Mgr Thierry Jordan, archevêque de Reims, est interrogé dans L'Union :
Que reprochez-vous au projet de loi sur le mariage pour tous ?
« Que ses promoteurs mélangent tout. Qu'ils veulent
être modernes et sont le contraire. L'homophobie est une chose, et il
faut la réprouver, mais le « mariage pour tous » n'a jamais existé et ne
peut pas exister. Le mariage, c'est un homme, une femme et, si possible
des enfants. On ne peut pas sortir de cela, c'est notre nature, et
aussi l'un des fondements de notre civilisation. La société elle-même a
déjà placé des interdits immémoriaux : on ne peut pas, par exemple,
épouser un proche parent, ou plusieurs personnes en même temps. Donc
toute situation de couple n'est pas mariage. Il ne suffit pas de dire
que, du moment qu'on s'aime, on peut se marier. »Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une évolution inéluctable de la société ?
« Cela dépend de ce qu'on entend par évolution. Bien sûr des
choses bougent, la famille elle-même est très fragilisée aujourd'hui. Le
législateur doit-il simplement entériner des états de fait, ou bien
rechercher ce qui est bon pour les citoyens et pour le pays ? Autrement
dit, je pense que toute loi doit être profondément humaine, au sens où
elle trouve sa justification dans ce qui fait grandir l'être humain en
humanité. Sinon ce n'est pas une bonne loi. La loi a aussi une portée
éducative, un peu comme pour le rôle des parents par rapport aux
enfants. Ils envoient une sorte de signal, ils indiquent une route qui
va permettre aux enfants de se développer harmonieusement, ils sont
accueillants et ouverts au dialogue, sans pour autant laisser penser que
tout est du même ordre. »Un débat est-il indispensable pour éclairer chaque citoyen sur les conséquences de ce mariage pour tous ?
« Certainement, d'autant qu'il n'a pas eu lieu comme le
gouvernement l'avait promis. On a juste envoyé des arguments sur la
place publique, on n'a pas réfléchi. Les ministres concernés ont,
certes, reçu quelques personnalités, pour déclarer aussitôt que de toute
façon la loi serait votée et appliquée ! J'espère que les
parlementaires prendront le temps de l'écoute avant de voter, tout en me
demandant si la responsabilité qui pèse sur leurs épaules n'est pas
trop lourde. Cela dit, je ne suis pas partisan d'un référendum : ce qui
est bon pour l'homme n'est pas à soumettre aux émotions du moment, qui
sont par nature fluctuantes. »En quoi les évêques sont-ils fondés à se positionner sur le
mariage civil ?« Ce sont des citoyens comme les autres. Vous remarquerez
toutefois que nous ne faisons pas du problème un enjeu d'appartenance
religieuse. Nous allons plus loin en un sens, nous essayons de servir
l'humanité et ce qu'il y a de plus noble en elle. Le mariage civil a cet
avantage d'inscrire le couple et la famille dans la société, avec leurs
droits et leurs devoirs. Une loi interdit d'ailleurs aux ministres du
culte de célébrer un mariage religieux sans mariage civil préalable :
nous ne demandons pas son retrait. Vous voyez la relation étroite qui
est nouée entre l'un et l'autre. »La famille reste le socle de la chrétienté. Que changerait, pour l'Eglise, l'adoption de cette loi ?
« La famille n'est pas le socle de la chrétienté. Elle est le
socle de la communauté humaine tout entière. Bien sûr, être croyant lui
apporte une vision et une force intérieure. Si vous voulez me faire dire
que ma mission religieuse m'invite à soutenir particulièrement les
familles, j'en suis entièrement convaincu, d'autant que les familles
chrétiennes rencontrent les mêmes fragilités que les autres. Raison de
plus pour les encourager. J'ajouterai pour terminer que les enfants
eux-mêmes sont à protéger. Ils ont droit à un père et à une mère. Ils ne
sont pas des sujets de fabrication. Quant à l'adoption, elle vise à
donner des parents aux enfants qui en sont dépourvus, et non l'inverse. »