La récente sortie du président de la République sur les temps moyenâgeux que nous traverserions de nouveau donne l’occasion au Père Danziec de démonter dans Valeurs Actuelles les poncifs au sujet de la période médiévale. L’ensauvagement et le délitement actuels n’invitent-ils pas à davantage d’humilité quant aux temps, supposés obscurs, du passé ?
Au début de l’année 1993, lorsque Les Visiteurs s’affichaient dans les salles de cinéma et faisaient rire la France entière, Emmanuel Macron avait tout juste 15 ans. L’adolescent qu’il était a-t-il pris au pied de la lettre les clichés forcés sur cette période historique et qui participaient à la drôlerie du film ? Au regard de l’interview fleuve que vient d’accorder au trimestriel Zadig celui qui est devenu depuis le Président de la République, il semble que oui. Selon le chef de l’Exécutif :
« On revit des temps au fond très moyenâgeux : les grandes jacqueries, les grandes épidémies, les grandes peurs »…
Jacquouille la fripouille, sors de ce corps !
« L’adjectif péjoratif “moyenâgeux renvoie à une vision très datée du Moyen Âge, à une historiographie impressionniste et périmée »
Dans le FigaroVox, Hubert Heckmann, maître de Conférences en littérature médiévale à l’Université de Rouen, ne manque pas de souligner que la comparaison historique est un exercice éminemment rhétorique qui en dit davantage sur les intentions de celui qui s’y livre que sur les époques que l’on met en balance.
« Son propos n’est pas historique, mais polémique : plutôt que le terme “médiéval”, qui est neutre et qu’utilisent les historiens, il emploie l’adjectif péjoratif “moyenâgeux”. Ce tableau renvoie à une vision très datée du Moyen Âge, à une historiographie impressionniste et périmée ».
Cette représentation caricaturale du Moyen-Âge laisse entendre que le monde était alors rempli d’ignorants, dont la vie était dure, le quotidien sale, traversé par une violence sans nom et un droit de cuissage généralisé. Régine Pernoud et d’autres médiévistes à sa suite ont consacré leur vie à démonter ces poncifs, plus grossiers les uns que les autres, et qui, pourtant, sont repris par celui-là même qui se trouve au sommet de l’Etat.
Des Très Riches Heures du Duc de Berry à l’écriture inclusive
Dans le sillage du bandeau du dernier livre de Patrick Buisson « La fin d’un monde », l’actualité nationale tendrait plutôt à nous faire murmurer : « Ah, si seulement nous pouvions revivre au Moyen-Age ! ». Car aux antipodes des propos de Macron, dans quelle situation nous trouvons-nous en comparaison du temps des chevaliers et des ménestrels ? La période moyenâgeuse correspondrait-elle à une époque d’ignorance ? Du blanc manteau d’églises à l’émulation intellectuelle entre les monastères, comment croire sérieusement que les hommes du quotidien médiéval, pétris de sacré, de silences, de vie des champs ou de mélodies grégoriennes soient plus abrutis que la génération TikTok ou des Marseillais à Dubaï ? Nous avons l’écriture inclusive, ils avaient les Très Riches Heures du Duc de Berry. Ils pèlerinaient vers le Mont-Saint-Michel, se recueillaient devant le tympan de l’abbatiale de Conques, s’émerveillaient face aux vitraux de Notre-Dame de Paris ou de Chartres. Le monde de la culture et du savoir nous offre désormais le centre Beaubourg, le plug anal de la place Vendôme ou les rails de coke de l’eurovision.
Hygiène et amour courtois face à #saccageparis et #MeToo
L’hygiène du Moyen-Âge était-elle si détestable ? Lorsque l’on est confronté à la rudesse de la vie, on ne peut ignorer qu’une bonne santé se trouve en partie liée à la propreté domestique. Nombre de travaux universitaires ont permis de constater la grande ingéniosité du monde médiéval qui, de l’usage des plantes à celui de la cendre, n’était pas sans recours pour faire face aux défis de la santé. Une coupure, une brûlure, une piqûre : chacun connaissait les remèdes courants ou les gestes usuels à pratiquer. Aujourd’hui, la saturation des services des urgences hospitalières pour des problèmes bénins témoigne du degré d’infantilisation qui règne chez nos contemporains dans la gestion de leurs maux. Le rythme de vie sain, fixé aux heures du soleil, et lié au labeur de la terre, avait sa rudesse mais ne déshumanisait pas pour autant le travail des hommes comme peut le faire la société marchande d’aujourd’hui. Et si l’absence d’égouts pouvaient avoir des conséquences dramatiques dans les zones urbaines du Moyen-Âge, le hashtag #saccageparis prouve que les moyens modernes et considérables dont dispose la Mairie de Paris ne peuvent rien contre une gestion calamiteuse de la salubrité publique par la majorité municipale en place…
Pour ce qui est de la violence, le climat du Moyen-Âge était-il si préoccupant que le laissent entendre ses contempteurs ? Dans la chevalerie, le preux défendait la veuve et l’orphelin, il mettait sa force au service du bien et exposait au grand jour une douceur mariée à la noblesse. La justice féodale, fut-elle virile, n’en restait pas moins imprégnée des idéaux de l’Evangile. Devrait-elle se mettre à genoux devant la façon dont est rendue celle d’aujourd’hui ? Le délitement de la magistrature comme les incohérences des procédures nous offrent ces dernières semaines une incroyable série noire qui appelle ceux qui ricanent du passé à un peu plus d’humilité.
Quant à la condition de la femme, on ne redira jamais assez l’extraordinaire pouvoir dont purent jouir les gentes dames à l’heure de la féodalité. Comme l’ont révélé les secousses du mouvement #MeToo, l’amour était bien plus courtois au temps des châteaux et des cathédrales que dans les alcôves du festival de Cannes ou les coulisses d’Hollywood. Aliénor d’Aquitaine comme Blanche de Castille eurent bien plus d’influence sur leur siècle qu’Edith Cresson avec ses pauvres dix mois à Matignon. Seule femme nommée Premier Ministre sous la République Française, cette dernière confiait récemment au micro de France Info avoir subi durant sa prise de fonction « un déluge d’agressions de la part de la presse » et essuyé, à la tête du gouvernement, de graves réserves venant du sein même de son parti, le Parti Socialiste.
Emmanuel Macron, en cherchant à relier dans son entretien au trimestriel Zadig « la période que nous vivons à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance », reprend à son compte les vieilles idées reçues sur le monde médiéval. Libre à lui de laisser entendre que le progressisme représente l’espoir au bout du tunnel, une sorte de nouvelle Renaissance qui suivrait la fin des âges obscurs, une “Renaissance” idyllique, faite d’ouvertures et d’amalgame de différentes cultures… Ce serait oublier cependant, comme le signifiait Eric Zemmour lors de son récent débat face à Manuel Valls sur CNews, que la Renaissance dans l’Hexagone eut cette particularité : en s’appuyant sur les artistes italiens, les Rois de France eurent soin de les assimiler dans le but de constituer un art proprement français, le fameux classicisme. Pas sûr que l’acceptation de Youssoupha comme interprète de l’hymne des bleus ou l’échange avec les youtubeurs McFly et Carlito soit de cet ordre. Avec de telles postures, la Renaissance de la France semble devoir attendre encore un peu. Doit-on s’en étonner ?