Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
Nos anciens savaient, à l’école de Platon, que la meilleure manière de dompter la nature consiste à lui obéir. Ils avaient pour cela pris le temps de l’observer et d’en connaître les palpitations. Dans l’âme enracinée, il y a une connaissance qui devient quasi connaturelle de la saison des légumes, du cycle de la lune, d’où arrive le vent, de ce qu’il annonce, du chemin des étoiles, du bienfait de telle plante ou de l’atout d’un collet. Nous avons tous besoin d’un Bertrandou pour guider notre soif d’absolu comme il a su calmer, à l’invitation de Cyrano, la faim des cadets de Gascogne lors du siège d’Arras.
La grandeur des bergers
Les bergers tels que les chante Jacques Brel nous manquent. Il n’y a plus guère que les santons pour nous rappeler leur importance. Leur capacité à s’émerveiller méritait sans doute aux yeux de Dieu, avant les scribes et les grands prêtres, qu’ils soient récompensés en étant les premiers invités à la grande adoration de l’Enfant-Dieu. Quelle leçon de constater que de grands saints furent eux-mêmes, enfants, gardiens de troupeau comme Vincent de Paul, Jean Bosco ou encore le jeune Giuseppe Sarto, le futur grand pape saint Pie X. De même, ce furent des petits pâtres qui bénéficièrent des grandes apparitions mariales, de Lourdes à la Salette, de Guadalupe à Fatima. A l’heure des grands déplacements et de l’accès au savoir, alors que trop souvent beaucoup peinent à expliquer en quoi consiste leur profession tant l’argent-roi a réussi à déshumaniser le travail, lui, le berger, connaît ses brebis et ses brebis le connaissent. Plus encore, à l’image du marchand de quenouilles qui ouvre la captivante cinéscénie du Puy du Fou, les bergers peuvent écouter « les sentiers qui ne retiennent plus leurs vieilles confidences ». Parce qu’elle sait contempler, l’âme enracinée porte l’histoire à tous les enfants ; elle est la mémoire d’une civilisation.
A propos de mémoire, nous avons tous quelque part dans nos secrets intérieurs une bibliothèque de souvenirs qui contient dans ses rayons des séquences, des odeurs, des visages, des décors qui évoquent pour nous quelque chose de tangible, de saisissant et d’aimable. Et lorsqu’il arrive, au hasard d’une rencontre ou d’une situation, qu’un élément nous rappelle tel ou tel souvenir, c’est un frisson qui gagne tout notre être et nous voici transportés dans le passé.
Sylvain Tesson , théologien des arbres
A cet égard, à l’occasion d’un dimanche après-midi où, comme chacun sait, la promenade est un exercice qui s’intercale admirablement entre la fin du déjeuner et l’heure des vêpres, il m’a été donné d’en partager une avec un ami au cœur d’un petit bois. C’est alors qu’au détour du sentier que nous suivions, un platane incroyable d’amplitude et d’élégance ne pouvait que nous arrêter. Son volume noyé dans la végétation accentuait sa beauté, la lumière du ciel qui se déversait sur lui rajoutait à sa splendeur. Mais plus encore, il me rappelait les arbres du parc de mon enfance. Ce n’était qu’un arbre, bien sûr… Mais il était superbe de majesté et il m’offrait un bain de jeunesse tout en m’imposant le silence. Cette émotion secrète, irrépressiblement, enrobait mon cœur de majesté. Ce bain de jeunesse vécu intérieurement et silencieusement m’élevait parce que tous deux me rapprochaient de la Beauté par excellence qui réside en Dieu et qui se manifeste parfois tangiblement à travers sa création.
Au sortir de cette balade forestière et méditative, je repensais à ces très belles lignes de l’écrivain Sylvain Tesson qui disent bien mieux que je ne saurais le faire les impressions qui m’habitaient :
« Les arbres nous enseignent une forme de pudeur et de savoir-vivre. Ils poussent vers la lumière en prenant soin de s’éviter, de ne pas se toucher, et leurs frondaisons se découpent dans le ciel sans jamais pénétrer dans la frondaison voisine. Les arbres, en somme, sont très bien élevés, ils tiennent leurs distances. Ils sont généreux aussi. La forêt est un organisme total, composé de milliers d’individus. Chacun est appelé à naître, à vivre, à mourir, à se décomposer – à assurer aux générations suivantes un terreau de croissance supérieur à celui sur lequel il avait poussé. Chaque arbre reçoit et transmet. Entre les deux, il se maintient. La forêt ressemble à ce que devrait être une culture. »
Prendre le temps d’admirer les merveilles qui nous entourent, c’est placer son cœur dans une disposition de réception. C’est ouvrir les fenêtres de sa demeure intérieure pour la laisser se meubler du soleil du dehors. C’est habiller son cœur d’une beauté qui nous dépasse, se laisser saisir par une vérité qui nous domine, courir le risque de larejoindre et nous laisser guider par elle. Prendre le temps de contempler, c’est donner une chance à sa vie. Je croyais avoir vu un arbre. J’avais en fait touché du bois.