Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
La récente remise en cause de l’historicité de Jésus par Michel Onfray a fait railler à son sujet, jusque dans les rangs des catholiques. Mais celui qui se proclame athée impénitent est-il si éloigné du christianisme ?
C’était jeudi dernier. La Tradition liturgique n’en a pas fait une solennité par hasard. La Conversion de Saint Paul, célébrée le 25 janvier dans le Missel Romain, ne fête pas seulement un évènement saisissant : le fameux renversement radical de Saül de Tarse qui deviendra Paul, Apôtre des Nations. En faisant mémoire d’un tel fait, l’Eglise cherche aussi (et sans doute d’abord) à honorer un précieux mouvement. Celui d’une âme acceptant de se laisser saisir par Dieu. Le chemin de Damas, qui débouchera sur le boulevard inattendu de l’évangélisation de la gentilité, reste encore aujourd’hui le modèle par excellence d’une conversion. A savoir : un bouleversement constitutif, s’accompagnant toujours de son lot de surprises.
Mais pourquoi donc se convertir ? Pourquoi enclencher un mouvement si décisif, et qui engage tout son être ? S’interroger sur la nature et le motif d’une conversion authentique doit pousser l’observateur honnête à s’arrêter sur la première question, essentielle et fondatrice, du catéchisme :« Pourquoi Dieu a-t-il créé l’homme ? ». La réponse, tout à fait cruciale et qui irrigue les suivantes, déclare :
« Dans un dessein de pure bonté, Dieu a librement créé l’homme pour le rendre participant à sa vie bienheureuse ».
Ainsi, se convertir au catholicisme revient à prendre conscience que chaque homme – et donc soi-même – a été créé pour connaître, aimer et servir Dieu, en vue de le rejoindre dans l’éternité. Trois verbes, en forme de triptyque, qui s’éclairent, s’expliquent et se pénètrent.
Sous ce regard, est-il raisonnable d’imaginer Michel Onfray se convertir un jour au catholicisme ? En commentant dans Le Figaro son dernier ouvrage, Théorie de Jésus, dans lequel l’auteur nie l’historicité du Christ, Eugénie Bastié soulignait le paradoxe d’un homme « qui a plus lu la patristique que la plupart de nos évêques ». Et la journaliste d’appuyer : « Les catholiques qui le prennent pour un ennemi n’ont rien compris ». Je partage son avis. D’abord parce qu’un baptisé n’a pas d’ennemis au sens propre. Il n’a que des âmes à aimer, à guider et à sauver. A corriger si nécessaire. Ensuite parce qu’à lire les commentaires acerbes émanant de certains milieux catholiques, on aurait presque l’impression qu’il ne faudrait surtout pas qu’un Michel Onfray se convertisse. Il semble en effet préférable de grincer sur son cas. « Les traditionalistes s’en sont fait une mascotte (Onfray ayant notamment chanté les vertus de la messe en latin ou était saisi par la vie de l’abbaye de Lagrasse où vivent des religieux attachés à l’antique liturgie) or, après ses théories fumeuses sur Jésus, tel est pris qui croyait prendre ! » moquent-ils. Quelle édifiante sollicitude…
« Se convertir » pose la question de l’intensité de son orientation à Dieu
« Malheur à moi si je n’annonce pas l’évangile ! »s’exclame saint Paul dans l’une de ses épîtres. Convertir son prochain consiste au premier chef à l’aider à « se tourner vers ». Le degré d’une conversion, son authenticité en quelque sorte, pourrait ainsi se mesurer à la droiture, à l’intensité de cette orientation. Loin d’une simple esthétique spirituelle, il s’agit plus largement, d’introduire dans son existence de nouvelles et formidables perspectives. Guy de Larigaudie parlera du “beau jeu de la vie”. Suis-je véritablement tourné vers le Seigneur ? Mon attachement au Christ a-t-il besoin d’être davantage déterminé ? Le chrétien observant est convaincu qu’une vie vécue en plénitude ne peut se réaliserque dans la colonisation de tout son être aux principes de l’Evangile.
