Le dominicain Thomas Michelet est l'auteur de la méditation de ce jour pour la neuvaine pour la France :
Contempler avant d'agir
À peine entrons-nous dans l’année de la miséricorde qu’il nous faut déjà passer aux travaux pratiques ! Faire miséricorde, vaste programme… Mais là, nous avons une direction bien concrète qui se dessine, si nous voulons être fidèles au commandement de l’amour laissé par le Christ et qu’il a vécu en acte. Car la miséricorde inclut en particulier le pardon, qui est une forme de don. De fait, comment aimer ses ennemis si nous n’en avons pas ? Comment vraiment les aimer sans leur pardonner et vouloir du fond du cœur qu’ils deviennent nos amis ?
Mais la miséricorde ne risque-t-elle pas alors de devenir un sentiment un peu guimauve qui finit par tout passer, tout tolérer, tout accepter, tout justifier ? D’où l’urgente nécessité de s’en faire une idée précise : qu’est-elle exactement et que n’est-elle pas ; que contient-elle et que faut-il en exclure ?
Pour S. Thomas d’Aquin, la miséricorde est la souffrance que nous éprouvons face à la misère d’autrui et qui nous pousse à lui venir en aide en lui faisant du bien. Il ne faut donc pas la confondre avec la clémence, qui s’attriste du mal d’autrui mais pour en diminuer les peines. Encore moins avec l’envie, qui s’attriste du bien du prochain. La miséricorde est donc une bonne réaction, l’élan d’un cœur qui reste capable de compassion, sans être blindé ou blasé par les misères de ce monde qui défilent sur nos écrans. Un cœur qui reste sensible à la misère et à la souffrance du prochain, dont l’on souffre comme si c’était la nôtre.
Mais pour S. Thomas, la miséricorde n’est pas seulement un « coup de cœur » : elle ne peut devenir chemin de sainteté qu’en étant passion cultivée en vertu, réglée par la raison. Autrement, elle nous entraînera à prendre de mauvaises décisions et ne plus être juste. Face à la misère, à la souffrance du prochain, il faut donc ouvrir son cœur tout en sachant raison garder : prendre le temps du discernement quant à notre réaction, pour ne pas agir sous le coup de la colère ou de la seule spontanéité affective, mais en déterminant avec justesse quelle contribution de notre part pourra effectivement faire du bien à notre prochain (victime ou ennemi…).
Enfin, la vraie miséricorde ne peut pas aller contre la justice, qui est le minimum à respecter même si la miséricorde va pousser à donner davantage. Elle n’est pas non plus supérieure à la charité : cela n’est vrai qu’en Dieu, pour qui nous prodiguer des bienfaits lui convient au plus haut point car cela manifeste sa toute-puissance, plus qu’un amour qui nous aimerait intérieurement sans nous donner extérieurement. Pour l’homme, la charité reste supérieure à la miséricorde, car il est meilleur de s’unir à Dieu par la charité qui rend semblable à lui, que d’aider le prochain par la miséricorde qui rend semblable à Dieu en ses œuvres seulement. C’est en s’unissant d’abord à Dieu que nous recevrons de lui la charité comme l’amour dont il s’aime lui-même, et que nous pourrons du même amour aimer notre prochain comme nous-même, et nos ennemis comme Dieu les aime : en voulant qu’ils deviennent ses amis, et donc qu’ils se convertissent.
« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7)