Ancien aumônier d’hôpital de 1994 à 2000, l’évêque de Montauban Mgr Ginoux est interrogé dans Famille chrétienne :
"Le Conseil d’État a ordonné le 24 juin l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation de Vincent Lambert. Cette décision ne signe-t-elle pas une forme de renoncement, voire de violence, face à la vulnérabilité humaine ?
Cet arrêt constitue une forme inouïe de violence : au lieu d’accompagner humainement, on préfère voir mourir. Alors que l’on pouvait attendre de leur part un avis prudentiel, les juges amorcent une ouverture grave vers une décision de mort pour toute personne qui ne pourra pas se manifester comme communicante ou comme répondant à des appels de l’extérieur. L’interdit de tuer l’autre est franchi, et cette décision ouvrira à des cas semblables.
En tant qu’ancien aumônier d’hôpital, cette ordonnance du Conseil d’État m’a profondément peiné et révolté. Les personnes en état végétatif chronique vivent réellement, personne ne peut dire le contraire. Vincent Lambert vit, tout le monde l’a constaté, mais il ne peut pas être nourri naturellement. Comment peut-on dire que des soins excessifs sont pratiqués sur sa personne ? Répondre à la satisfaction du besoin premier de boire et de manger n’a rien d’anormal. On oublie trop souvent de rappeler que Vincent Lambert est avant tout un être humain, qui vit certes dans conditions exceptionnelles, mais qui n’est pas fin de vie et dont la pathologie ne conduit pas à la mort.
Là où est la vie humaine, le Seigneur est présent. Une relation mystérieuse perdure entre les personnes qui ne communiquent plus et Dieu, car Lui continue toujours de communiquer avec elles.
La cour d’assises de Pau a acquitté, le 25 juin, le Dr Bonnemaison poursuivi pour empoisonnement à l’encontre de sept de ses patients. Que vous inspire ce verdict ?
Le Dr Bonnemaison a totalement oublié sa mission première qui est de soigner, et non de tuer. Car si toutes les personnes en fin de vie peuvent être tuées de manière inconsidérée, la médecine deviendrait alors un danger public. Ce serait là le contraire de la confiance et de la proximité que doit donner un soignant. Les applaudissements entendus à la lecture du verdict sont ignobles et constituent une insulte envers les familles qui ont perdu un être cher. Quand une cour d’assises acquitte un médecin qui tue délibérément, la direction est donnée pour une loi légalisant l’euthanasie.
La décision des jurés ne reflète-t-elle pas l’état d’esprit de nos concitoyens sur la question de la fin de vie ?
Assurément. Notre société a peur de la mort et du vieillissement. Le jeunisme ambiant fait que tout ce qui se dégrade inquiète. Mon expérience d’aumônier d’hôpital m’a montré à quel point les réactions humaines devant la mort étaient à la fois étranges et émotionnelles. Face à une situation physique ou mentale qui se dégrade gravement, la famille désire que tout s’arrête pour garder une image sereine de la personne qui va disparaître.
Nos contemporains ne veulent plus voir la mort faire son œuvre. L’idéal du bien-mourir, c’est de mourir dans son sommeil, le plus discrètement possible et ne rien avoir à souffrir. On n’accepte plus l’idée du passage, cette naissance à une nouvelle vie avec toutes les difficultés que comporte, bien entendu, ce passage.
Cette vision de la mort est contraire à ce que les siècles de christianisme avaient donné à la civilisation occidentale, c’est-à-dire la mort entourée des siens. Cette conception du bien-mourir nous conduit à donner la mort par un phénomène prétendu de compassion, car l’image dégradée de la personne en fin de vie ou handicapée est devenue insupportable. Notre société n’est plus capable de voir en elle l’image de Dieu.
Comment en est-on arrivé là ?
