Jacques Attali, d’abord favorable à l’euthanasie, commence à s’inquiéter :
J’aurais voulu pouvoir prendre parti en faveur du texte que vient de voter l’Assemblée nationale sur les conditions de fin de vie et le droit à l’aide à mourir. Et je ne le peux pas.
Je l’aurais voulu parce que rien ne serait plus naturel que de permettre à chacun, en toute liberté, de mettre fin à sa vie, comme il l’entend, et d’y être accompagné, s’il ne sait, ou ne peut, le faire lui-même d’une façon douce. Et parce que, lorsque certaines douleurs sont irrémédiablement insupportables, je suppose qu’on peut légitimement vouloir en finir. Même si personne ne sait comment il réagira quand et s’il y est, un jour, confronté, il est compréhensible qu’une loi ouvre ce droit à chacun. Et le moyen de l’utiliser. Telle était l’intention, louable, de ce texte.
Je ne peux cependant pas le soutenir en l’état, pour une raison, au moins : rien ne garantit, dans le texte tel qu’il a été voté en première lecture, et malgré tous les débats qui l’ont préparé, et l’intégrité indiscutable de ses promoteurs, qu’on ne connaîtra pas en France la même évolution que celle qui semble se dessiner dans d’autres pays où une telle loi existe, en particulier au Canada et aux Pays-Bas, où cette faculté semble être utilisée en ce moment surtout par les gens les plus pauvres et les plus fragiles.
On aurait pu penser que l’évolution aurait été différente ; et que les classes sociales les plus favorisées, les plus libres de tout, auraient souhaité profiter en priorité de cette liberté nouvelle. En réalité, il n’en est rien :
Au contraire, quand on est pauvre, et plus encore quand on est pauvre et seul, et en particulier quand on n’a pas à proximité de chez soi un centre bien équipé pour assurer des soins palliatifs de qualité, on peut vouloir en finir au plus vite. Plus même quand on est non seulement pauvre, mais aussi handicapé, ou mentalement diffèrent, on peut même être poussé à demander à mourir par un entourage, social ou familial, qui peut y trouver un intérêt, au moins psychologique. De plus, dans le projet de loi, tel que voté par l’Assemblée nationale, il est considéré comme condamnable de tenter de convaincre quelqu’un de ne pas en finir, alors qu’à l’inverse, la « provocation au suicide » n’est punie par l’article 223 du Code pénal que si et seulement s’il y eu passage à l’acte.
Tout cela m’amène à avoir quelque suspicion sur la philosophie et la dynamique d’une telle réforme. On peut craindre de la voir évoluer en quelques décennies, sinon quelques années, vers l’organisation sociale plus ou moins explicite d’une euthanasie de malades mentaux, d’handicapés, de personnes fragiles, ou démunies, pour des raisons d’embarras familiales ou de coût social. […]
Anya
Je m’incline profondément devant la formidable hypocrisie et l’esprit de mensonge surdimensionné d’Attali. Il ne faut pas s’y tromper, il exprime ici un grand satisfecit : cela se passe exactement selon ses souhaits ! Les soins palliatifs de qualité pour les riches, l’injection léthale pour les pauvres.
denis77
Le désir de mourir est toujours lié au malheur, à la misère, à la souffrance, à la faiblesse et à la solitude, quand on est dans l’aisance, bien entouré, qu’on a les moyens -notamment financier, de soulager voir vaincre sa souffrance on ne souhaite pas mourir M. Jacques Attali semble découvrir la lune.
AFumey
Belle lucidité!
Un peu tardive mais on peut la saluer chez ce personnage.
A ceci près qu’il passe encore à côté de l’essentiel: les dérives qu’il déplore sont inscrites dans le principe même de cette loi…
Anya
On n’est pourtant pas le 1er avril !