D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Il n’est pas inutile de réfléchir à la manière dont il existe un lien très étroit entre les jeunes et la musique. La musique est un élément primordial dans leur vie, et ils en font un usage constant. Ainsi, c’est un binôme qui a sa propre force intrinsèque.
Mais maintenant, essayons de transformer ce binôme en un triangle en y ajoutant un troisième élément : la liturgie. Il me semble assez évident que la liturgie ne peut et ne doit pas être absorbée par les deux autres éléments, et qu’elle doit nécessairement les former et les informer. L’erreur, très grave, a été commise lorsque l’on a pensé que l’importation brutale du binôme jeunes-musique dans la liturgie améliorerait la relation entre les jeunes et la liturgie, mais cela n’a manifestement pas été le cas, au point qu’aujourd’hui, après des décennies de soi-disant « chants de jeunes », la catégorie démographique la plus absente de nos églises est précisément celle des jeunes. Pourtant, certains nostalgiques pensent que continuer sur cette voie pourrait être une solution au problème ; en réalité, cela ne peut pas être la solution, c’est plutôt le problème. Un chant avec un texte liturgique et une musique pop ne devient pas liturgique, il reste de la musique pop. Et c’est un fait, malgré ce que pensait Karl Rahner.
Dans un article de 1982 intitulé Theology and the Arts (Rahner, Karl (1982). Theology and the Arts. Thought: Fordham University Quarterly 57 (1) : 17-29), Rahner fait cette observation :
« En effet, comme nous l’avons dit, si les arts jouent un rôle dans cette médiation, que voulons-nous dire lorsque nous parlons de “voir” ou “écouter” Dieu dans une œuvre d’art ? … Si ce ne sont pas seulement les oreilles qui entendent, mais toute la personne, alors quelque chose est religieux ou non selon le type de personne qu’est l’auditeur et la situation concrète totale dans laquelle il écoute. Le fait qu’une mélodie soit religieuse ou non dépend simplement de la manière dont on base son jugement sur la mélodie prise uniquement dans un contexte purement acoustique, ou si on la place dans un contexte humain total. Dans ce cas, le phénomène acoustique devient quelque chose de différent, non en soi, mais en relation avec la situation. Cependant, la relation entre le domaine artistique et le domaine religieux n’est pas facile à définir. Dieu est, en effet, présent partout avec Sa grâce, comme nous voulons l’affirmer en théologie, mais cela ne signifie pas que chaque réalité ait le même rapport avec moi ou avec Dieu. Dieu n’est pas présent dans un changement chimique dans mon estomac de la même manière qu’Il l’est lorsque j’agis avec confiance, amour ou responsabilité envers mon prochain. Par conséquent, la question du possible sens religieux de l’art non religieux est une question difficile à résoudre… »
Il est vrai que la musique prend du sens dans un contexte, mais il est également vrai que certains types de musique ont des caractéristiques précontextuelles. Si, pendant un rave, je fais écouter un chant grégorien, ce n’est pas le contexte qui le fera devenir de la musique techno.
La bonne question à se poser toujours et en tout temps n’est donc pas “quelle musique convient aux jeunes”, mais : “quelle musique convient à la liturgie à laquelle les jeunes participent également ?” L’enjeu est de former les jeunes à la beauté de la liturgie, non de la dégrader avec des chants indignes en pensant les satisfaire, car cet effort est profondément contre-éducatif.
Je peux témoigner que les jeunes, s’ils sont éduqués, savent apprécier la véritable musique sacrée et y voient une oasis spirituelle dans leur parcours souvent frénétique. Mais pour que cela se produise, il est nécessaire que les jeunes soient éduqués au sein de leur communauté paroissiale par des personnes bien formées, qui savent comment leur inculquer l’appréciation de la véritable beauté. L’image que certains “animateurs pastoraux” ont des jeunes est très dégradante, celle de personnes qui aiment faire du bruit et se mouvoir au rythme de certaines musiques frénétiques. Certes, la culture consumériste les pousse à faire cela, mais voulons-nous vraiment nourrir cette culture par la musique qui l’accompagne ?
Nous avons un devoir envers les jeunes : les aider à entrer dans la véritable beauté de la liturgie, une beauté qui a besoin de l’art véritable pour se manifester. Cela ne signifie nullement être “élitiste”, bien au contraire, cela signifie rendre les richesses de l’Église accessibles à tous. Les jeunes peuvent apprécier une belle peinture, une belle composition musicale, un texte poétique ; ils doivent être guidés et éduqués, non divertis avec des pseudo-musiques qui n’offrent aucun enrichissement spirituel. Nous devons avoir une opinion plus élevée de la jeunesse et faire un effort pour les extraire d’une culture qui, en son cœur, est anti-chrétienne. La musique peut servir cette culture de mort et de destruction ou devenir la servante de la culture de la vie.