Cette colonisation représente le travail d’une vie. Pour soi-même et pour chacun. Un inlassable ouvrage, jamais terminé. Tel le laboureur en son champ, l’âme en soif de moisson se doit de revenir continuellement à la désagréable corvée du désherbage, de l’extraction des pierres qui empêchent le sol de porter du fruit. En somme, filtrer sans cesse sur le tamis de sa vie, l’essentiel du superflu. Irriguer la terre de son âme au moyen de la prière, du don de soi et des sacrements. Être et durer, jusqu’à parvenir à ressembler au « serviteur, bon et fidèle » apte à entrer au terme de sa vie« dans la joie de son Maître » (Matthieu 25, 21).
Connaître, aimer et servir Dieu : le but de la vie chrétienne.
Le premier palier d’une conversion réside ainsi dans la connaissance ou une redécouverte – mais plus intégrale et précise – de ce qu’est Dieu. Ne pouvant aimer ce que l’on ne connaît pas, un médiateur est nécessaire. Un ami de faculté, un collègue de travail, un cousin, un voisin, un prêtre croisé au hasard d’une rue : la découverte de Dieu, comme l’ascension d’un sommet, s’accompagne habituellement d’un guide oud’une rencontre inespérée. L’histoire des grandes conversions en témoigne : le jeune Augustin avec Ambroise de Milan, Charles de Foucauld avec l’abbé Huvelin, André Frossard avec le Saint-Sacrement, Claudel avec le chant du Magnificat à l’heure de Noël.
Ces médiations, l’Histoire les retient plus ou moins au regard de la postérité des personnages concernés. Pourtant, elles interviennent dans la vie intérieure de chacun, mystérieusement. A qui sait lire les signes qui se trament danssa vie, la Foi enseigne que ce chemin de conversion est offert à tous, d’une façon ou d’une autre, à un moment ou un autre. Une cathédrale, un visage, une cérémonie, une épreuve, une expérience de grâce, quelque soient les événements, le lieu, les personnes ou l’atmosphère, nul n’est appelé à rencontrer Dieu d’une façon totalement abstraite.
« Dans la barque de l’Eglise, ambitionner de devenir le capitaine de son âme oblige à se muer en mousse. »
Connaître les choses sur le monde d’en haut donc, mais aussi apprendre à les aimer. Se convertir ne saurait en effet consister seulement à mesurer la grandeur de Dieu ou saisir l’harmonie de son enseignement. Encore faut-il se situer en acte par rapport à l’une et l’autre. La grandeur de Dieu fait reconnaître sa petitesse et le vif honneur d’être aimé par infiniment plus grand que soi. L’harmonie de son enseignement engage à adhérer en vérité à un style de vie intégral. « Ils ont surpris le grand secret qui est d’être naturel en devenant parfait » écrivait Charles Maurras à propos des Grecs qui ont construit l’Acropole. Il en est de même pour l’âme en quête de Dieu : imiter l’être aimé en devenantsouverainement aimable, sans tapage et ni artifice. Etre surnaturel… naturellement.
La conversion, enfin, se traduit dans un dernier mouvement. Celui du service. Se convertir, c’est accepter de suivre le Maître jusqu’au bout. Dans la barque de l’Eglise, ambitionner de devenir le capitaine de son âme oblige à se muer en mousse. « Le fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie » (Matthieu 20, 28).Tel est l’aboutissement d’une conversion véritable.
Ce cheminement libre réclame néanmoins de se désengager des logiques mondaines.
« Ne savez-vous pas que l’amitié avec le monde, c’est l’inimitié contre Dieu ? Quiconque veut être ami du monde, se rend ennemi de Dieu. » (Jacques 4, 4).
Aussi le converti, avec l’usage de sa raison et de son cœur, se trouve confronté à faire un choix. La formule du Père de Chivré, dominicain du siècle dernier le résume très bien :
« Se fiancer avec la vérité, c’est se condamner au divorce avec beaucoup d’hommes ».
Pour Michel Onfray comme pour tout un chacun, on comprend que cette éventualité puisse refroidir. Aux catholiques de conviction de leur montrer que cela se vit très bien et… que seule la vérité rend pleinement libre.