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L'Eglise : L'Eglise en France

Mgr Ravel rappelle le sens de la laïcité

Dans une lettre pastorale sur les rapports entre les religions dans l'Etat, Mgr Luc Ravel, évêque aux Armées, prend soin de définir la laïcité :

"Reprenons à grands traits la notion catholique de laïcité dont le fondement tient dans cette formule du concile Vatican II : « autonomie des réalités terrestres. » [Gaudium et Spes]

R Selon la pensée catholique, la laïcité est d'abord dans les choses elles-mêmes : constater ce que sont les choses avec leurs lois propres et leurs modes singuliers de comportement assoit la juste appréciation de cette laïcité inscrite dans l’être des choses par le Dieu Créateur. La théologie de la création, en effet, rend compte de la qualité de « laïque » qui appartient à toute chose créée : choses matérielles régies par les lois physiques à la précision extrême ; choses spirituelles marquées du sceau de la liberté ; choses matérielles et spirituelles, tout à la fois, soumises au jeu complexe de la nécessité et de la liberté. Nulle grâce ne vient endeuiller ou ternir ces principes et les règles propres à chaque chose. Si toute réalité individuelle est ‘laïque’ par essence, les réalités plurielles, faites de diversité de choses, ne perdent pas cette qualité. Ainsi de la réalité politique composée d’hommes multiples. Le caractère ‘laïque’ d’une réalité ne s’oppose pas à Dieu et à son pouvoir d’alliance puisque Dieu lui-même a voulu et a fait les choses ‘laïques’ c'est-à-dire à distance de lui pour qu’elles aient leur consistance propre. La foi catholique affirme que l’acte de création n’est pas une émanation ou une diffraction de l’Etre divin mais un acte précis qui pose une chose dans l’être, non pas séparée de Dieu (qui en reste la source) mais différente de Lui (qui est le Tout Autre). Dieu est sans nulle proportion avec les choses qui sont, et les choses qu’Il a faites sont autres que Lui. […] A cette théologie chrétienne de la laïcité s’opposent les visions panthéistes à travers lesquelles les choses et Dieu se confondent : la réunion totale de l’ensemble des créatures ne coïncide pas avec Dieu. A cette perspective biblique s'opposent aussi les visions qui ne pensent pas ce lien de Dieu aux choses selon la modalité de la distance, soit parce qu’elles ne peuvent accéder à la notion de création soit parce qu’elles ne voient pas Dieu dans sa transcendance. […]

Ce caractère ‘laïque’ des réalités créées se tire de cette mise à distance sans séparation : chacune joue son rôle et accomplit sa vocation à travers un jeu plus ou moins mesurable de causes et d’effets. Apparemment Dieu n’y touche pas ou, pour le dire comme un scientifique, le physicien Laplace, « l’hypothèse Dieu est inutile ». Et il avait raison dans son ordre d'intelligence scientifique. Mais ce serait mal comprendre le sacré chrétien que d’y voir un abandon par Dieu de son oeuvre comme un certain déisme l’avait laissé entendre. Dieu ne joue pas au billard avec le monde : les images de l’artisan qui crée et laisse ensuite son oeuvre à elle-même sont très imprécises et porteuses de plus de malentendus que des vérités claires. L’action de Dieu dans les choses ‘laïques’ continue d’entretenir l’être et le mouvement propres de chaque réalité. Mais Dieu porte avec discrétion le cosmos tout entier en laissant l’homme découvrir un ordre magnifique imprimé dans les choses : en scrutant par la recherche ou en contemplant par l’admiration chaque chose, l’homme, stupéfait de son propre pouvoir et de la cohérence de la chose, perçoit la densité, la consistance, le mouvement particulier inhérent à l’être lui-même. Bref, la laïcité des choses évacue un « totalitarisme divin » sur le monde, elle donne aux réalités d’être davantage qu’une prolongation confite en divin ou une image évanescente, une sorte de songe dont il faudrait se déprendre pour atteindre Celui-là seul qui vaudrait quelque chose.

[…] La laïcité athée, celle qui s’est enfermée dans le dogme de l’athéisme, perd son pouvoir fécondant : car si l'autonomie de l'homme est saine, son indépendance vis à vis de Dieu va la rendre folle. Nous voilà au coeur du mystère que nous nommons du désordre et du « salut »."

