Dans le Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2013-2014 (pdf 281 pages), Mgr Georges Pontier est interrogé, au même titre que les représentants des diverses religions et des loges maçonniques. Le président des évêques de France distingue deux types de laïcité :
"Pour ma part j'intitulerai mon propos au sujet de la laïcité aujourd’hui en France comme la perception d’une évolution ou d'une hésitation entre une ‘laïcité d’Etat’ et une ‘laïcisation de la société’. La première option de la laïcité, c’est celle prévue par la loi du 9 décembre 1905 qui consistait en une séparation et non pas à l'ignorance. Mais ce concept a évolué d'une toute autre manière au cours du XXIe siècle. […]
Dans la conception première de la laïcité, il s'agit du comportement de l'Etat envers les Églises, à savoir la stricte neutralité, mais dans le respect de tous les citoyens et une acceptation de la manifestation religieuse dans le respect de l'ordre public. […]
Il y a eu cependant un second courant de la laïcité qui s'est développé, celui d’une ‘laïcisation de la société’, ce qui soulève beaucoup d'interrogations de notre part. Ce n'est pas seulement pour nos intérêts particuliers que nous le craignons. Mais nous ne pensons pas juste d'aller vers une laïcisation de la société et le maintien de la manifestation des convictions religieuses uniquement dans la sphère privée, intime.
Existent des courants de pensée qui s'expriment pour une ‘laïcité de combat’ : pour eux la religion relève de l'obscurantisme. Ils sont favorables à des retours en arrière et aimeraient notamment revenir sur la loi Debré avec le slogan ‘argent public école publique’ pour instaurer des coupures radicales et ramener la République dans quelque chose de beaucoup plus strict. La laïcité ne serait plus un mode de fonctionnement, mais une doctrine. On a ensuite un autre sous-courant, qui s’exprime à travers une laïcité qui serait comme la fille de la sécularisation : Il s’agit de supprimer ce qui fait référence au monde chrétien pour organiser sa vie sociale. […] Dans les édifices religieux, c'est la dimension culturelle qui sera la plus mise en avant, et on ne se demandera pas toujours si les spectacles qui sont donnés dans les églises sont en accord avec les conceptions des croyants. […]
Le troisième courant considère lui que l'espace public n'est plus un espace public où chacun pourrait vivre sans freiner sa conscience. Pour ce courant l'espace public serait une extension du domaine de l'Etat. On peut le remarquer, par exemple, dans le fait que des personnes ont eu du mal à comprendre que l'Eglise se positionne sur des questions de société. Mais on peut aussi le trouver dans des exemples de tous les jours avec les histoires de Père Noël qui ne devraient pas venir à l'école. Il y a aussi la question des changements de jours fériés, avec une proposition de supprimer des fêtes chrétiennes du calendrier.
Il me semble que pour ce courant, ce qui a été l'élément déclencheur, c'est l'arrivée de l'islam et surtout la prise de conscience qu'il s'agit d'une présence de l’islam qui va durer, puisque nombreux sont les Français musulmans. De plus s'est rajouté à cette réalité le développement d'un islam radical et sectaire. […] On est alors passé de la question : Est-ce qu'il faut leur accorder les mêmes droits et avantages qu’aux autres religions ? à la question : Ne devrait-on pas supprimer les avantages et droits qu'on a accordés aux autres religions afin de ne pas avoir à les leur accorder ? En conclusion de ce premier point il me semble qu'on est passé d'une laïcité qui était un mode de fonctionnement à une laïcité qui devient une opinion, une philosophie, dont on veut imposer une certaine conception stricte comme solution pour le vivre ensemble, au détriment de la neutralité de l'Etat et de la conception première d’Aristide Briand.
Je voudrais maintenant attirer votre attention sur un point important : Il serait dangereux de penser que les religions ne sont qu'une affaire personnelle, individuelle, alors qu'elles jouent un rôle social, en accompagnant les jeunes, en participant aux loisirs, en donnant des repères, en participant à l'enseignement, la formation. Elles jouent aussi un rôle dans l'aide aux plus pauvres et d'une manière générale, les élus sur le terrain se réjouissent de ce rôle. Elles jouent également un rôle dans l'accompagnement aux personnes éprouvées par la maladie, et celles en fin de vie. Elles offrent encore un cadre institutionnel au dialogue avec l'Etat et permettent de donner des repères et de lutter contre les fondamentalismes toujours possibles en leur sein. Il arrive que lorsque nous organisons une activité avec des jeunes, les caisses d’allocations familiales ne veulent pas nous subventionner parce qu'un temps est prévu pour une messe. La laïcité deviendrait une culture, voire une ‘religion laïque’ à promouvoir ou même à imposer. On peut comprendre la volonté de transmettre aux jeunes certaines valeurs avec la charte de la laïcité, mais on peut s'inquiéter lorsqu'on prétend arriver à une ‘reconquête’ des esprits qui auraient été ‘travestis’ par l'influence familiale ou religieuse. Étonnante généralité : ce ne sont pourtant pas les idéologies religieuses qui ont commis les deux grands drames du 20e siècle. […]"