pilate : — Tu le dis : je suis roi ! Comme Antigone, Jean-Baptiste et tous les hérauts de la transcendance divine, nous refusons, dans ces conditions terribles et précises d’abus du pouvoir politique, l’allégeance à César, jusqu’au martyre s’il le faut, comme y invitait saint Jean-Paul II dans Evangelium vitae.
Et par leur baptême de sang, les saints innocents d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, ont peut-être droit de participer à l’élection des martyrs (1). Appelés par leur Créateur à la vie, ces nascituri sont devenus des morituri par la main légale et assassine du nouvel Hérode en place. Des morituri, dont le cri(me) étouffé et le salut silencieux ne peuvent être que reconnus par le Christ-Roi. Ce cri vient de Dieu, il faut l’entendre : «… Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».
Rémi Fontaine (d’après un article paru dans Présent du 16 décembre 2009)
(1) Le 10 septembre 2023 sera béatifié, avec tous les autres membres de sa famille polonaise, un enfant encore dans le sein de sa mère : le 7ème de la famille Ulma entièrement massacrée par des nazis pour avoir accueilli une famille juive. Une première dans l’histoire de l’Église.