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6 commentaires

  1. Nous ne sommes pas indépendants de Dieu, certes.
    Mais nous ne sommes pas non plus autonomes ! En effet, nous recevons notre loi ( nomos) de Dieu, nous sommes soumis à Sa loi, nous ne nous la donnons pas nous-même (autos).

  2. D’accord avec Bergstein. Parler de “laïcité” dans les créatures ne contribue pas à dissiper l’ambiguïté propre à Gaudium et Spes. Les créatures – même un caillou – ne subsistent que parce qu’elles participent en permanence à l’être de Dieu. Mgr Ravel est certainement d’accord avec cette affirmation mais en cherchant à sauver une “autonomie” équivoque, il complique le débat. Le monde n’est pas Dieu mais Dieu est dans le monde. La laïcité relève au contraire d’une idéologie athée qui veut penser le monde comme si Dieu n’existait pas.
    [L’extrait que j’ai mis est trop bref, mais Mgr Ravel parle bien de cette laïcité athée que nous connaissons. C’est pourquoi il rappelle ce qu’est la laïcité “naturelle”. MJ]

  3. @Denis Sureau
    Ce qui reste dans l’ombre chez cet évêque, c’est le paradoxe de la laïcité d’un point de vue chrétien. Les choses terrestres sont autonomes, mais c’est Dieu qui les rend autonomes. La lumière naturelle peut éclairer cette autonomie: je peux élaborer des normes de comportement par induction (loi naturelle). Mais la foi révèle que cette lumière naturelle est le fruit de la Création (Amour). Ainsi on ne comprend le paradoxe d’une autonomie dépendante que grâce à un concept de l’amour comme principe de tout être: l’amour veut que l’être soit libre.
    C’est pourquoi ce qu’il manque sans doute à l’analyse de Mgr Ravel, c’est de dire que seul Dieu est le garant de la laïcité, seule une référence à ce qui crée l’autonomie des choses terrestres peut leur donner un sens. Ce qui signifie in fine que seule la foi catholique est garante de la laïcité (et non un quelcoque républicanise franc-maçon, qui tombe de fait dans l’athéisme d’Etat).
    [Vous ne pouvez pas écrire “ce qu’il manque sans doute à l’analyse de Mgr Ravel, c’est de dire que seul Dieu est le garant de la laïcité”, sans avoir lu les 105 pages de cette lettre pastorale dont je n’ai cité qu’un court extrait.
    MJ]

  4. @MJ. D’accord, si vous citez un seul passage où une telle idée est formulée.
    [Page 24 : “prenons bien garde de tenir
    avec opiniâtreté que cette laïcité fondamentale des choses
    n’exclut pas un lien profond avec Celui qui en est la
    source”
    C’est pourquoi j’insiste pour qu’on lise l’intégralité avant de critiquer. D’autant qu’il était devenu rare qu’un évêque français cite Léon XIII et Saint Pie X…
    MJ]

  5. C’est bien compliqué tout çà, je vais le relire en écoutant le Boléro d’un musicien Français dont le nom m’échappe, j’aurai assez de temps, j’espère, quitte à le réécouter si nécessaire.

  6. @MJ.
    Merci pour cette relecture, qui est en effet éclairante.
    Mais je ne disais pas seulement que la laïcité des choses “n’exclut pas” une référence à sa source, mais qu’ell n’est possible que PAR une référence à sa source. Autrement dit, la laïcité des choses n’est pleinement comprise que d’un point de vue catholique, qui s’appuie sur une idée de la Création par amour de ces choses laïques.
    Ce qui m’agace, c’est que nous avons tendance à croire que l’universel que prétend être la laïcté est, parce qu’il est acceptable par NOUS, valable pour TOUS. Mais à part les catholiques et les franc-maçons personne n’est prêt à accepter la laïcité! Et encore, les franc-maçons ne sont laïcs que par opposition à l’Eglise; alors que nous le sommes positivement, par nature. Nous n’avons pas besoin de la contrainte pour reconnaître l’autonomie des choses terrestres, parce que nous savons de foi qu’elle sont fondés sur un acte d’amour qui les rend libres.

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