Dans une société, où l’idée de progrès des sciences et des techniques est assimilée à ce qui est utile, performant et rentable, la mort est devenue incongrue. Il existe une sorte de quête éperdue d’une vie indéfinie de l’être humain, une vie sans fin. N’était-ce pas au fond le credo des positivistes du XIXe siècle ? Cette mentalité matérialiste ne donne plus de place à la vie spirituelle. Sa dimension transcendante a disparu. C’est la conséquence directe de la sécularisation croissante de notre société.
Curieusement, lorsque la mort devient inéluctable, plutôt que de l’affronter et de la dépasser, on la crée comme pour se donner l’impression de la dominer. Or, cette conception correspond à un individualisme profond de la société. Nous avons entendu, il y a trente ans : « Mon corps est à moi ». C’est toujours le même slogan qui est brandi de nos jours.
90% des Français se disent favorables à l’euthanasie. Comment résister à ce rouleau compresseur ?
Commençons par dire la vérité. Nous sommes marqués par le désir que tout acte médical fasse le mieux et au mieux. Alors, lorsqu’une personne accidentée ou foudroyée par un AVC est emmenée aux urgences, elle est réanimée, car c’est la logique médicale de faire triompher la vie sur la mort. Quels proches – lorsqu’ils sont présents ou arrivent à temps – diraient aux médecins : ne faites rien ? Personne. Or, souvent, les conséquences de cette réanimation s’avèrent tragiques. C’est à ce moment-là que tout commence. Cette réalité nouvelle de la personne nous contraint et nous oblige à l’humilité et à la prudence. Elle nous oblige à poser un regard différent sur l’être souffrant. Malgré sa faiblesse, cette vie blessée garde toujours un sens et, moi, chrétien, comme dans la parabole du Bon Samaritain, je dois m’en faire proche ; car dans chaque personne souffrante, dans chaque malade défiguré, je vois le visage du Christ torturé et abîmé par la Passion et la Croix.
Les chrétiens doivent donc prendre conscience – et c’est une nécessité – que leur devoir est d’être auprès de toutes ces personnes. Sans eux, ces malades ne pourront pas être reconnus comme portant l’image du Christ.
Le gouvernement a demandé à Jean Leonetti et Alain Claeys de travailler sur une modification de la loi du 22 avril 2005. À force de légiférer, ne risque-t-on pas de franchir le pas de trop vers la légalisation dusuicide assisté et de l’euthanasie ?
Ne nous leurrons pas. L’objectif de cette mission parlementaire est de faire passer, à terme, la loi sur l’euthanasie. Nous le savons. Notre sens de chrétien – et d’homme avant tout – est de nous y opposer : on ne met pas fin à une vie, quelle que soit sa situation, car toute vie a un sens. L’être qui meurt est celui qui a vécu, aimé, et il a droit au respect inconditionnel jusqu’à son terme. C’est un fondement anthropologique. L’émotionnel et le sensible ne peuvent remplacer cette vérité de l’être. Personne n’a le droit de penser qu’une vie est inutile, qu’elle coûte cher ou qu’elle ne vaut plus la peine d’être vécue.
Les parlementaires saisis affirment qu’ils n’iront pas jusqu’à l’euthanasie. François Hollande lui-même semble y être très réticent.
Si nous regardons tout ce qui s’est fait depuis 1975, ce discours nous a été resservi à chaque nouvelle loi, et à chaque fois la transgression a été franchie. Je ne veux pas être complètement pessimiste. Des mobilisations comme celles de l’an dernier ralentiront le processus, mais comme le disait Bernadette Soubirous : « Je suis chargée de vous le dire, pas de vous le faire croire ».
Même si l’issue ne fait guère de doute, il est impossible de nous taire. Et nous devons avoir bien en tête que nous sommes plongés dans un véritable combat de société où l’homme veut se faire maître de la vie et la mort. Il veut devenir son propre Dieu. Cette idéologie est fortement enracinée dans une opposition frontale à la foi chrétienne. C’est une évidence."